[FRENCH] Comme on a pu déjà le voir dans d’autres Oldies But Goodies, dans les années 50 les comics de cow-boys ont épousé les codes du super-héroïsme. Le Ghost Rider, Tim Holt et d’autres sont devenus des héros masqués, flirtant parfois ouvertement avec le Fantastique ou la Science-Fiction. Et, pour bien faire, il fallait en face d’eux des adversaires qui sortaient de l’ordinaire. D’où de véritables super-vilains de l’Ouest comme la Harpy…
La série TV « Les Mystères de l’Ouest » (ou « Wild Wild West » dans la version originale) n’ont rien inventé. Dès l’Age d’Or des comics il existait des aventuriers baroques, des héritiers de Zorro et du Lone Ranger qui accomplissaient des exploits pour le moins inhabituels pour des personnages qui, souvent, n’étaient que de simples garçons-vachers ou, au mieux, les shérifs d’une petite bourgade. Les comics de super-héros avaient marqué le pas mais au cinéma Zorro et d’autres justiciers du même type avaient encore de beaux jours. Aussi plusieurs revues de BD liées aux westerns emboitèrent le pas et lancèrent (ou réinventèrent) des héros comme Red Mask ou Ghost Rider (dont nous avons déjà respectivement parlé ICI et ICI). Mais face à ces cavaliers sortant de l’ordinaire, il fallait des adversaires au moins aussi hauts en couleurs, sinon grotesques. S’il existait des pseudo-super-héros de l’Ouest, il fallait des super-vilains à leur hauteur. Nous avons déjà parlé dans cette chronique de personnages comme Red Raven, Iron Mask ou même de l’authentique Ned Kelly mais la Harpy, avec ses airs de Batwoman avant l’heure, en est un autre exemple…
Dans Tim Holt #30, le Ghost Rider lève ses mains pour essayer de repousser la redoutable Harpy, une femme costumée, pourvue d’ailes de chauve-souris et de griffes acérées. Pourtant ce n’est pas n’importe qui, le Ghost Rider (le « Cavalier Fantôme »). Ce cow-boy masqué (en fait Rex Fury) en impose même d’habitude, avant pris l’habitude de se faire passer pour un fantôme, ce qui lui laisse en général un assez bon avantage psychologique. Le narrateur nous situe alors le cadre général : « La Harpy est une créature de légende, une adorable femme avec des griffes crochues et les ailes d’un monstre ! Mais quand cette légende prend vie dans la petite ville minière d’El Dorado, le Ghost Rider se retrouve à lutter pour sa propre existence, tandis qu’il se bat à mort contre… les Griffes de l’Horreur ! ».
Sans perdre de temps, on nous montre alors les rues d’une ville (sans doute « El Dorado ») où un homme terrifié s’efforce de fuir à cheval tandis qu’il est poursuivi par une créature qui vole comme un oiseau. Ca, je vous avais prévenu, la Harpy n’a rien à envier à Hawkman ou à Red Raven sur ce plan-là. Elle rattrape donc sans peine le fuyard et passe ses mains autour de son cou. Sous le choc, le pauvre homme devient vert et, si on regarde bien, on voit que la case représente des projections de goûtes de sang. Bien qu’on se soit débrouillé pour éviter toute représentation du sang justement… Quelques instants plus tard un ivrogne débarque, alerté par les cris. Il arrive trop tard. Il a juste le temps d’apercevoir la monstrueuse Harpy… mais croit d’abord qu’il est sous l’influence de l’alcool. Il n’accorde donc pas d’attention à sa « vision ». D’autant que l’instant d’après elle n’est plus là (sans doute envolée, au sens propre). L’ivrogne se précipite donc au secours de l’autre homme, tombé à terre. Mais celui-ci est mort et couvert de marques de griffes. Qui plus est le seul témoin de la scène remarque aussi des empreintes de chaussures de femme sur le sol. Et s’il n’avait pas tout rêvé ?
