[FRENCH] Une partie importante de l’histoire de la BD américaine fut écrite ailleurs que dans les comic-books. C’est dans la presse quotidienne et hebdomadaire que le Phantom (véritable ancêtre de la plupart des super-héros) a vécu le plus clair de ses aventures. Un personnage imposant (surnommé « L’Ombre qui marche ») qui veillait sur la jungle depuis des siècles puisque le titre de Phantom se passait de père en fils. Seulement voilà : Que ce serait-il passé si, au fil des générations, c’était une fille qui avait repris le flambeau ? En 1952, on nous donnait enfin la réponse de ce qui s’était passé le jour où « L’Ombre » avait marché… comme une femme !
Pour ceux qui prendraient le train en marche, résumons brièvement la légende du Phantom, création de Lee Falks (par ailleurs également le « papa » de Mandrake). Il y a quelques siècles de cela, en 1536 (soit pile 4 siècles avant le démarrage du strip du Phantom), un certain Christopher Walker se trouvait à bord d’un bateau attaqué par des pirates. Après s’être échoué sur la côte, Walker trouva refuge dans la jungle, plus précisément dans une grotte surmontée d’un monticule en forme de crâne, sur le territoire des terribles pygmées Bandar (on ne rit pas, SVP). Walker deviendra l’ami des Bandar, découvrant qu’ils sont sous la domination d’une autre tribu, les sanguinaires Wasaka. L’homme blanc se déguise alors en s’inspirant de l’apparence du démon adoré par les Wasaka en enfilant un costume noir et pourpre. Convaincus d’être en face d’un être magique, les Wasaka prennent la fuite et Christopher, conservant le costume, devient le premier Phantom de l’Histoire. Le Phantom, c’est le chaînon manquant entre Tarzan et Batman. D’un côté monarque de la jungle, il utilise des méthodes qui seront quelques années plus tard celles du héros chauve-souris de Gotham City. Par la suite, plusieurs générations se succédèrent au poste de Phantom (ce qui permettait à l’auteur, Lee Falk, de parfois remonter le temps et s’intéresser à certains Phantoms précédents). Mais comme l’uniforme du héros comporte un masque, les nombreux malfaiteurs s’égarant dans la jungle et les indigènes superstitieux s’imaginèrent tous que le héros était soit ce qu’il prétendait (un fantôme) soit une sorte de créature éternelle.
Cette mécanique générationnelle suppose deux choses. D’abord qu’il n’y ait pas eu d’union interethnique : Le Phantom, proche voisin des pygmées, aurait du en tout logique être de plus en plus petit et de moins en moins blanc au fil des générations. Mais à cette époque où l’Amérique pratiquait encore la ségrégation, l’idée qu’un héros vive dans la jungle et fasse ami-ami avec des pygmées était déjà en soi assez révolutionnaire. Parler de marier le Phantom avec une indigène de la jungle en aurait sans doute choqué quelques-uns dans les états du Sud. Les aventures des Phantoms passés racontèrent donc à plusieurs reprises comment tel ou tel ancêtre avait pu séduire une femme blanche de passage dans la jungle (exploratrice, institutrice…), si possible au moment où un prêtre missionnaire était lui aussi présent dans le secteur, se faisant guider (les yeux bandés) jusqu’à la grotte du Phantom pour y célébrer un mariage religieux en bonne et due forme. C’est qu’il n’aurait pas fallu non plus insinuer qu’au fil des siècles la lignée du Phantom était devenue païenne ou athée. Dans les USA, certains lecteurs puritains ne l’auraient pas toléré. Le meilleur exemple de cela est d’ailleurs une certaine « affaire Tarzan ». Le Phantom a été publié pour la première fois aux USA en février 1936. Et l’aventure dont nous parlons aujourd’hui est parue, elle, en 1952. Mais dix ans plus tard, l’idée d’un homme et d’une femme vivants sans surveillance dans la jungle posait encore problème : En 1962, une bibliothécaire de Los Angeles parla de retirer les romans de Tarzan des rayons « parce qu’il vivait dans le péché aux côtés de Jane » [1].
