Oldies But Goodies: The Spirit (5 Janvier 1941)
20 juillet 2013[FRENCH] Le Spirit de Will Eisner est plutôt connu pour sa horde de mangeuses d’hommes, de femmes fatales en tous genres. Si bien qu’on aurait tendance à oublier que ce héros masqué, vague descendant du Shadow ou du Green Hornet, a commencé sa carrière dans des conditions plus classiques, affrontant des super-vilains qui n’auraient pas fait tâche chez DC, Marvel ou Fawcett Comics…
En 1940 Will Eisner lança The Spirit : Denny Colt, après être passé pour mort (ou même après avoir été tué et ramené à la vie par un liquide aux propriétés mystérieuses, les interprétations de l’origine diffèrent) décide de devenir un enquêteur indépendant sous l’identité du Spirit (l’Esprit, dans le sens du « revenant »). Comme pour beaucoup de héros de BD de l’époque, Eisner va baser son personnage dans une ville fictive au nom assez générique… Central City. Bien des années plus tard DC Comics choisira également ce nom pour la ville où habite Flash (Barry Allen) et on ne sait pas trop s’il s’agissait d’un hommage conscient au Spirit ou bien si, à une quinzaine d’années d’écart, les deux auteurs sont tout simplement tombés sur un même nom logique pour identifier une ville centrale. Dans la mythologie du Spirit il y a aussi un autre lieu très symbolique : Après être devenu le Spirit, Denny Colt choisi comme base secrète (l’équivalent de sa Batcave si vous voulez) son propre tombeau dans le cimetière de Wildwood. Vu que la Batcave mettra quelques années à se mettre en place et à prendre l’apparence qu’on lui connaît (au début c’est avant tout une sorte de hangar), on pourrait même dire que le caveau de Colt, à défaut d’avoir existé avant le repaire de Batman, le devance sur le plan stylistique et architectural).
Rétroactivement on insiste souvent sur le fait que le Spirit était avant tout un héros de strip, publié d’abord dans la presse hebdomadaire (sous la forme d’un supplément du dimanche) et réimprimé seulement par la suite à l’intérieur de comic-books édités par Quality Comics. La chose a de quoi surprendre le public contemporain des lecteurs de comics, pour qui le fascicule est le format à la fois principal et classique. Mais il faut remettre les choses dans le contexte. Le comic-book descend bien du strip de presse. D’ailleurs les premiers comics n’étaient rien d’autre que des suppléments du dimanche produits pour les journaux qu’on avait décidé de rentabiliser en en faisant des objets autonomes et plus intemporels, qu’on pouvait donc vendre même quand le journal d’une date précise avait terminé sa vie. De nombreux personnages très populaires viennent des strips, qu’il s’agisse de Prince Vaillant, Dick Tracy, Buck Rogers ou encore Flash Gordon. Et, pendant longtemps, le marché principal sera resté sur le créneau des strips. Il y avait de l’argent à se faire en plaçant ces héros dans différents journaux américains, avec – tout cumulé – un public énorme. Les comics n’étaient, au début, qu’une manière secondaire de faire monétiser les invendus. Penser un héros d’abord pour les strips et seulement ensuite pour les comics n’était donc pas une première. Mais sans doute le Spirit est-il à prendre comme le fruit d’une période charnière, celle où les grandes références des strips de presse allaient progressivement commencer à s’estomper et où la migration inverse allait s’effectuer (des personnages de comics comme Superman ou Batman étant adaptés en strip).
De facto, c’est cette différence de support (et aussi la disparition de Quality) qui fera que, plus tard, Eisner pourra conserver la maîtrise de son personnage, à la différence de ce qui a pu arriver à des Siegel & Shuster, Simon & Kirby, Bill Everett ou autres Bill Finger… Mais c’est aussi une ambivalence à prendre en compte dans la genèse du personnage et dans les premiers mois de son existence. A bien des égards Will Eisner apportait, via le Spirit, les codes du comic-book dans le support du strip. Il allait vite s’émanciper des uns et des autres pour produire quelque chose de plus personnel (et l’épisode dont nous traitons aujourd’hui le démontrera d’ailleurs) mais la vérité est là : Dans les premiers temps le Spirit était un super-héros, d’autant plus qu’il avait des racines clairement identifiables.
