Le jeu de séries comme Tales To Astonish est donc de générer dans chaque numéro plusieurs histoires de monstres venus de l’espace que l’humanité (ou tout au moins un humain lambda, souvent construit sur un même moule) repoussera en l’espace de six à huit pages. La trame, en un sens, emprunte beaucoup de choses à la Guerre des Mondes de Wells. Pendant la plus grosse partie du court récit, l’homme semble sans pouvoir contre les créatures venues de l’espace avant qu’un détail insignifiant vienne in extremis sauver la Terre (tout comme, chez Wells, c’était un virus qui mettait fin à l’invasion martienne). C’est dans ce contexte qu’apparaît, dans Tales To Astonish #13, le monstre nommé Groot (déformation de « Root », soit « Racine »).
L’histoire qui nous intéresse (« I challenged Groot, the monster from Planet X« , soit « J’ai défié Groot, le monstre de la Planète X ») est dessinée par Jack Kirby, encrée par Dick Ayers mais l’identité du scénariste reste floue. Diverses sources tablent cependant que ce n’est pas Stan Lee lui-même mais plutôt son frère, Larry Lieber, qui aurait écrit l’histoire. D’emblée la première page pose le problème en montrant une gigantesque créature (ressemblant à un arbre) en train de menace un couple. L’homme n’a pour se défendre qu’une simple torche. Le rapport de force semble, à l’évidence, en faveur de la créature végétale. Mais l’homme ne se démonte pas. Il hurle vers son adversaire « Je ne suis pas effrayé, Groot ! Tu ne prendras jamais notre ville ! Je trouverais une manière de te stopper ! » Plus loin, un sous-titre pose plus clairement la problématique de cette situation : « comment un humain pourrait-il vaincre ce qui est invincible ? ».
Mais dans une scène digne des « Envahisseurs » (pas l’équipe rétro-active publiée plus tard par Marvel Comics mais bien la série TV mettant en scène David Vincent), Leslie freine d’un coup sec. Alice lui demande ce qu’il se passe mais son mari pointe le doigt vers le ciel. Il montre une étrange lumière qui semble tomber vers le sol. Au bout de ce faisceau lumineux on devine comme deux bras et deux jambes… l’esquisse d’une forme humanoïde ! La forme brillante se pose quelque part dans un bois proche. Leslie décide alors d’aller voir de quoi il retourne. Mais la femme s’y oppose : « Oh non Leslie ! Il est tard et je suis fatiguée ! Retournons à la maison ! ». En une réplique, Alice arrive donc à se montrer (trop) cartésienne, fainéante et peu curieuse. Le reste de l’histoire lui donner tort, bien sûr. Comme visiblement c’est elle qui « porte la culotte », Leslie s’exécute et le couple reprend le chemin vers la maison sans se poser plus de questions.
Alice, visiblement championne lorsqu’il s’agit de rabaisser son mari, lui rétorque : « Très bien. Mais cela te ferait sans doute plus de bien si tu marchais pour y aller ! Tu durcirais un peu tes muscles ! ». Une fois encore on voit à quel point Alice n’a pas le mari qu’elle voudrait. Et Leslie lui-même s’en rend compte : « Les remarques d’Alice à propos de ce qu’elle considérait comme ma mollesse m’énervait d’habitude… Mais ce soir-là j’avais autre chose à l’esprit ! ». Leslie a en effet l’étrange intuition qu’il y a un lien entre tous ces événements. Que la disparition des arbres et de la palissade est liée à l’objet lumineux qu’il a vu se poser. Après s’être garé à l’entrée de la forêt et marché à travers les arbres, Leslie remarque d’ailleurs de loin une zone très lumineuse. Il comprend que l’objet continue de briller : « Quoi que soit cette chose, elle doit être très puissante pour émettre autant de lumière ! ». En fait il ne voit pas la chose, ne comprend pas ce qu’elle peut être. Ce n’est que quelques instants plus tard, lorsqu’il débouche dans une clairière, qu’il la voit vraiment… et que son esprit ne peut se résoudre à en croire ses yeux : « Non, ce n’est pas possible ! Ça n’existe pas ! Et pourtant c’est là ! Je peux l’observer ! ».
Quelques minutes plus tard Leslie est dans les locaux de la police, racontant son histoire de géant végétal qui absorbe tout ce qui est fait en bois. Pour une fois nous n’avons pas droit à la classique scène d’incrédulité où le shérif doute de la santé mentale de son témoin. Non. Pas le temps. Leslie a à peine fini sa phrase qu’un policier fait irruption dans le bureau pour prévenir qu’un monstre brillant se dirige vers la ville. L’agent estime que la créature fait dans les 15 mètres de haut ! Bientôt les habitants des environs tentent d’installer une barricade pour empêcher le géant de s’approcher plus. Pour la petite histoire la barricade semble faite à partir de charrues et de bouts de bois. Ce n’est pas vraiment ce qui risquerait d’arrêter la créature.
