[FRENCH] 1971: Jack Kirby est « dans la place » et s’active plus précisément chez DC, sur la série Superman’s Pal, où il déborde d’idées liées à la génétique et au clonage. Et d’ailleurs au passage, il en profite pour un énorme pied de nez à son ancien employeur, à savoir Marvel. Non seulement il va ressortir un clone de Captain America mais en plus un certain géant vert montre le bout de son nez. Il faut dire que Marvel le lui rendra bien en s’inspirant par la suite de cet épisode…
« Ce sont d’actives petites créatures, n’est-ce pas ? » s’étonne un savant masqué en prenant à pleine main une horde de clones de la taille d’une souris. Il s’agit de copies génétiques de Superman et de ses alliés, la Newsboy Legion (la Légion des Vendeurs de Journaux), une « bande de jeunes » qui avait eu son heure de gloire entre 1942 et 1947. La Newsboy Legion était composée de jeunes garçons recueillis par un policier, Jim Harper. Mais Harper était en secret le super-héros Guardian, pourvu d’un bouclier doré qui en faisait un émule de Captain America… Il convient de dire qu’à l’origine la Newsboy Legion était la création de Joe Simon et Jack Kirby, venus chez DC après s’être brouillés avec Marvel (où ils avaient créés le fameux Captain). La ressemblance entre les deux porteurs de boucliers n’était donc pas totalement fortuite…
En 1970, l’histoire se répétait. Jack Kirby venait de claquer la porte de Marvel et de mettre fin à sa collaboration avec Stan Lee. En revenant chez DC, Kirby avait d’abord réclamé le titre de DC qui se vendait le moins car, arrivant chez l’éditeur, il ne voulait pas être responsable du départ de quelqu’un.
La série en queue de peloton était Superman’s Pal: Jimmy Olsen, titre entièrement consacré au meilleur ami (le jeune photographe du Daily Planet) de Superman mais dans lequel le super-héros était bien sûr toujours prompt à rendre service. Et dans cette coquille vide, Kirby était arrivé tel un accélérateur de particule, inventant des concepts au potentiel alors insoupçonnés tels que Darkseid. Et donc il avait aussi ramené rapidement ses petits chouchous, la Newsboy Legion. Mais bien sûr il était difficile d’expliquer que les personnages soient des jeunots près d’un quart de siècle après leur dernière aventure. Alors Kirby les intégra à une énorme toile de fond qu’il installa dans Superman’s Pal: Jimmy Olsen et Superman découvraient les secrets du Projet Cadmus, un centre gouvernemental consacré à de la recherche d’avant-garde sur tout ce qui touchait à la génétique. On y concevait des « créatures » dans l’espoir de faire avancer l’Humanité. Et les directeurs du Projet Cadmus n’étaient autres que les anciens membres de la Newsboy Legion, devenus adultes. Jim Harper, leur tuteur, était mort… Et comme apparemment aucun de ces vendeurs de journaux devenus scientifiques de haut-niveau n’avaient eu le temps d’enfanter de façon plus traditionnelle, ils s’étaient clonés eux-mêmes, donnant naissance à une nouvelle génération de la Newsboy Legion, qui en était encore au stade de l’enfance mais qui aidait déjà Superman. L’ennui c’est que le malfaisant Darkseid était arrivé à débaucher deux des créations de Cadmus, les surdoués Symian et Mokkari, pour leur faire créer une version maléfique du Projet Cadmus: la bien nommée Evil Factory (l’Usine du Mal)…
Les deux savants que nous venons de voir ramasser une poignée de mini-clones sont, sous leur masques, Symian et Mokkari. L’un ressemble à une sorte de primate, chaînon manquant de l’humanité, tandis que l’autre a des tatouages évoquant vaguement une sorte de Darth Maul jaunâtre, bien avant l’heure. Ils endorment les clones et, fièrement, parcourent leur laboratoire en se ventant de pouvoir créer à la demande des êtres de toutes formes et de toutes tailles. D’ailleurs leur dernière rejeton en date est un géant qui a été mis au point en mixant l’ADN de plusieurs terriens et qui serait capable de tuer même Superman. Mais le géant, pour l’instant, flotte dans une sorte de couveuse. L’objet de leur haine, Superman, est cependant bien loin de préoccuper d’eux. Dans les épisodes précédents, lui et la nouvelle Newsboy Legion, en route vers le Projet Cadmus, sont tombés sur l’étonnante Montagne du Jugement, un ancien chariot à missile de taille gargantuesque habité par les Hairies, un peuple pacifique créé artificiellement par Cadmus. A bord de cette imposante cité roulante, Superman et la Newsboy Legion sont accueillis de manière très amicale et on les oriente vers le site de Cadmus…
Là, l’accueil n’est pas du tout le même. Cadmus est protégé par l’armée américaine dans une ambiance de loi martiale qui étonne d’abord les nouveaux arrivants, avant qu’ils se souviennent que finalement le degré de protection lors de l’invention de la bombe atomique devait être du même ordre. Et la raison d’être de Cadmus n’est il pas révolutionnaire (et donc dangereux) sur le plan de la génétique. Cependant, on escorte finalement Superman et les garçons vers les membres du bureau directeur et les jeunes clones sont alors réunis avec leurs « pères » génétiques. Superman et Jimmy Olsen s’éclipsent pour converser le caractère privé de cette étrange « réunion de famille ». Mais si Superman est déjà familier avec le Projet Cadmus, Jimmy s’y trouve pour la première fois. Le super-héros explique alors à son ami que l’endroit est capable de toutes les avancées en terme de génétique, qu’on peut y créer n’importe qui ou n’importe quoi et qu’on peut même… y cloner. Dans une ambiance digne du film « The Island », Jimmy ne tarde d’ailleurs pas à se retrouver confronté à lui-même. Car en effet le modèle Jimmy Olsen est très courant parmi les clones de Cadmus. Jimmy a été cloné sans le savoir! D’ailleurs Superman lui montre d’autres mini-clones dans un microscope en lui parlant des agissements d’une agence maléfique. Superman sait qu’une structure parasite les inventions de Cadmus mais il ignore encore ce qu’est la Evil Factory…