Même si, au fil du temps, Will Eisner est devenu un vibrant avocat des droits d’auteurs et de la reconnaissance des créateurs, le concept de propriété intellectuelle restait quelque chose d’abstrait en 1940 (qui plus est pour la BD, qu’on jugeait alors peu importante). Eisner a trempé dans différents cas de plagiats de super-héros (ou plus exactement il s’est fait prendre dans ces cas, car la chose été généralisée à l’époque et les Siegel, Shuster, Simon, Kane et autres ont eux aussi puisé dans l’imagination de leurs prédécesseurs). Eisner a été le co-créateur de Wonder Man et de Master Man, deux personnages qu’on pourrait qualifier de clones créatifs de Superman. Il a aussi co-créé Wonder Boy, qui n’est jamais qu’un Superboy qui ne dit pas son nom (encore que DC n’a utilisé Superboy plus tard, mais le physique et les conditions de son origine sont si proches de Superman qu’on se demande comme DC Comics n’a pas attaqué là aussi). En novembre 1936 George Brenner avait créé un héros nommé The Clock, qui portait un costume de ville sombre et un simple masque lui cachant le visage. D’abord publié par The Comics Magazine Company, The Clock avait été plus tard récupéré par Quality Comics (l’éditeur qui allait réimprimer au format comics les strips du Spirit). L’influence du Clock sur le Spirit est manifeste. Mais Everett « Busy » Arnold, le patron de Quality, aimait (dit-on) avoir différents personnages similaires dans sa gamme, de manière à être sur de pouvoir avoir un produit de substitution au cas où il se serait brouillé avec un auteur. D’ailleurs en janvier 1941 Quality allait aussi lancer un clone du Spirit nommé Midnight (le motif de l’horloge étant omniprésent dans les histoires, Midnight est autant un descendant du Clock que du Spirit mais en un sens ils sont trois facettes d’un même personnage). L’histoire retient généralement que Busy Arnold aurait commandé la création de Midnight parce qu’il avait peur qu’avec Will Eisner partant pour la guerre il risquait de se trouver à court d’histoires du Spirit. Mais ça ne colle pas. D’abord parce que tandis qu’Eisner était sous les drapeaux les aventures du Spirit, confiées à des assistants, ne s’arrêtèrent pas pour autant. Ensuite parce que Midnight a été publié pour la première fois dans Smash Comics, daté de janvier 1941 (mais, selon le système américain, vraisemblablement en vente dans les kiosques dès novembre ou décembre 1940). A l’époque l’Amérique n’était pas entrée dans la guerre et la question d’un départ d’Eisner à l’armée ne se posait pas !
Et pourtant, quand même, il y a bien un écho des événements européens dans l’épisode du Spirit que nous allons parcourir : « Chaque années des milliers d’immigrants viennent à Central City, cherchant refuge dans le grand « melting pot » qu’est l’Amérique, amenant avec eux le Bien et le Mal d’un monde en flammes… ». Pour ceux qui auraient besoin qu’on leur rafraichisse la mémoire, soulignons que cet épisode parait début 1941. C’est à dire que la Seconde Guerre Mondiale s’étend déjà en Europe, en Afrique, en Asie… mais que les USA ne sont encore entrés dans le conflit. Ce qui fait qu’on peut encore les voir comme un havre de paix. Et sans doute d’ailleurs qu’Eisner ne fait ici que s’inspirer de ce qu’il peut voir dans les rues de New York : de nouveaux arrivants fuient alors la violence du reste du monde et arrivent en Amérique en espérant que ce continent-là, du fait de son isolement géographique, ne sera pas happé par les évènements. On a vu par la suite qu’il n’en a rien été… Mais reprenons ce que nous raconte notre ami le narrateur : « … Car le Mal ne connaît pas de frontière et voyage rapidement via les mauvais hommes… Mais qu’ils prennent garde car au nord s’étend le cimetière de Wildwood où vit le plus puissant adversaire du crime… le Spirit !