Mais revenons au Phantom : L’autre aspect problématique de ce concept de lignée inaltérée à travers les âges est qu’elle laissait envisager une sorte de contrôle des naissances, comme un superpouvoir jamais évoqué qui aurait permis aux Phantoms de n’avoir que des garçons. Depuis des siècles, il semblait bien qu’il n’y avait pas eu de naissance féminine dans cette étrange famille perdue dans la jungle. Tout ça nous amène donc à l’histoire d’aujourd’hui, « The Female Phantom », qui est initialement parue dans la presse américaine dans les Sunday Strips du Phantom entre le 20 juillet 1952 et le 12 octobre de la même année.
Forcément, ce titre de « Female Phantom » dévoile une bonne partie de l’intrigue. Dans cette aventure, nous allons effectivement découvrir une version féminine du Phantom, une héroïne qui est un peu au « Fantôme de la Jungle » ce que Supergirl est à Superman. Mais qui est-elle puisque, comme nous l’avons vu, le processus pour importer des femmes blanches à proximité du héros est déjà assez compliqué ? Serait-ce Diana Palmer (la fiancée traditionnelle du Phantom moderne, qui a fini par l’épouser en 1977) ? C’est ce que semblent nous raconter les premières cases puisqu’elles montrent le retour de la belle Diana dans la jungle des Bandar. Mais attention : pour bien nous montrer que la jeune femme ne dort pas sous le même toit que le Phantom, la deuxième vignette nous montre bien la hutte qui est mis à sa disposition dans le village Bandar. D’ailleurs elle n’a aucune envie de batifoler. Après une précédente aventure aux côtés du Phantom elle veut seulement goûter aux joies du farniente et jouer à la touriste pin-up. Son jour de repos commence donc par une séance de bronzage en pleine jungle… où un félin manque de la croquer. Heureusement, il y a toujours un Bandar caché quelque part pour veiller sur elle et une flèche surgit de nulle part pour trucider le fauve.
Le bronzage gâché, Diana décide alors d’aller se baigner mais forcément elle est prise en chasse par un crocodile (Oui, pas de chance. Décidément, la jungle du Phantom ne se prête pas aux vacances). Là encore, une flèche de Bandar la sauve de justesse. Elle sort donc de la rivière pour se rabattre sur l’équitation. Mais sa monture tombe dans un piège à tigre et il faut près d’une heure pour sortir le cheval de ce mauvais pas. Quand Diana croise à nouveau le Phantom, ce dernier ignore les événements de la journée et lui demande innocemment comment les choses se sont passées. La jeune femme, très fière, préfère se taire sur ses mésaventures et dire qu’elle va se reposer dans sa hutte.