Dans leur laboratoire, Symian et Mokkari mettent la dernière touche à leur géant herculéen. Les voici d’ailleurs qui rendent des comptes à leur employeur, le dieu maléfique Darkseid. Le lecteur habitué aux comics DC modernes ne manquera pas de remarquer que Darkseid, tel que le dessinait alors Jack Kirby, est sensiblement différent de ce qui sera plus tard « l’image d’Epinal » du personnage. Darkseid est un peu moins massif et surtout d’une blancheur d’albâtre (par opposition à sa teinte granite dans la version la plus connue). Darkseid prend bonne note de la création du géant mais il doute de son utilité. Il reproche aux deux savants d’avoir créé un être animé seulement par une furie destructrice. Les savants protestent, assurant qu’il a été conditionné… Mais la réalité va vite le contredire car le géant déchire alors les murs de sa cellule comme s’ils étaient en papier. Dans une furie monstrueuse, ce géant vert commence à tout casser sur son passage. Incapables de le contrôler et effrayés, Mokkari et Symian décident alors de le téléporter chez la concurrence et de la laisser s’en débrouiller… Le géant vert disparait dans un nuage de fumée et se retrouve dans les locaux de Cadmus avec une seule pensée: Tuer tout ce qui se présente devant lui. Bien sûr, Superman n’est pas du tout décidé à le laisser faire et l’affronte. Mais au bout de quelques cases il lui faut bien réaliser que l’adversaire est d’une force peu commune, même pour lui. Normal : la créature est une allusion à peine voilée à… Hulk !
En fait, on se souvient que Mokkari et Symian avaient parlé d’avoir mixé l’ADN de plusieurs terriens. Ce monstre a la force et la couleur de Hulk mais avec le visage de Jimmy Olsen (une des traditions de la série Superman’s Pal était que Jimmy Olsen devait passer par d’effarantes transformations, avoir un clone « hulkisé » remplit le quota pour ce numéro). Non seulement le monstre donne du fil à retordre à Superman sur le plan physique mais le héros a une certain difficulté psychologique à taper sur ce qui a le visage de son meilleur ami…
Réalisant que Superman est sur le point d’être écrasé, les directeurs de Cadmus décident alors d’intervenir en faisant appel au seul homme de taille à gérer la situation. Accompagné de la Newsboy Legion et de Jimmy, ils descendent dans un laboratoire en expliquant qu’ils ont récupéré l’ADN d’un policier mort récemment lors d’une de ses enquêtes. Jimmy Olsen s’étonne de la moralité de prélever l’ADN d’un mourant. Mais dans la pénombre, le résultat de cette expérience s’éveille et s’habille, s’équipant d’un bouclier. Il en émerge et on peut alors s’apercevoir qu’il s’agit d’un clone du mentor de la Newsboy Legion originelle. Il est le nouveau Guardian (ou plus exactement le Golden Guardian tel qu’il sera appelé dans un premier temps pour le distinguer de son prédécesseur). L’épisode s’achève sur la première apparition de ce personnage qui deviendra par la suite un personnage régulièrement vu en périphérie de Superman. Dans le numéro suivant ce pseudo-Captain America n’aura aucun mal à battre le pseudo-Hulk en faisant usage de son agilité, de son intelligence et de son bouclier. L’exploit du Guardian prouvera sa valeur au point que par la suite on le nommera directeur de la sécurité du Projet Cadmus…
Mais les marvelophiles devraient logiquement trouver un autre intérêt à cet épisode qu’une copie de Captain America s’apprêtant à combattre un faux Hulk. En fait l’idée maîtresse du Projet Cadmus sera par la suite à son tour « clonée » par Marvel, qui en tirera dans Marvel Two-In-One #42 (1978) un concept similaire nommé le Projet Pegasus. A la base Pegasus avait pour directeur de la sécurité le héros Quasar, plus tard appelé vers une destiné plus cosmique. Mais ce qui est vraiment intéressant dans le contexte qui nous intéresse, c’est l’identité des deux successeurs de Quasar. Le premier sera le Guardsman, un héros portant une armure initialement dessinée par Tony Stark. Vu comment les premières apparitions de Cadmus étaient liées à des copies de Cap et de Hulk, qu’une copie d’Iron Man soit chargée de la sécurité de Pegasus n’était déjà pas sans manquer de sel. Mais surtout on peut comparer la similitude des noms. Entre le Guardian (le Gardien) et le Guardsman (l’Homme de Garde), il y a une ressemblance certaine. Mais mieux: Par la suite le Guardsman sera remplacé par un autre héros, le Blue Shield (qui était d’abord apparu dans la série Dazzler). Le Blue Shield n’avait peut-être pas un nom ressemblant à Guardian ou à Guardsman mais son costume était inspiré d’un insigne de policier… Tout comme l’avait été le Guardian, ce qui donnait lieu à une ressemblance non plus au niveau du nom mais bien de l’apparence. Une manière sans doute de « rendre à César » et de reconnaître que Pegasus n’était qu’une copie de Cadmus… Finalement tout le monde aura gagné quelque chose au terme de ce pied de nez que Kirby avait d’abord adressé à Marvel. Si ce n’est que la reconnaissance du « King » pour l’inspiration de Pegasus restera codée et largement ignorée par la majeure partie des fans de Marvel.
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Xavier Fournier]