Pour ce qui est du « mauvais homme » de cet épisode, on n’aura pas besoin d’attendre quelques pages ou même quelques cases pour faire sa connaissance. Will Eisner nous le présente dès la première page. Tandis que dans l’arrière-fond se dessine le visage du Spirit, comme s’il était dessiné sur des briques, au premier plan on découvre un archer habillé de rouge, de noir et de blanc. Et visiblement le nouveau venu n’est pas impressionné par la perspective de croiser le héros de la série : « Ha-Ha-Ha ! Que le Spirit craigne la colère du Black Bow !!! ». Le « mauvais homme » a donc pour nom Black Bow (l’Arc Noir) et ne ferait pas tâche dans des publications de Marvel ou de DC Comics. La ressemblance avec Green Arrow coule un peu de source (les deux personnages ont visiblement une prédisposition pour l’usage de l’arc) mais elle est surtout accidentelle. Ainsi Black Bow porte une barbiche qui le fait ressembler au look qu’adoptera Oliver Queen (Green Arrow, donc) à partir de Brave & The Bold #85 (1969). Black Bow pourrait donc aussi bien être un super-vilain évoluant dans les mêmes logiques, les mêmes univers qu’un Batman ou un Captain America (encore qu’au début 1941 le premier numéro de Captain America n’est probablement en vente que depuis quelques jours).
D’ailleurs, curieusement pour une BD publiée dans la presse (et encore plus liée à l’actualité qu’un comic-book), l’histoire commence en se référant à une date bien antérieure. On nous explique que le 23 octobre, « peu de temps après la chute des nations montagneuses de l’Europe Centrale », les bons citoyens du quartier étranger de Central City sont frappés d’effroi par l’étrange mort d’Auguste Perot (avec un nom comme ça, dans l’esprit de l’auteur, il est au bas mot originaire d’un pays francophone et plus probablement de la France). On retrouve le cadavre de Perot avec une flèche noire plantée dans le corps. Ses amis font immédiatement le rapprochement avec le Black Bow, qu’ils semblent bien connaître (au moins de réputation). Ils sont tellement terrifiés qu’ils décident d’enterrer Perot dans le plus grand secret (pourtant le Black Bow est forcément bien placé pour savoir que sa victime est morte).
Quelques nuits plus tard, les amis de Perot s’introduisent donc dans le cimetière de Wildwood et commencent à creuser une tombe pour lui. L’un d’entre eux se lamente : « Des jours funestes s’annoncent ! ». Un de ses compagnons rétorque « Oui… mais nous ne pourrons jamais mettre la police au courant. Ils ne comprendraient pas ce que représente Black Bow ! ». Et pourtant sans le savoir les conjurés viennent pourtant d’informer un enquêteur. Car, pour ceux qui n’auraient pas rapprochés les deux éléments, le cimetière de Wildwood est bien le repaire du Spirit. Il n’a sans doute pas manqué de remarqué ces hommes s’introduisant de nuit dans l’endroit. Caché derrière un arbre, il n’a rien perdu de la conversation entre ces hommes. Le voici donc maintenant au courant de l’affaire. Pourtant pendant quelques mois la maison de Perot semble à l’abandon. Plus personne ne s’y rend et sa disparition semble oubliée de tous. Plus personne ne s’y intéresse. Plus personne sauf le Spirit qui, de sa cachette, continue d’enquêter sur cette mort. Dans son laboratoire secret, sous le cimetière de Wildwood, le justicier examine le seul indice de l’histoire : la flèche noire qui a tué Perot (ce qui laisserait entendre que le Spirit l’a prélevé sur le cadavre ou bien qu’il l’a trouvé dans la demeure de Perot). Le Spirit s’adresse alors à son jeune assistant, Ebony : « Le Black Bow… Hmm… Un homme qui utilise des flèches de nos jours… Ebony, prépare une valise !!! ». Ebony, qui est avant tout le valet noir du Spirit, ne saute pas précisément de joie : « Oui Messié ! Oh bon sang ! Une nouvelle affaire ! ». Si le Spirit est courageux et intrépide, Ebony est surtout là pour donner une dimension comique à l’ensemble…