Le lendemain, décidée à passer la journée avec son ami, Diana demande à un Bandar où se trouve le Phantom. On lui répond qu’il est dans sa caverne et elle ne manque donc pas de s’y aventurer, en particulier dans une « aile » de la grotte où elle n’est jamais allé : la crypte où reposent les générations précédentes de Phantoms. Là, elle trouve le héros en train d’écrire la chronique de ses derniers exploits. La tradition veut en effet que chaque Phantom note scrupuleusement ses exploits dans des « livres de bords » qui sont conservés pour parfaire l’éducation de leurs descendants. Le Phantom actuel montre ainsi à Diana la bibliothèque où sont conservés les nombreux volumes précédents. Mais Diana tombe aussi sur un vestiaire plein de… costumes du Phantom. Le héros explique que ce sont ceux que portaient ses prédécesseurs. Problème : Diana farfouille dans le meuble et trouve un costume qui a visiblement été déformé par… une poitrine féminine. Il y aurait eut une femme Phantom ? Même le héros actuel avoue ne jamais en avoir entendu parler…
Forcément, Diana ne peut résister à l’idée d’enfiler le costume. Vous aurez d’ailleurs remarqué que Diana a le comportement du stéréotype de chipie (Lois Lane, Vicky Vale…) propre à la BD d’avant la libération de la femme. Bien qu’étant l’amie du Phantom elle est d’un naturel oisif et insiste pour profiter d’un jour de repos malgré des contextes dangereux, de manière totalement irresponsable. Elle s’aventure dans la crypte de son ami sans spécialement qu’on l’ai invité et quand le Phantom lui montre la somme de toute sa mémoire familiale (la bibliothèque) Diana détourne le regard pour s’intéresser aux vêtements… Parce qu’elles sont comme ça les femmes si on en croit la plupart des BD de l’époque. Elles sont inconscientes en face du danger. Elles tirent au flanc et ne s’intéressent qu’à des questions vestimentaires même au milieu de la jungle (une poignée d’héroïnes comme Wonder Woman faisant exception mais en n’échappant pas toujours à une partie de ces clichés…). Et bien sûr, alors qu’un nouveau mystère éveille l’intérêt du Phantom la réaction de Diana c’est d’enfiler le costume d’une morte, acte qui ne sert pas à grand-chose. Le héros lui, en voyant l’étoffe, à tout de suite compris que le costume devait remonter environ un siècle en arrière. Il en déduit donc quel Phantom était en vie à cette époque et s’empare du volume où son prédécesseur de 1852 a noté ses mémoires. Forcément, Diana est peu intéressée par la recherche fastidieuse. Après s’être montrée dans le costume féminin, elle décide de laisser l’homme à son livre et de repartir se changer…
Le temps qu’elle revienne, le Phantom a ainsi appris toute l’histoire dans le livre : en août 1852 son arrière-arrière grand-père a eut des jumeaux : d’un côté l’arrière grand-père du héros actuel, nommé Kip (mais c’est normal, tous les enfants mâles s’appellent Kip dans cette famille jusqu’au moment où ils remplacent leur père et deviennent le Phantom à plein temps). L’autre enfant était une fille prénommée Julie. Bien sûr, c’est le Kip de 1952 qu’on a formé et éduqué en vue qu’il prenne la place de son père. Mais la jeune Julie était aux côtés de son frère pendant tout son apprentissage.
Un jour leur père est tué lors d’une de ses aventures et Kip va dans la grotte pour en ressortir habillé en Phantom, alors qu’au terme du rituel les Bandar crient « Longue vie au Phantom ». Ainsi l’arrière grand-père du héros contemporain devient à son tour l’Ombre qui marche tandis que Julie constate combien son frère a l’air changé, maintenant qu’il porte le costume « familial ». Quelques jours plus tard, ce Phantom du dix-neuvième siècle débute sa première mission : des pirates ont capturé le nouveau missionnaire sur la proche rivière.
A ce stade, Diana Palmer interrompt le récit actuel du Phantom pour noter que Devil, le chien du héros, est arrivé dans la grotte et que, selon la jeune femme, « il veut lui aussi entendre l’histoire ». Ce qui bien sûr au premier degré fait une nouvelle fois passer l’amie du Phantom pour une idiote. En fait cette case découle du système de récit hebdomadaire. Les jeunes lecteurs pouvaient retrouver le strip une fois tout les dimanches, à raison d’une page par semaine. Il fallait donc qu’à chaque nouvelle page la case en haut à gauche permette de rafraichir la mémoire au public. En l’occurrence, cette case où Diana prétend que le chien s’intéresse à l’histoire (et induit qu’elle est capable, elle, de comprendre le chien) a pour but de permettre de souligner que le Phantom est dans sa grotte, en train de reprendre sa narration, et que le reste de la page est un flashback. Diana est une idiote mais cette fois pour une raison « technique ».
