[FRENCH] Attention! Le Phantom Detective ne paie pas de mine mais c’est sans doute l’un des personnages les plus influents des premières années des comics quand on voit la liste des personnages qu’il a inspiré. A défaut de l’avoir lu sous sa forme première, vous avez sans doute consommé les aventures de plusieurs de ses « clones » sans le savoir. Et pourtant au demeurant le personnage ne se distingue que par un simple masque et un costume de ville ou de soirée, selon l’humeur du moment… Et ses exploits furent publiés en comics entre 1946 et 1949… Donc bien après que les figures majeures des héros masqués (Batman, le Spirit…) aient fait leur apparition et même plutôt vers la fin du Golden Age. Alors qu’est-ce qu’il a de si particulier ce Phantom Detective ? Car au demeurant il ne paye pas de mine et ne semble pas si original. Attendez d’avoir entendu TOUTE son histoire…
Sur la page de garde de l’histoire, un crime est en train de se produire, soudain stoppé net par l’apparition d’une sorte de Mandrake masqué et sans moustache, tandis que le narrateur commente: « Dans un parc public, sous le ciel crépusculaire d’une énorme cité, un crime vicieux, dénué d’indices, se déroule ! Puisque la police et les détectives sont déconcertés, le temps est venu pour le jeune multimillionnaire Richard Curtis Van Loan (plus connu sous le nom du Phantom Detective) d’entrer dans le jeu et de découvrir le coupable en usant de méthodes que seul son cerveau rusé peut imaginer ».
Le récit débute réellement dans l’appartement du milliardaire Van Loan, lors d’une soirée entre amis. Parmi les invités, une jeune femme s’adresse ainsi au maître des lieux : « Tu viens nager avec nous demain matin, Dick ? Un peu d’exercice te ferait du bien ! ». Mais le milliardaire esquive l’invitation : « Je ne pense pas, Connue ! J’ai des lettres à écrire. Et puis de toute façon tu sais que je déteste tout exercice ! ». Inutile de vous le cacher plus longtemps, Richard Curtis Van Loan appartient à la lignée de ces héros richissimes (Zorro, Batman…) qui font semblant d’être des poltrons dans le civil. Comme pour Bruce Wayne, il suffit cependant d’un signal pour que les choses changent. Tandis que ses amis protestent et tentent de le convaincre de les accompagner à la piscine, Richard voit à la fenêtre un signal… C’est un des gimmicks de la série : Quand quelqu’un a besoin du Phantom Detective, l’éditeur Havens, responsable du principal journal de la ville, déclenche une sorte de phare rouge monté sur la terrasse de l’immeuble de sa société. C’est l’équivalent du Bat-Signal, appliqué au Phantom Detective. Ca ne manque pas : Dès qu’il voit le signal, Van Loan fait mine d’être pris d’un brusque accès de fatigue et se débarrasse ainsi assez vite de ses invités.
Enfin seul, Richard Curtis Van Loan ne perd pas de temps et se rend dans une pièce spécialement équipée de son appartement, là où se trouve tout le nécessaire pour se déguiser en… Phantom. Phantom tout court d’ailleurs car à la base c’est la série qui s’appelle « Phantom Detective » tandis que le personnage, à l’intérieur du récit, est souvent simplement identifié comme le Phantom, sans autre adjectif. Son costume se compose d’un simple costume de soirée, d’un haut de forme, d’une cape rouge et d’un masque de type « loup de carnaval »…
Rapidement le Phantom se rend aux bureaux de Frank Havens, qui édite le New York Clarion. C’est d’ailleurs la trame de la plupart des aventures du détective masqué : la plupart du temps il est ainsi convoqué par Havens qui le met au courant de la menace du jour. Gifford Manwaring, le président de la société de transport aériens Pilgrim Airlines, a été tué à l’aide d’une épée dans le parc, à six heures du soir. Pas de témoins, pas d’indices. Aucune piste de départ ! C’est pourquoi l’éditeur a pensé faire appel au Phantom. Dès qu’il a entendu ce résumé, le héros se rend sur les lieux du meurtre, où la police surveille les environs. Bien sûr, ils reconnaissent le costume du célèbre Phantom mais veulent s’assurer qu’il s’agit bien du vrai et pas d’un imitateur qui se moquerait d’eux. Heureusement, le héros masqué a une technique d’identification. Il sort de sa poche la petite réplique d’un masque de platine (objet coûteux et donc difficilement imitable) qui est un peu l’équivalent super-héroïque d’une plaque d’agent de police. Seul le vrai Phantom peut avoir sur lui ce masque de platine ! On lui donne donc immédiatement accès au lieu du crime, démontrant par la même occasion l’étendue de ses relations avec la police (encore qu’on peut se demander, s’il est si ami avec la police, pourquoi c’est un éditeur de journal qui le contacte pour ses missions).