Quelques semaines de plus passent et on retrouve les amis de Perot qui tiennent un conciliabule un soir, pour accepter un nouveau membre dans leur communauté. Par « communauté », il faut se rendre à l’évidence. Will Eisner n’utilise pas de nom en dehors d’une vague référence à l’Europe Centrale mais il devient évident qu’il s’agit de la Résistance antinazie. Mais le nouveau venu, un vieil homme nommé Adam, a fait l’impensable. Il a loué l’ancienne demeure de Perot ! Le reste des conjurés ne le prend pas vraiment avec le sourire et pense que c’est un mauvais présage : « Est-ce que vous ignoriez que le Black Bow nous a suivi jusqu’en Amérique ? ». Adam s’étonne « Alors le Black Bow aurait tué Auguste quand il a refusé de payer pour sa protection ? ». Un de ses interlocuteurs rétorque « Pour quelqu’un qui arrive de l’autre côté (comprenez de l’autre côté de l’Atlantique, NDLR), vous m’avez l’air curieusement inquiet ». Adam se reprend « C’est l’Amérique ici ! Les hommes ne se font pas racketer ! Nous ne nous inclinons pas ! Nous combattons l’oppression ! ». L’assistance s’enthousiasme alors et décide de suivre l’exemple d’Adam. A ce stade le lecteur doit commencer à se douter de l’identité réelle d’Adam…
Mais pour l’instant il y a plus important. Tout ce petit monde n’en est pas conscient mais le terrible Black Bow n’a pas perdu une miette de la conversation (décidément les membres de cette résistance ont le chic pour parler sans réaliser qu’ils sont épiés). Juché sur le toit, l’assassin réalise alors que ce groupe veut le défier et ne plus payer son racket. Quand les hommes sortent de la demeure, l’un d’entre eux est donc blessé par une flèche noire venue se planter dans son bras. Le Black Bow ricane alors et tire aussi sur le second homme sorti de l’édifice. Cette fois, la victime s’effondre et tombe du haut d’une falaise. L’archer meurtrier continue de sourire… Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire l’homme n’est pas mort. Il trouve la force de se traîner jusqu’au commissariat local et à demander de l’aide au Commissaire Dolan. Néanmoins il meurt dans les bras du policier, sans avoir pu lui dire grand-chose.
Dolan est frappé par les circonstances de cette mort et montre la flèche noire à un de ses hommes : « Regardez ! Il en a fallu du courage pour marcher sur des kilomètres avec une flèche plantée dans le dos ! ». On peut néanmoins se demander comment Dolan est supposé savoir que l’homme a marché sur « des kilomètres » vu que la victime n’a pas eu le temps d’indiquer d’où elle venait. Comme pour la Batcave, le Commissaire Dolan date d’après la première apparition du Commissaire Gordon dans Detective Comics #27. Mais là aussi on peut dire que stylistiquement Dolan va plus rapidement trouver sa vitesse de croisière et influer sur le comportement plus tardif de Gordon. Encore que le Commissaire inventé par Will Eisner a un côté bouffon bien plus prononcé. Il n’est cependant pas un total imbécile et se fait la même réflexion que le Spirit quelques temps plus tôt… Qui donc peut se donner la peine d’utiliser des flèches de nos jours ? Il flaire immédiatement une affaire qui serait plus du registre du Spirit. Mais Dolan est imbu de sa personne. Il annonce alors à son bras droit, Finnegan, qu’il va lui même s’occuper de cette affaire et qu’avant même que le Spirit en ait entendu parler il l’aura résolue !