Le Phantom du dix-neuvième siècle s’apprête donc à partir à l’aventure mais l’ennui c’est que sa sœur, qui finalement a aussi bien été formée que lui à ce poste, exige de le suivre. Le Phantom proteste : « Julie, ca n’a rien d’un jeu. Ces pirates ont capturé le nouveau missionnaire, ce sont des durs… ». Mais rien n’y fait, la jeune femme fait observer qu’elle sait aussi bien tirer que son frère. Et le narrateur commente : « Et comme toutes les femmes en ont l’habitude, elle eut le dernier mot. ».
Au bord de la rivière on retrouve donc les jumeaux cachés derrière un arbre, observant de loin le bateau des pirates. Julie ne peut s’empêcher de s’étonner que les malfaiteurs s’affichent ainsi en plein jour, comme s’ils ne risquaient rien. Mais le Phantom explique : « Il n’y a aucune force de police dans la jungle, en dehors de moi. Nous allons attendre jusqu’au crépuscule… ». Forcément, comme Diana un siècle après elle, Julie est curieuse et elle continue d’observer le bateau grâce à des jumelles. Elle aperçoit ainsi le missionnaire… et le trouve mignon (on en déduira que c’est un pasteur et pas un curé, sinon là aussi les lecteurs et surtout les parents des lecteurs auraient sans doute tiqué sur cette blonde en pagne lorgnant les prêtres au milieu de la jungle)…
Quand la nuit arrive ce Phantom nage jusqu’à l’embarcation et se hisse à bord. Mais il est repéré avant d’avoir atteint le prisonnier. Une bagarre s’engage. Dans la cohue, néanmoins, le héros est blessé par balle. A nouveau, l’histoire s’interrompt le temps qu’en haut de la page suivante (et donc d’une nouvelle semaine) Diana souligne l’évidence en parlant au Phantom contemporain : « Continue ! Qu’est-il arrivé après que les pirates de la rivière aient tiré sur ton arrière grand-père, le Phantom de l’époque ? Il doit avoir survécu, pour écrire ce que tu es en train de lire. ». Merci de cette lapalissade, Diana. Imperturbable le Phantom de 1952 reprend sa lecture… Le Phantom du 19ème siècle git, blessé, entouré de pirates. Mais ceux-ci décident de ne pas se donner la peine de l’achever. Ils le jettent par-dessus bord, convaincus qu’il se noiera ou sera dévoré par les crocodiles. A peine conscient, le Phantom arrive difficilement à garder la tête hors de l’eau… Mais un crocodile ne tarde pas d’arriver vers lui avec une intention manifeste : passer à table.
Forcément, Julie a observé la scène de loin et saute à l’eau. Elle commence à ramener son frère vers la rive. Mais incapable de distancer le monstrueux reptile tout en remorquant le Phantom, elle décide de passer à un autre plan. Elle laisse flotter son jumeau à la surface… et part à l’assaut du crocodile pour le tuer, armée de son seul couteau. Et elle réussit ! Mieux, elle ramène ensuite le Phantom à travers la jungle en le portant sur ses épaules. Et le commentateur explique : « Si cela parait dur à croire, souvenez-vous qu’elle fut élevée avec lui et qu’elle était presque aussi forte qu’il l’était ».
A ce stade, après que nous ayons souligné le portrait assez misogyne de Diana, il convient de souligner que Julie est présentée d’une manière bien différence, comme une femme plus efficace. Certes on nous dit qu’elle est « presque » aussi forte que son frère mais enfin les exploits de ce dernier se bornent pour l’instant à échanger quelques coups de poings avant de se faire tirer dessus. En quelques cases, Julie a tué un énorme crocodile et traversé la jungle de façon experte. Il faut donc insister sur le fait que Lee Falk et son collaborateur Wilson McCoy n’étaient pas spécialement « machos » pour les canons de l’époque et que bien Diana soit traitée comme une potiche, Julie est un personnage autrement mis en valeur. D’ailleurs il y a sans doute un principe de « vase communiquant » à l’œuvre. Dans d’autres aventures du Phantom contemporain, Diana l’avait aidé de façon réelle et moins « oisive » que nous l’avons vu en début d’histoire. Sans doute que pour faire ressortir a ténacité de Julie les auteurs ont eut, plus ou moins consciemment, tendance à estomper celle de Diana.