Les lieux ne portent aucune trace de chaussure, seulement des marques de fers à cheval. Ce qui n’est pas très étonnant puisque Gifford Manwaring était en train de faire un peu d’équitation. Le jour suivant, Terry, le neveu du défunt, reçoit la visite du Phantom Detective. Le héros le questionne. N’y aurait-il pas quelqu’un d’autre dans la société qui ferait également du cheval. Terry avoue pratiquer également l’équitation, tout comme Hardy, l’associé de Gifford Manwaring. Le Phantom se fait présenter l’associé et ne manque pas de le questionner également sur ses activités équestres. Puis le héros repart à pied, en se disant qu’il ferait mieux de passer par le commissariat pour obtenir quelques empreintes digitales et plus d’informations sur Terry et Hardy.
Le fait qu’il reparte tranquillement à pied (et pas en se balançant du haut d’un cable ou encore au volant d’une Phantom-Mobile) dénote du côté « tranquille » du personnage. On est plus dans le registre d’un Sherlock Holmes masqué que d’un super-héros hyperactif. D’ailleurs cette différence est encore notable quand le Phantom Detective emprunte le dossier du meurtre à la police, en expliquant qu’il a pris une chambre à l’Hôtel Falcon mais qu’il faut garder cette information secrète. Un héros masqué qui donne son adresse à la police (même si, attention, la chambre louée par le Phantom n’est pas l’appartement de Van Loan), c’est une chose qui n’est pas commune. L’élément va pourtant jouer un rôle important dans l’histoire puisque quelques heures plus tard le policier reçoit un coup de téléphone de Hardy, qui lui explique avoir de nouveaux éléments et un besoin urgent de joindre le Phantom. Comme c’est lié à l’affaire, le policier se dit qu’il n’y a pas de mal à expliquer à Hardy qu’il peut le trouver à l’Hôtel Falcon…
Un peu plus tard, ce n’est pourtant pas Hardy qui se présente à la porte du Phantom mais un réparateur qui explique que le directeur de l’hôtel lui a demandé de passer pour réparer une fenêtre coincée. Le Phantom le laisse faire puis se replonge dans ses dossiers, constatant qu’Hardy est maintenant le seul à diriger Pilgrim Airlines mais qu’à sa mort c’est Terry, le neveu de Manwaring, qui héritera de tout. Il est cependant interrompu dans ses méditations par le réparateur, qui tente de lui fracasser le crâne avec une grosse clé anglaise. Dans un premier temps le Phantom Detective arrive à esquiver l’attaque mais le faux réparateur finit par l’assommer avec un marteau et à se lancer dans un plan complexe pour l’éliminer. Plutôt que de défoncer la tête du héros, le criminel l’enferme dans la cabine de douche après avoir colmaté toutes les voies d’évacuation des eaux. Et il déclenche la douche avant de refermer la porte, laissant le Phantom à une noyade en apparence certaine. Bien sûr, laisser un homme inconscient sous une douche est encore le meilleur moyen de le réveiller… Le Phantom a vite fait de reprendre ses esprits et, d’un coup de poing rageur, arrive à briser la vitre de la cabine et à s’échapper…
Reste à savoir qui était le faux réparateur. C’est ici qu’entre en jeu la principale caractéristique du Phantom Detective, à savoir qu’il est également un maître du déguisement (façon Martin Landau dans Mission Impossible ou Artimus Gordon dans les Mystères de l’Ouest). C’est donc assez facilement qu’il se fait le visage de Hardy pour se faire passer pour lui : « Si Hardy se trouve là ce soir je vais être rouge de honte mais s’il n’est pas là… ». Et le Phantom, déguisé en Hardy, se rend à l’académie d’équitation où l’entrepreneur a ses habitudes. On le prend pour lui et on lui confie un cheval sans problème. Heureusement pour le Phantom, Hardy n’était effectivement pas de sortie ce soir. Très vite, le faux Hardy est donc en train de faire du cheval dans le parc et croise… Terry, lui aussi à cheval, qui lui demande l’heure. Le faux Hardy se penche pour regarder sa montre… Et Terry tente de l’embrocher avec une rapière qu’il tenait caché. Le Phantom Detective étant un bien meilleur combattant que Hardy, Terry est vite mis en déroute et comprend qu’il n’est pas en face du vrai associé de son oncle. L’affaire pourrait s’arrêter là mais le cheval monté par le Phantom, effrayé par le combat, s’emballe et prendre la fuite, avec le héros coincé sur son dos. Terry est donc sauvé par les circonstances… Et le héros peste de l’avoir laissé s’échapper pour une raison si bête qu’un cheval.