Quelques heures plus tard, au bureau du shérif Rex Fury, on examine les preuves. On a moulé les empreintes des griffes et des chaussures, histoire de garder une trace. Et c’est aussi ce qui fait qu’on accorde de l’attention aux dires de l’ivrogne, dont la parole serait forcément remise en cause sans ces traces. Une seule chose fait douter Rex Fury : « J’ai examiné l’endroit et ces empreintes de pieds se terminent d’un coup, comme si quelqu’un avait marché et s’était envolé dans les airs ! ». La mort est si mystérieuse qu’on en oublierait presque de se poser une autre question. Quel est le mobile ? Au même moment, dans l’arrière-salle du saloon d’El Dorado, quatre hommes (Eli Welles, Frank Hoover, Tom Tisdale et Carl Pasdach) semblent en savoir plus : « Quelqu’un a tué Ed ! Mais seulement nous quatre savions que nous étions tous… partenaires ! ». Un autre des conjurés s’écrie : « Il parait que la Harpy tue les gens qui ont pêché ! ». Un troisième rétorque : « Mais personne ne sait que nous étions amis, en dehors de nous ! Personne ne sait qu’il y a quinze ans nous avons tué Will Martin ! ». Une scène de flashback montre alors comment ces hommes se sont débarrassés d’un homme (le dénommé Will Martin) qui avait trouvé une mine d’or. Lassés de travailler pour lui, les cinq amis (en comptant Ed) le tuèrent et se débarrassèrent du corps avant qu’il puisse déclarer sa trouvaille. Puis ils racontèrent qu’ils avaient trouvé la mine…
Ces hommes se rassurent. Après tout ils ont bien caché le cadavre de Martin au fond de la mine et personne ne le trouvera jamais là-bas. Mais hélas pour eux, comme l’explique le narrateur « Quinze ans plus tard c’est comme si le fantôme de Will Martin s’était levé de sa tombe, réclamant vengeance ». D’ailleurs, après la réunion, alors qu’il rentre chez lui, Carl Pasdach est attaqué par la Harpy en pleine campagne. Si ce n’est que cette nuit là le Ghost Rider rôde… Apercevant la Harpy penchée sur le cadavre de Pasdach, le cavalier blanc se précipite vers elle : « J’ai remué toute la ville à ta recherche ! Et je te trouve en pleine nature ! ». Pas spécialement effrayé, le justicier se jette alors vers la criminelle, bien décidé à en découdre : « … mais où que tu te cache, créature du Mal, tu devras rendre des comptes au Ghost Rider ! ». Malheureusement pour lui, alors que le combat s’amorce, le héros glisse sur une pierre et perd l’équilibre. Ce genre d’accident est rare dans les comics mais la Harpy est bien décidée à en profiter. Elle semble manœuvrer pour l’attraper avec ses griffes tandis que le Ghost Rider réalise avec angoisse qu’il n’arrivera pas à se redresser assez vite pour la contrer. Heureusement son cheval blanc, Spectre, est d’une rare intelligence. Il s’interpose entre son maître et la Harpy, faisant mine de donner des coups de sabots à cette dernière. Mais dans la cohue le Ghost Rider heurte sa tête contre un rocher (décidément ce n’est pas son jour).
Quelques minutes plus tard, quand le héros reprend ses esprits, il s’aperçoit que la Harpy a pris la fuite : « Elle s’est échappée ! Mais elle n’avait rien de mythique ! Elle est réelle ! C’est une femme douée de la force d’un homme ! ». Le Ghost Rider prend alors, à pied (il faut croire que Spectre a filé aussi), la direction de la ville tout en ruminant ses pensées : « Puisque c’est une femme si forte… Il est possible qu’elle ait utilisé une sorte de gadget mécanique pour l’aider à décoller du sol, donnant l’illusion qu’elle vole ! ».