De retour à la grotte, les Bandar s’occupent du Phantom du 19ème mais, comme le constate Julie : « Il faudra des semaines avant qu’il se porte assez bien pour se mesurer à nouveau aux pirates de la rivière. D’ici là, il sera trop tard… ». Morose, Julie s’assoit sur le trône du Phantom (ce qui est déjà en soi une indication de la décision qu’elle va prendre, seul le Phantom est supposé y siéger) et se lamente sur le sort du beau missionnaire : « Pourquoi n’ai-je pu le sauver, lui ? ». Finalement elle réalise que si elle attend la fin de la convalescence de son frère, l’autre homme sera mort depuis longtemps. Elle décide donc de se coudre un costume de Phantom et attend la nuit pour que son frère malade ne s’aperçoive pas de sa disparition. Et puis dans la pénombre il y a moins de chance qu’on aperçoive sa poitrine, elle pourra donc mieux passer pour LE Phantom immortel qui fait peur à la jungle depuis des siècles. Le missionnaire, lui, est toujours attaché sur le bateau et on comprend que les pirates l’ont enlevé parce qu’il s’était opposé à leur trafic. D’ailleurs ils ont décidé de le tuer le soir même. Julie, qui a observé la scène de loin, comprend qu’il faut passer à l’action. C’est à son tour de se hisser sur le bateau tandis que les pirates, eux, font la fête. Ils sont convaincus que le Phantom a été dévoré par les crocodiles.
Julie est en train de détacher le missionnaire quand elle est surprise par l’arrivée de deux pirates éméchés. Parmi eux, le capitaine du bateau est encore assez lucide pour s’étonner que le Phantom ait désormais des formes féminines. Sans se démonter, Julie affirme alors qu’elle « l’Ombre qui marche », qui revenue sous la forme d’une femme pour mieux hanter les pirates. Mais ce coup de bluff ne marche pas avec tout l’équipage. Un des marins voit clair dans son jeu et tente, avec son sabre, de la surprendre par derrière. Heureusement le jeune missionnaire est là et met KO le seul pirate qui ne croyait pas à l’histoire. Julie menace alors d’exécuter le capitaine si tout l’équipage ne se rend pas. Tandis que le missionnaire tient en respect les marins, Julie plonge à l’eau puis remonte à cheval pour aller trouver la Patrouille de la Jungle et la prévenir en pleine nuit de la présence des pirates. Arrivés au bateau, les patrouilleurs félicitent le missionnaire d’avoir capturé à lui seul toute la bande. Et quand l’homme mentionne une femme qui l’aurait aidé, personne ne comprend de qui il parle. Finalement, resté seul un moment, il est confronté à Julie et lui demande qui elle est. Mais la femme hésite à lui révéler les secrets de sa famille. Elle préfère disparaître en lui souhaitant bonne chance…
De retour à la grotte, Julie est accueillie par son frère blessé avec des félicitations pour le moins bizarre : « Julie ! J’ai entendu à propos des pirates ! Tu as été merveilleuse – mais ne fait plus jamais ça ! ». On se demande bien de quel droit ce Phantom, qui s’est révélé bien moins adroit que sa sœur, peut lui donner ce genre d’ordre.