Et pourtant le monstre s’immobilise et s’adresse enfin à la population. Car l’entité peut parler : « Terriens, écoutez-moi ! Je suis Groot ! Le monarque de la planète X ! Je viens pour m’emparer d’un village terrestre, VOTRE village, et le ramener sur ma planète. Nous voulons vous étudier et nous livrer à des expériences sur vous ! ». Autant dire que cette perspective ne fait sauter les humains de joie ! Ils crient à Groot de retourner dans son monde d’origine avant qu’ils le détruisent. Furieux, Groot les prévient qu’il est futile de résister. Groot est tout
Le shérif n’est pas disposé à se laisser faire et prévient Groot qu’ils le détruiront avant qu’il puisse mettre son plan à exécution. Mais Groot se moque de lui. Il défie les humains. Ils n’ont qu’à lui tirer dessus et ils verront ! La police s’apprête à tirer mais, sur une impulsion soudaine, Leslie grime sur la barricade et défie Groot : « Tu peux peut-être supporter nos armes mais, par les cieux, je promets, moi seul, de te détruire avant que tu puisse t’emparer de notre ville ! » Ça ne calme pas vraiment Groot. Au contraire, le monarque de la planète X est vexé qu’un avorton puisse vouloir se mesurer à lui. Groot est bien décidé à l’écraser comme un insecte. Leslie tourne alors les talons et s’enfuit. Les policiers l’observent : « Regardez ! Il prend la fuite ! Je ne le blâme pas ! ». De loin Groot lui hurle qu’il n’est qu’un couard, qu’il lui fera payer son défi !
Pendant que Leslie s’enfuit, il entend le shérif qui donne l’ordre de tirer. Mais il entend aussi la panique des policiers qui se rendent compte que leurs balles sont sans effet. Elles touchent Groot mais ne s’enfoncent pas assez loin pour toucher des organes vitaux. En désespoir de cause les défenseurs de la ville allument alors des torches, espérant repousser le monstre avec le feu. Mais ils n’ont pas plus de chance : le bois dont est fait Groot est trop dense pour brûler ! L’extra-terrestre se moque d’eux : « Voyez comment je résiste à vos armes ! Rien ne peut me détruire ! Rien ! ». Et inversement Groot décide de montrer que ses annonces n’étaient pas de vaines menaces. A son signal les arbres de la forêt voisine s’animent soudainement. La scène fait un peu penser à du Tolkien et en particulier un passage du Seigneur des
Pendant ce temps Leslie est retourné à son laboratoire. Bien sûr il peut compter sur le soutien moral de son épou… ah non, Alice ne manque pas cette nouvelle occasion de le rabaisser. Elle l’engueule carrément : « Pourquoi est-ce que tu te cache ici ? Pourquoi n’est-tu pas en train de te battre au côté des autres hommes pour arrêter ce monstre ? Dois-tu être faible et lâche jusque dans tes derniers instants ? ». Là, Leslie pourrait se retourner et lui dire qu’elle est bien gentille mais que s’ils avaient vérifiés la nature de l’objet lumineux dès le premier soir, comme il le voulait lui, ils auraient pu percevoir la menace avant que Groot devienne si gros. Mais Leslie est préoccupé par autre chose. Penché sur un microscope, le savant observe quelque chose. Leslie travaille jour et nuit et encore la journée suivante. Au crépuscule les arbres ont encerclés la ville, leurs branches traversent les rues. Le plan de Groot est en train de se réaliser !
Modeste, Leslie se contente d’expliquer qu’il a simplement utilisé le plus terrible ennemi du bois : les termites ! Il les a élevé en laboratoire puis les amené ici avant de les lâcher sur Groot. On en déduira que Leslie a sans doute créé des termites génétiquement modifiées, plus voraces, pour que leur effet ait été si soudain. Le shérif est sidéré : « Je n’aurais jamais pensé à ça ! ». Un autre homme lui rétorque : « C’est pour ça qu’Evans est un scientifique tandis que vous êtes seulement un shérif ! ». Maintenant consciente que son mari les a tous sauvés, Alice se précipite au cou de son mari : « Oh, chéri ! J’ai été une telle idiote ! Je ne me plaindrais plus jamais à ton sujet ! Jamais ! ». Et le narrateur (on comprend que c’est la voix de Leslie) de conclure : « Et ainsi la fin de Groot marqua pour moi le début d’une nouvelle et meilleur vie ! ».
Groot meurt donc à la fin (disons que les humains de ce récit sont sans doute incapables de détecter des signes vitaux d’un extraterrestre) et mettra des décennies avant de jour à nouveau un rôle actif dans un comic-book de Marvel. De nos jours on le retrouve dans les rangs des Guardians of the Galaxy mais dans une forme… hum… tronquée. Le Groot vu dans les Guardians
Le Groot moderne n’a pas été confronté à nouveau à des termites. D’ailleurs c’est finalement l’autre retombée potentielle de cet épisode. Leslie Evans, spécialiste des termites au point d’être capable de repousser une attaque extra-terrestre, semble un peu sortir du même moule qu’Henry Pym. Est-ce qu’il y aurait matière à un « Termite Man » ? Allez savoir. On a vu des choses plus étranges se produire…
[Xavier Fournier]
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