Bien sûr, Terry a disparu. Mais en se renseignant, le Phantom Detective apprend qu’il a trouvé refuge au Québec. Du coup, sous son identité de Richard Curtis Van Loan, le milliardaire décide de partir en vacances au Québec, dans l’hôtel où il sait trouver Terry. Le hasard fait que son enquête va cependant s’accélérer grâce à des amis new-yorkais. Richard est vite reconnue par Pam, une amie américaine qui elle aussi séjourne au Québec. Et Pam a vite fait de lui présenter un nouvel ami rencontré sur place, un certain… Bob Terry ! Sous son identité civile, Van Loan peut approcher sans peine Terry, qui ne se rend pas compte qu’il est « pisté ».
Le milliardaire attire même Terry en lui donnant rendez-vous pour lui montrer un livre rarissime sur l’aviation. Terry arrive sans se douter de rien… Et est reçu par le Phantom Detective, en costume, qui l’assomme aussitôt, avant de prévenir le détective de l’hôtel qu’il vient d’arrêter un meurtrier. Même au Québec on connaît le Phantom et c’est donc sans problème que Richard peut plus tard rejoindre Pam, qui s’inquiète de savoir ce qu’est devenu Bob Terry. Richard la rassure en lui expliquant que « Bob » ne se sentait pas bien et qu’il est rentré chez lui plus tôt. Mais le milliardaire, lui, entend bien profiter de cette merveilleuse semaine de vacances… Enfin, pas trop longtemps quand même car le narrateur conclue que la lumière rouge (celle en haut de l’immeuble de Havens, à ne pas confondre avec la lampe rouge des maisons de passes) brillera encore dans le prochain numéro, poussant le Phantom Detective dans une autre aventure…Bon, il est sympathique ce Phantom Detective utilisant divers gimmicks associés avec d’autres super-héros mais en quoi serait-il « historique » s’il ne fait que copier des éléments du Phantom de la jungle ou du Bat-Signal de Batman ? Et bien j’ai un petit aveu à vous faire : je ne vous ai pas tout à fait tout dit concernant la date des aventures du Phantom Detective. S’il est bien apparu en BD dans les pages de Thrilling Comics #53 (l’épisode précédent celui dont nous parlons aujourd’hui) à partir de 1946, son antériorité est toute autre puisqu’à la base il s’agit d’un personnage de romans « pulp » lancé en 1933.
Des années avant d’apparaître dans Thrilling Comics, le héros apparaissait déjà dans Thrilling Magazine, publié par la branche littéraire de Ned Pines, qui était par ailleurs l’éditeur de Thrilling Comics et à qui il faudrait apparemment quelques années avant d’avoir l’idée de transposer son héros de livre sous forme de bandes dessinées. Le Phantom Detective est considéré comme étant le second super-héros des pulps, lancé comme un concurrent au plus connu Shadow. Les histoires publiées à partir de 1946 dans Thrilling Comics ne sont donc pas une sorte de cocktail d’emprunts à Batman ou à d’autres. Elles représentent le héros de 1933 qui se trouve être le modèle et non pas l’imitateur. Le Phantom Detective n’est pas une petite note de bas de page dans l’histoire de la fiction. Les romans basés sur le personnage furent publiés entre 1933 et 1953, totalisant 170 volumes. Chez Marvel, on connaissait aussi l’existence du Phantom Detective. son « clone » peut-être le plus identifiable est le « Phantom Reporter » apparu dans Daring Comics, personnage qui a refait surface ces dernières années dans la série The Twelve. La grosse différence est que le Phantom Detective avait un chapeau haut-de-forme tandis que le Phantom Reporter à un chapeau de feutre moins haut. Mais en dehors de ça la copie ne se donne pas la peine de se cacher. Dans la vie civile, le Phantom Reporter est connu sous deux identités civiles différentes : le reporter Richard Jones et le milliardaire Van Engen. Entre « Richard Curtis Van Loan » et « Richard Jones Van Engen » et leurs pratiques masquées communes, la différence est aussi mince qu’une feuille de papier. Essentiellement les histoires du Phantom Reporter sont des aventures du Phantom Detective dans lesquelles on a changé les noms (et d’ailleurs vu comment les deux personnages aiment à multiplier les déguisements et les identités de rechange, le lecteur peut même pousser le délire à s’imaginer qu’il s’agit d’un seul et même personnage usant de surnoms différents) [1]. La tentative de Marvel d’adapter son héros Angel en roman pulp sous le titre du « Angel Detective » évoque aussi une volonté d’émuler le Phantom Detective, avec une terminologie voisine. Mais le Phantom Reporter n’est apparu que dans une poignée d’épisodes dans les années 40 et si le Phantom Detective n’était « que » l’inspiration de son collègue reporter et du Angel Detective (qui n’a eu qu’un numéro), il n’y aurait pas de quoi en faire un plat.