Pendant ce temps Adam est à l’ex-demeure Perot. Et comme c’est lui qui a monté les autres hommes contre Black Bow, on comprendra qu’il est une cible de choix pour l’archer meurtrier. D’ailleurs Black Bow est déjà en position de tirer. Se tenant à l’extérieur, derrière une fenêtre, il s’apprête à tirer sur Adam qui ne semble pas se douter de quelque chose. Sauf… sauf qu’il s’agît bien sur d’un piège. En regardant de près, on voit maintenant nettement qu’Adam n’est autre que le Spirit portant une fausse barbe. Et comme le Spirit n’est pas décidé à laisser la vie dans cette histoire, il a installé un système de miroirs dans la pièce où il se trouve, un système qui lui permet d’observer la fenêtre sans se retourner. Il ne manque donc rien des manigances de Black Bow. Et quand ce dernier tire sa flèche, le Spirit est assez rapide pour se retourner et lancer en avant un livre épais qu’il tenait. Du coup, la flèche s’y plante et la tentative de meurtre échoue…
Mieux ! Avant que le Black Bow ait le temps de préparer une autre flèche, le Spirit est sur lui et lui donne un violent coup de poing. L’archer part à la renverse à travers la pièce. Adam peut alors enlever son déguisement et, plutôt que de la colère, le Black Bow exprime plutôt de l’admiration pour ce plan : « Ha ha… chouette truc ! Mes compliments ! Mais qui es-tu ? ». Le héros a vite fait de se présenter. Et il explique qu’en plus toute l’astuce avait pour but d’obtenir une nouvelle flèche noire (celle qui terminé sa course dans le livre) afin de pouvoir avoir une preuve de sa culpabilité dans le meurtre de Perot. Mais le Spirit se permet néanmoins une question… Pourquoi ce déguisement de Black Bow ? L’archer explique alors qu’à l’ère féodale ses ancêtres étaient des seigneurs d’une partie de l’Europe Centrale : « Les serfs vivaient sous notre protection, pour laquelle ils devaient payer. Ceux qui refusaient étaient considérés comme des traitres et exécutés ! ». Le Spirit n’est pas impressionné par cette histoire. Ce que le Black Bow lui présente comme une tradition n’est finalement qu’une simple histoire d’extorsion : « Le racket n’a guère changé depuis le moyen-âge ! Nos gangsters font la même chose ! ». Et le héros montre sèchement la porte de la maison, s’apprêtant visiblement à livrer Black Bow à la police…
« Ah, crétin ! Tu pensais vraiment que le Black Bow se rendrait si facilement ? ». L’archer, en fait, se précipite par une fenêtre et s’échappe sur le balcon. Mais le Spirit le suit. La page toute entière, très composée, très chorégraphiée, montre déjà les qualités narratives de Will Eisner : Le Spirit est poussé du bord du balcon, jeté dans le vide mais se rattrape aux branches d’un arbre et effectue un rétablissement qui lui permet de retourner dans la maison via la fenêtre que l’archer a brisé en s’échappant. Mais il remarque, à travers un plancher démoli, que le sous-sol de la demeure cache un véritable appartement. Le héros se penche pour mieux observer mais… il est frappé à la taille par une flèche venue du sous-sol. Le Spirit tombe dans le vide, se raccroche à un plafonnier mais heurte quand même le sol.
