Mais Frazetta connaîtra des problèmes de rythme dans la mise en place de son histoire (voir Alter Ego – The Comic Book Artist Collection page 20, qui évoque en diagonale l’événement). On lui adjoindra finalement Gardner Fox pour mettre en forme le tout. Mais ce n’est pas l’auteur qui va, dans un premier temps en tout cas, cultiver la différence : Fox ne s’est jamais caché (c’est à dire qu’il l’a confirmé à l’occasion dans quelques interviews) d’être un fan des écrits d’Edgar Rice Burroughs (le créateur de Tarzan). En lançant Thun’Da King of Congo, Fox et Frazetta réalisaient sans doute une de leurs plus grosses envies : inventer leur équivalent de Tarzan. Encore qu’il est fort possible (et on verra un peu plus tard pourquoi) qu’il se soit agit d’un simple boulot de commande réalisé pour Magazine Enterprises, l’éditeur du titre. Mais qu’ils soient à l’origine du projet où qu’ils aient répondu à la demande, il est certain que Fox et Frazetta étaient pour ainsi dire prédisposés à créer un roi de la jungle mémorable…
Visiblement, comme nous le montre un des dessins, l’un de ces avions a heurté le sommet d’une montagne et s’est écrasé loin de la civilisation. C’est en cela que ce début d’origine s’éloigne du Tarzan des livres (ses parents meurent, abandonnés par des bandits) pour se rapprocher de celui du cinéma. Dans « Tarzan Finds A Son! » (1939), « Boy » (qui deviendra le fils adoptif du roi de la jungle) est le seul survivant d’un crash d’avion (l’engin vu dans la scène d’ouverture de Thun’Da en 1952 étant assez similaire à celui aperçu dans le film de 1939). La grosse différence, ici, c’est qu’alors que l’avion est sur le point de s’enfoncer dans une eau sombre, on peut apercevoir d’étranges charognards volants qui surveillent la catastrophe en train de se produire : des ptérodactyles ! En fait le crash attire l’attention des créatures de la Lost Land. Un énorme dinosaure surgit et, énervé par la présence de l’avion, s’en empare et commence à le secouer dans sa gueule. Un homme est éjecté de l’habitacle et vite repéré par un des ptérodactyles qui fait mine de l’emporter dans les airs. Heureusement pour lui, l’homme a un pistolet sur lui et arrive à tuer la bête avant qu’il ne soit trop tard: « Je n’ai que sept balles dans cette arme… Il faut que chacune compte !« . Puis l’homme constate qu’il a abattu la créature volante : « C’est mort… quoi que cela puisse être !« .
Vu que cette scène d’origine est supposée se dérouler pendant la seconde guerre mondiale, les lecteurs peuvent même pousser le vice jusqu’à imaginer que le crash d’avion vu en 1939 dans « Tarzan Finds A Son! » et celui de Thun’Da ne sont qu’une seule et même catastrophe. L’homme serait alors le père génétique de Boy. C’est d’autant plus possible qu’une fois débarrassé de son ptérodactyle, l’aviateur, nommé Roger Drum, déambule dans les marais sans but fixe. Le choc l’a tout bonnement rendu amnésique : « Je n’arrive pas à penser, à me souvenir qui je suis ou bien où je suis, un peu comme un bébé. Et cependant je connais cet uniforme… et j’ai un revolver« . Dans la pratique, Roger Drum se souvient de tout ce quo fait de lui un homme « civilisé » mais a perdu tout souvenir de son existence avant d’arriver dans la Lost Land (le but de la manoeuvre étant sans doute qu’il n’ait plus de raison de vouloir aller ailleurs).
Bientôt Pha aperçoit au loin un homme… mais un homme qui ne ressemble absolument pas aux hommes des cavernes. Il est semblable en tout point au peuple de la vallée de Shareen. Il s’agit bien sûr de Roger mais Pha est méfiante. Elle n’a jamais entendu parler d’un autre peuple dans les environs et se demande si l’homme mystérieux n’est pas un nouvel ennemi : « Nous ne devons prendre aucun risque ! Les hommes et femmes de Shareen sont si peu nombreux que nous ne pouvons permettre que nos adversaires s’en aperçoivent« . Du coup, Pha et les gens de Shareen préfèrent se cacher et laisser l’homme passer. Seul dans la jungle, Roger doit alors s’inventer un nouvel arsenal pour survivre. Heureusement s’il a oublié d’où il vient, son savoir est resté intact. Il a vite fait de se construire un arc et es flèches. Les jours passent, deviennent des semaines puis des mois et Roger survit en chassant dans la jungle, entretenant son corps. Avec le temps qui passe, il prend un physique de véritable athlète. Accroché à des lianes, il se balance d’arbres en arbres et arrive même, au besoin, à s’emparer d’un lapin sous le nez d’un tigre à qui comptait bien en faire son repas. Mais un jour Roger écoute le cri d’une femme qui transperce la jungle.