Cela passe néanmoins au dessus de Julie, qui commence à pleurer en expliquant juste qu’elle « veut être comme les autres filles, porter de jolies robes et… bou-hou… ». Et, ca c’est un langage que comprend d’office la Diana de 1952 (vous me direz, après tout, elle comprend les chiens, alors…) tandis qu’elle se fait raconter ces événements : « Je le savais ! Elle était amoureuse du missionnaire ! Ne me dis pas que l’histoire s’arrête là ! ». Et le Phantom de 1952 la rassure : il reste encore une page…
Remis sur pied, le Phantom du 19ème achète une jolie robe à sa sœur et lui demande de l’accompagner. Ensemble, ils se rendent jusque chez le missionnaire et se cachent dans les buissons pour l’observer. Le Phantom demande : « Est-ce que c’est l’homme à propos de qui tu as des pensées ? ». Julie, qui refuse d’admettre ses sentiments, objecte : « Détrompe-toi Kip ! C’est le missionnaire que j’ai sauvé des pirates. Que faisons-nous ici ? ». Sans perdre de temps le Phantom va voir l’homme : « Ma sœur est amoureuse de toi. Qu’est-ce que tu compte faire à ce sujet ? ». Le missionnaire est surpris par l’arrivée de cet inconnu mais reconnait le costume. Il en déduit que la sœur en question est la femme qui l’a sauvé… Mais elle émerge soudain des buissons, furieuse que le Phantom l’ai ainsi « doublée ». Elle annonce alors ne plus jamais vouloir revoir les deux hommes et s’apprête à disparaître quand le missionnaire s’élance derrière elle en hurlant le prénom de Julie (bien que rien dans l’histoire n’explique comment il le sait). Il lui déclare alors sa flamme… Et visiblement ca marche car le Phantom contemporain termine l’épisode en expliquant qu’ils se marièrent, eurent quatre enfants et vécurent heureux après ça. Je vous disais, plus tôt, qu’il avait toujours tout un mécanisme scénaristique pour justifier l’existence de mariages dans la jungle. Le missionnaire, cette fois-ci, tenait aussi le rôle du futur mari…
La semaine suivante, le Phantom moderne et Diana se lançaient dans une autre affaire et la brève existence d’une femme Phantom ne semblait pas avoir marqué les foules. C’est que le 20 juillet, début de l’aventure, les lecteurs avaient d’autres chats à fouetter. Non seulement à ce moment-là une partie du monde avait les yeux tournés vers les Jeux Olympiques d’Helsinki mais en prime, aussi incroyable que cela puisse paraître, dans la nuit du 19 au 20 juillet, une vague d’OVNI avait été vue à proximité de Washington (ah, les années 50, toute une époque), alimentant les discussions dans les semaines suivantes. Julie Walker semblait donc promise aux limbes, aussi vite inventée qu’oubliée. Et puis il y avait ce barrage temporel qui faisait qu’elle vivait dans un siècle révolu et qu’il était difficile de lui donner un rôle dans les aventures contemporaines de la série. Pourtant, comme nous l’avons vu, il y avait le potentiel pour que Julie soit avant l’heure ce que Supergirl serait plus tard à Superman… Aux USA, la carrière costumée de Julie se limiterait esssentiellemennt à çà….
Mais le propre du Phantom c’est d’être un succès planétaire, avec des éditeurs très actifs et créatifs dans d’autres contrées (Australie, Inde, Europe du Nord ou même en France ce fut un véritable phénomène jusque dans les années 50/60). Edgemont (éditeur du Phantom en Norvège) dépoussiéra plus tard le personnage de Julie pour lui donner quelques aventures solo dans ses propres publications). La jungle étant un environnement intemporel, les auteurs purent envisager des aventures qui lui permettaient d’affronter d’autres pirates ou indigènes sans que les choses soient trop « datées » pour les lecteurs. Cependant, si Julie avait été la sœur jumelle du Phantom actuel, elle aurait sans doute eu une carrière toute autre… C’est un peu un rendez-vous manqué avec un dérivé qui aurait pu avoir beaucoup plus de potentiel et il est ironique que l’héroïne ait finalement connue plus de succès en dehors des USA.
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Xavier Fournier]
[1] Elle avait doublement perdue une bonne occasion de se taire. Non seulement elle faisait preuve d’un raisonnement d’arrière-garde mais en plus son affirmation était fausse : Tarzan et Jane Porter se marient bel et bien à la fin du second roman (dont la première parution remonte à 1913). La pauvre bibliothécaire bigote n’avait pas lu les romans et se basait sur… ce qu’elle avait vu dans les films.