Non, le Phantom Detective est l’ancêtre commun de tous ces détectives masqués ailleurs milliardaires, comme le Avenger des pulps ou le Crimson Avenger. La « lumière rouge » émise sur le toit de l’immeuble Havens est le modèle du Bat-Signal, pas sa copie. C’est bien Richard Curtis Van Loan qui apparaît le premier et qui (s’inspirant lui-même de Don Diego de la Vega et du Shadow) met au point la routine du milliardaire jouant les pleutres devant ses amis. C’est Van Loan le modèle de Bruce Wayne et non le contraire. Les similitudes vont même bien plus loin : Bruce Wayne/Batman a une identité de rechange, le gangster Matches Malone, qui lui sert à infiltrer la pègre ? L’identité similaire utilisée par le Phantom Detective dans Thrilling Comics #68, en 1948, se nomme… Smoke Nolan. Entre Matches Malone et Smoke Nolan, la ressemblance est énorme ! En comprimant Van Loan et son ami l’éditeur Havens on arrive même à quelque chose de très proche de Britt Reid, à savoir le Green Hornet (le Frelon Vert), apparu en 1936, soit seulement trois ans après le Phantom Detective. The King (parfois appellé King Standish), héros de DC apparu en 1940 est carrément un sosie intégral du Phantom Detective, copiant jusqu’au haut-de-forme et étant lui aussi un milliardaire/expert en déguisement (de nos jours le fils du King apparaît au sein de la Justice Society sous le nom de King Chimera). Plusieurs héros de DC (sans être vraiment similaires au Phantom Detective) comme Doctor Occult ou le Phantom Stranger se feront surnommer à certaines époques de leur vie « Ghost Detective »… On peut voir aussi dans le Phantom Detective et sa science du déguisement un lointain précurseur du Human Target, qui aime également à prendre la place des gens menacés de mort. Et on laissera le lecteur méditer sur la part de parenté de ce Phantom dans le Spirit de Will Eisner…
Mais l’héritage du Phantom Detective, sa contribution majeure à l’histoire de la BD américaine, repose encore sur un autre axe. Vous n’aurez pas manqué de noter que se faisant souvent appeler le Phantom, Richard Curtis Van Loan occasionne une certaine confusion avec un autre personnage, à savoir le Phantom de Lee Falks (le « Fantôme de la Jungle », apparu en 1936). Au demeurant, on pourrait se dire qu’en dehors du nom, peu de choses rapprochent le milliardaire masqué de New York avec « l’Ombre qui marche » qui veille sur la jungle. En fait ce serait méconnaître la genèse réelle de la BD de Lee Falks. A l’origine, son idée première pour son Phantom était qu’il s’agissait d’un justicier masqué plutôt urbain, qui avait pour identité réelle le richissime Jimmy Wells et qui ne se distinguait donc que par son costume. Lee Falks, conscient qu’il y avait déjà d’autres Phantoms dans la littérature, chercha même d’autres noms pour sa création mais ne trouva rien de convainquant. Au bout de quelques strips, cependant, Falks eut la partie finale de son inspiration et décida de faire de son personnage un héros de la jungle, moins similaire au Phantom Detective. « Jim Wells » fut aussitôt oublié, renvoyé au rang d’alias temporaire du vrai Phantom (ou en tout cas du vrai Phantom de Lee Falks). Si on retirait le Phantom Detective de l’évolution de la fiction américaine, les comics prendraient du coup une allure bien différente. Batman serait privé de Bruce Wayne, nous n’aurions pas eu droit à la plupart des « gentlemen détectives » masqués et Lee Falks aurait sans doute été obligé d’aller chercher ailleurs son inspiration, le menant sans doute vers un résultat très différent. Et quand on pense aux nombres de personnages que le Phantom de Falks a, à son tour, inspirés, on se dit décidément que sans le Phantom Detective comme clé de voûte, c’est tout un pan de héros masqués qui auraient aujourd’hui un air très différent…
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Xavier Fournier]
[1] Ironiquement, quand il fut finalement publié sous forme de BD dans les pages de Thrilling Comics, le Phantom Detective partageait les pages de la revue entre autres choses avec le Cavalier, une sorte de héros ressemblant vaguement à un mousquetaire qui avait un certain degré de ressemblance avec le Blue Blade, un « collègue » du Phantom Reporter dans la série The Twelve. C’est un peu comme si un embryon des Twelve avait été possible avant l’heure, chez cet autre éditeur…