Laissé seul avec les hommes des cavernes, le sosie de Tarzan peut enfin se venger de sa période de captivité et continue de tuer ses assaillants : « Venez et prenez, les gars! J’ai plein d’autres flèches pour vous !« . Fou de rage, Roger s’acharne à mains nues sur le dernier des hommes-bêtes : « Ta race m’a maltraité que je suis arrivé ici. Maintenant c’est mon tour de te montrer mes muscles !« . Puis il épargne finalement la brute battue : « Va dire à ta race que je serais ici, à les attendre… A chaque fois qu’ils voudront sentir la morsure de mes bâtons pointus !« . En clair, Roger vient de devenir l’homme qui fait peur au peuple des cavernes. Ce dont rêvait Pha quelques temps plus tôt. Mais hélas elle ne le réalise pas. Elle est repartie en vitesse vers la cité oubliée de Shareen, expliquant à ses semblables qu’ils doivent réunir beaucoup de gens afin de capturer « l’homme qui tue à distance« . Pha veut visiblement s’emparer de ses secrets…
Bientôt l’homme et la femme approchent d’un étrange passage rocheux qui mène jusqu’à un gong. Pha est terrifiée. Elle s’exclame : « C’est le gong de Kalla, l’utiliser invoque le dieu ancien du Mal !« . Mais Roger ne réalise pas ce qu’elle veut lui dire. Bien au contraire : « Je ne sais pas ce que tu dis poulette mais je vais taper sur ce truc, rien que pour voir ce qui se produit« . Roger tape de toutes ses forces sur le gong ancien mais quand il se retourne il voit que Pha est morte de frayeur. Même leurs poursuivants, qui étaient en passe de les rattraper, sont tombés à genoux et hurlent de terreur…
Bien sûr, Roger juge malin de ne pas leur dire qu’il n’a plus de balles dans son revoler et devient ainsi le maître incontesté de la Lost Land, comme le souligne le narrateur dans la conclusion : « Et ainsi Roger Drum, qui est depuis connu sous le nom de Thun’Da, pu enfin faire la paix et devenir ami avec la reine du peuple de la vallée… et aussi avec les hommes des cavernes !« . En fait « d’amitié » il deviendra évident dans les histoires suivantes que Thun’Da et Pha forment un couple, au minimum sur le plan platonique. Il sera ensuite insinué qu’à partir de ce moment les habitants de la Lost Land se servent du gong, véritable bat-signal de la jungle, pour appeler Thun’Da en cas de besoin…
Dans la seconde histoire (également contenue dans le premier numéro), Pha explique à Thun’Da (entre les deux récits il a visiblement appris la langue locale) que les ancêtres des habitants de la Lost Land sont arrivés « par le ciel » et que l’endroit est entouré d’une barrière rocheuse qui empêche quiconque d’en sortir. Dans une autre page elle expliquera au contraire que c’est un éboulement qui a bouché l’issue vers le monde extérieur… Les deux explications servant un seul but : démontrer que Thun’Da est piégé dans la Lost Land… Mais c’est surtout le troisième récit (publiée elle aussi dans Thun’Da #1) qui va décider d’un double tournant pour la série. Si Thun’Da a trouvé son équivalent de Jane en la personne de Pha, il lui manque encore la compagnie d’animaux pour parfaire la symétrie avec Tarzan. Hors, dans cette histoire, Thun’Da tue Krag, un terrible tigre à dents de sabre qui sévit dans les environs. Après avoir tué l’animal dangereux, le héros réalise qu’il était accompagné d’un bébé-tigre. Thun’Da décide alors de l’apprivoiser, au grand dam de Pha qui lui explique qu’aucun homme n’est jamais arrivé à dompter un tigre. Forcément, comme Thun’Da sort du commun, il arrivera cependant rapidement à en faire son compagnon de jeu. Puis au fur et à mesure que le tigre (surnommé « Sabre« ) grandit, il devient un véritable frère pour l’humain…
Il est fort probable que plus on avance dans le numéro et moins on est proche de l’idée de base de Frazetta. On sent bien que le concept se dénature, comme par glissement. Par exemple les dinosaures « historiques » sont seulement aperçus au moment du crash de l’avion et deviennent pratiquement inexistants après (sauf si on compte le serpent géant, éliminé au terme de la première histoire). Dans la troisième histoire, qui voit l’arrivée de Sabre dans la série, un éboulement dégage le passage entre la Lost Land et le monde extérieur. Quelques chasseurs « modernes » s’aventurent alors sur le territoire de Thun’Da pour essayer de s’approprier de l’or. Dans la bataille Thun’Da, Pha et Sabre se retrouvent à l’extérieur de la Lost Land quand… un nouvel éboulement se produit, refermant le passage. Thun’Da, Pha et Sabre se retrouvent alors piégés dans une jungle « normale » et, dans les épisodes suivants, seule la présence du tigre trahit le fait que Thun’Da et Pha ont un jour habité dans une jungle oubliée. Une première hypothèse veut que Gardner Fox voulait un personnage aussi versatile que Tarzan (et donc pas seulement spécialisé dans les dinosaures mais aussi capable de faire référence aux événements du monde). D’ailleurs le quatrième chapitre de ce premier numéro montre Thun’Da luttant contre des agents soviétiques voulant s’emparer de l’uranium du Congo pour construire des bombes. Vous noterez au passage que l’idée pour les communistes d’aller chercher de l’uranium dans une jungle oubliée du Congo est une véritable tradition, un poncif de ce sous-genre qu’on trouve aussi bien dans les aventures de Lo-Zar que dans celles du Ka-Zar moderne (si ce n’est que le Vibranium remplace l’Uranium). Comme quoi finalement on arrive à des situations vraiment très similaires même avec des éditeurs et des auteurs différents.