Black Bow se lamente un instant : « C’est bien dommage que j’ai du le tuer ! Le Spirit est un homme brave… Oh, bon… Je dois me bouger loin d’ici et emporter cet argent avec moi ». Mais quelqu’un attrape la cape de Black Bow. L’archer n’en croit pas ses yeux… « Toi ? Tu… tu es un fantôme ! Un esprit (« a Spirit » dans le texte originel) ». Le héros donne un nouveau coup de poing à son ennemi : « Allons allons, tu ne fais que répéter ce que j’ai toujours dis ! ». Mais l’archer arrive à donner de l’élan à un plafonnier, qui repousse le Spirit dans une sorte d’alcôve plongée dans l’ombre. L’archer en profite pour prendre son arc en main et mettre en joue son adversaire. Cette fois le Black Bow n’en est plus à reconnaître que le Spirit est brave. Seule la haine guide son bras. Il tire vers la silhouette. Mais dans l’alcôve le Spirit n’est touché que sur le côté (On peut quand même se demander par quel miracle il est encore en état de bouger, on verra pourquoi plus tard). Mieux : il est arrivé à décrocher une flèche et la lance vers son propriétaire : « J’espère que ca va marcher… Je ne suis pas très bon comme lanceur de fléchettes ».
La flèche du Spirit arrive à toucher Black Bow à la main. L’attention de l’archer est détournée assez longtemps pour le héros puisse surgir de l’ombre et assommer son agresseur. Cette fois le combat est réellement terminé et le Spirit peut prendre le temps de réaliser que Black Bow vivait depuis le début dans le sous-sol de la maison Perot… Pendant ce temps un cordon de police a encerclé la maison. Un des policiers demande à Dolan comment il sait que l’assassin se cache ici. Le Commissaire explique : « C’est facile… Une flèche signifiait l’existence d’un culte… J’ai juste regardé dans un dictionnaire héraldique, regardé dans quel pays on trouvait ce blason et… » Allons bon, Dolan serait donc un bon enquêteur après tout ? Pas vraiment. Car ne sachant plus trop comment finir ses explications il avoue à son bras droit « … hmpf. Et en plus j’ai reçu un mystérieux coup de téléphone qui m’a donné des informations !!! En tout cas c’est toujours mieux que le Spirit !!! Il n’apprendra pas l’affaire avant de lire les journaux de demain ! ». Admiratif, l’autre policier s’exclame « Chef, vous êtes un génie ! ». Tout à son triomphe, Dolan fanfaronne : « Il fallait l’être pour devenir Commissaire, maintenant ouvrez la porte et préparez vous à vous servir de votre arme ! ».
Mais derrière Dolan une autre porte s’ouvre. Un autre policier escorte le Black Bow, accompagné du Spirit qui, de loin, apostrophe le Commissaire : « Vous cherchez quelqu’un, Dolan ? ». Dans une mimique digne de Louis de Funès jouant plus tard le policier Juve, Dolan se pétrifie, n’ose pas se retourner, met la main sur ses yeux et dis à son bras droit : « Grrrr… Ne me dites rien… Laissez-moi deviner !!! ». Mais l’autre policier ne peut que constater : « Et oui, chef, c’est lui… le Spirit !!! ». Plus tard le héros masqué peut expliquer toute l’affaire : « Le Black Bow est arrivé en Amérique sans argent. Il s’est dit qu’il pouvait mettre en place le même racket que ses ancêtres l’avaient fait dans l’Europe médiévale. Puis il ouvre sa veste, révélant comment il a pu survivre à de nombreuses flèches. Sous les pans de sa veste il y avait une protection, une sorte de « gilet pare-flèches » et il offre les flèches ainsi collectées comme autant de preuve de la culpabilité de l’archer. Ne reste alors que la case de conclusion. Alors Dolan est accroupi, fulminant de s’être fait coiffer au poteau par le Spirit, son adjoint revient vers lui : « Oh, Commissaire. Les reporters sont arrivés… Est-ce qu’on leur dit que vous avez résolu l’affaire… ou bien doit-on leur dire la vérité ? ».
Plus tard, Eisner s’éloignerait des personnages comme le Black Bow pour privilégier des intrigues à la fois plus policières et plus humoristiques. En un sens plus folles pour se satisfaire d’un simple vilain d’opérette…
[Xavier Fournier]