Il monte sur un toit et remarque des traces… on avait installé ici de quoi tenir un câble dans les airs « comme un acrobate de cirque pourrait en utiliser ! Elle pouvait se laisser glisser ! ». Mais pendant qu’il est sur le toit, Ghost Rider aperçoit Eli Welles, Frank Hoover et Tom Tisdale qui quittent la ville en fonçant sur leurs chevaux. Le héros note leur précipitation : « Ils chevauchent aussi vite que s’ils avaient un rendez-vous important avec quelqu’un ! Je vais les suivre ! ».
En fait les trois survivants du gang ont décidé d’aller voir dans la mine si le cadavre de Martin s’y trouve toujours. Après tout est-ce que ce ne serait pas lui qui se venge en les éliminant les uns après les autres ? Mais ils trouvent bien le squelette de leur ancien employeur, à l’endroit où ils l’ont laissé 15 ans plus tôt. Ils sont cependant surpris quand ils entendent un bruit derrière eux et voient arriver… Le Ghost Rider. Ils se demandent alors ce qu’il veut mais le héros, qui vient de comprendre la situation (ou d’écouter de loin ce qui s’est dit) est prompt à reprendre son rôle de fantôme vengeur. Ce qu’il veut ? « La vengeance pour celui dont les os reposent dans votre cachette secrète ! Vous l’avez tué ! Et pour çà vous devez payer ! Et maintenant l’un d’entre vous tue les autres, espérant supprimer tous ceux qui pourraient témoigner contre lui ! ». Furieux, les hommes tentent de lui tirer dessus. Mais Ghost Rider utilise son truc habituel : la combinaison de son costume luminescent et de l’intérieur de sa cape noire lui permet d’apparaître comme une tête désincarnée dans la pénombre. Mieux (et dans cette scène c’est montré de manière explicite) une reproduction lumineuse de son masque est peinte à l’intérieur de sa cape noire. Ce qui fait qu’il suffise qu’il brandisse sa cape… pour que les meurtriers tirent dessus en pensant le toucher… Ce qui ne risque pas d’arriver puisqu’il se tient sans doute sur le côté…
Néanmoins Ghost Rider s’en va sans attendre : « J’ai planté la petite graine de la suspicion dans leur esprit. Ils vont se surveiller les uns les autres… Et peut-être que l’un d’entre eux livrera l’information dont j’ai besoin pour conclure cette affaire ! ».
Rex Fury a raison car le lendemain un des trois hommes se présente à son bureau. Il veut tout avouer et permettre d’éclaircir les morts d’Ed Wright et de Carl Pasdach. Fury feint l’ignorance : « Mais ils ont été tués… supposément pas une créature fabuleuse nommée la Harpy ! ». Le gangster commence à expliquer : « Il n’y a pas de chose de ce genre. En fait la Harpy c’est… » mais il s’effondre, mort. Se précipitant vers lui, Rex Fury découvre que le seul témoin qu’il avait a été assassiné grâce à une aiguille empoisonnée… « Il ne me dira jamais qui est la Harpy maintenant ! ». Ah ça non, il ne risque pas, c’est certain…
Mais que font les deux autres gangsters ? Cette même nuit, ils ont décidé de bouger le corps de Martin et d’aller l’enterrer dans le désert, là où personne ne risque de le trouver… et où rien ne le relira à eux (parce que c’est sur que laisser son squelette dans une mine qu’ils ont déclaré à leur nom…). Mais quand les deux hommes sortent de la mine en portant les restes de Martin sur un brancard, ils sont attaqués par la Harpy, qui s’élance du haut d’un échafaudage de la mine. Tom Tisdale est le premier à tomber sous les griffes de la femme masquée, implorant son dernier comparse de l’aider. Mais c’est le Ghost Rider qui arrive à la rescousse, expliquant à la Harpy : « Je me doutais que ta tentative suivante aurait lieu ici, pour coincer ces hommes avec le squelette ! ». Rageuse, la Harpy s’écrie « Toi… tu en sais trop ! » et elle le menace de ses griffes.