En mai 1952 sort donc le serial « King of the Congo », dans lequel Buster Crabbe (auparavant interprète de Flash Gordon, Buck Rogers mais aussi… de Tarzan the Fearless) incarne Roger Drum/Thun’Da. King of the Congo ressemble a un curieux remix des éléments de la BD. Dans cette version l’aviateur Drum est descendu alors qu’il survole l’Afrique. Élément nouveau : Drum transporte un microfilm hautement stratégique. Il doit échapper à des espions (sans doute communistes) qui cherchent par ailleurs à s’emparer des ressources du Congo et en particulier un métal inconnu « encore plus radioactif que l’Uranium » (quand je vous disais que les héros de la jungle semblent condamnés à défendre l’uranium congolais). Visiblement l’intrigue est une combinaison de l’origine de Thun’Da et du quatrième chapitre du premier numéro. Les hommes des cavernes sont là tandis que le peuple paisible de la vallée est rebaptisé « peuple du rocher » mais apparaît aussi à l’écran, dirigé par la Princesse Pha. Outre les dinosaures qui sont aux abonnés absents, Sabre n’est pas mentionné (il aurait pourtant été drôle de voir un tigre ou un lion se promener avec des longues dents en carton pâte). En dehors de cette simplification du contexte, l’origine reste relativement fidèle (Thun’Da reçoit bien son nom après avoir tapé sur le gong).
Sans le graphisme puissant du créateur du personnage, Thun’Da allait instantanément perdre de sa superbe (bien qu’apparemment les scénarios continuent d’être écrits par Gardner Fox). Le deuxième numéro semble être un compromis pour justifier la continuité du feuilleton de la Columbia. Qui plus est, Cave Girl (« la fille des cavernes« ), une autre héroïne est rajoutée pour compléter le numéro. Elle partage sa première aventure avec Thun’Da et tous les deux affrontent un personnage nommé Kor (non, pas ce Khor, mais pour un peu…). Et justement il se trouve qu’un des personnages secondaires du serial King of the Congo est nommé Kor.
Mais le compromis est temporaire. A la fin de leurs aventures dans ce deuxième numéro, Thun’Da, Pha et Sabre trouvent l’emplacement du fabuleux cimetière des éléphants (lieu recherché par tous les chasseurs d’ivoire et amplement cité dans les aventures de Tarzan). Regardant au-delà du cimetière, Thun’Da et Pha sont alors sidérés de trouver un passage qui mène à vers la Lost Land. Ils font donc le chemin inverse pour rentrer chez eux et retrouver, dans la foulée, le contexte préhistorique, dinosaures inclus.
Difficile de savoir ce qu’aurait donné la carrière de Thun’Da si Frazetta et Fox avaient pu s’en tenir à leur version, celle d’un seigneur de la Lost Land affrontant des dinosaures en compagnie de Sabre. L’influence de Tarzan serait restée tangible, Thun’Da serait resté en un sens académique mais la série aurait sans doute été de toute beauté. Et Thun’Da #1, entièrement dessiné par Frazetta, demeure un trésor du Golden Age. Et puis, quand même, il y a cette silhouette de seigneur d’une « terre sauvage » marchant dans la jungle au côté d’un tigre à dents de sabre. Accidentellement ou pas, Thun’Da est, du coup, un des ancêtres du Ka-Zar de l’univers Marvel moderne… Pas mal pour un héros qui devait au départ se contenter d’imiter Tarzan…
[Xavier Fournier][1] Il y a un jeu de mots voulu par les auteurs : bien que j’ai qualifié de « gong » (le terme me paraissait plus explicite) l’objet qui réveille le serpent géant, dans la version originale c’est le terme tambour qui est utilisé (soit « drum » en anglais). Le héros, nommé Roger « Drum » accède donc au rang de roi de la jungle après avoir lui-même frappé sur son homonyme, un tambour…
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