Mais cette fois aucun petit caillou ne vient faire glisser le Ghost Rider. La Harpy a beau être aussi forte qu’un homme, le Ghost Rider n’est pas n’importe quel homme. Cette fois il arrive à prendre le dessus, en lui serrant le poignet dans une prise douloureuse (pour elle). Pourtant le héros à des remords : « Je ne veux pas te faire de mal ! Tu est une meurtrière… mais tu es aussi une femme ! ». Et oui. On peut être justicier masqué, shérif mais aussi gentleman… Et même dans le contexte des années 50 on en est encore à cette idée que la femme part avec un handicap, qu’elle ne peut battre l’homme et qu’il est donc déloyal pour ce dernier de l’affronter. Ghost Rider en profite cependant pour l’inspecter de plus près. Comme il s’en doutait les griffes ne sont pas naturelles et sont montées sur des gants de cuir recouvrant des mains humaines. Il ne reste plus qu’à arracher le masque et à révéler (attention, instant façon final d’épisode de Scooby-Doo)… Belle Martin, la propre fille de l’homme que le gang a assassiné. C’est elle qui les attaqué, en cherchant à se venger.
Ghost Rider s’est visiblement renseigné sur elle. Il explique aux criminels qu’elle a été une trapéziste dans un cirque et que c’est ce qui a développé sa force et sa souplesse sur des cadres : « Il était simple pour une telle femme de prétendre qu’elle volait, grâce à ces câbles qu’elle avait préparé. Après vous avoir assassiné elle aurait réclamé la mine et aurait pu devenir riche ! Elle travaillait avec Eli Welles, qui l’amené ici. Mais quand il est venu se confesser, elle l’a assassiné avec une aiguille empoisonnée ! ». Bien sûr c’est un peu incohérent puisque si Eli Welles était le complice de Belle Martin il n’avait pas de raison d’aller la dénoncer à Rex Fury, qui avait plutôt cherché à mettre la pression entre les hommes du gang. Mais bon… soulagés de savoir qu’aucun monstre volant ne les menace réellement, les deux voleurs de mine restant tentent de s’enfuir à pied. Le Ghost Rider a vite fait de les capturer au lasso puis de ramener vers la ville ses trois prisonniers (les deux hommes et Belle Martin), attachés en file indienne. Il leur promet alors qu’après avoir connu sa corde ils connaîtront celle du bourreau : « Car tous ceux qui pêchent à minuit finissent par payer pour leurs crimes…. ». Puis dans une dernière case on voit le Ghost Rider s’éloigner dans la nuit, demandant à son cheval Spectre de se presser, car l’aube approche (et les trucages du Ghost Rider ne fonctionnent pas au grand jour).
La Harpy est un adversaire impressionnant. Si elle était apparue quelques années plus tard, nous n’aurions pas manqué de croire qu’elle avait pu être inspiré (au moins lointainement) par la Batwoman du Golden Age. Mais cette dernière n’a débuté que bien plus tard. Belle Martin est redoutable… Mais son existence reposait surtout sur le fait que, pendant quelques pages, on pouvait se demander comment une femme volante pouvait exister dans le Far-West. Une fois la vérité découverte par le Ghost Rider, la Harpy perdait de sa superbe. Même sans ses ailes (qui n’étaient plus nécessaires) elle aurait pu rester dangereuse. Même une fois établi qu’elle ne vole pas vraiment, on pourrait la comparer à une sorte de proto-Wolverine ou au moins comme un équivalent de Catwoman transposée dans l’Ouest légendaire. Mais les auteurs n’avaient plus d’utilité pour elle. Il faut croire que le bourreau fit son travail. On n’a plus revu la Harpy depuis… Ceci dit, comme cette version du Ghost Rider, Belle Martin est désormais un personnage du domaine public dans le droit américain, ce qui fait qu’un autre éditeur pourrait un jour s’amuser à prolonger sa carrière. Ca semble difficile mais, dans les comics, on a vu des choses plus incroyables…
[Xavier Fournier]