Oldies But Goodies: Tim Holt #32 (Oct. 1952)

[FRENCH] Action ! Dans les années 50 Magazine Enterprises publiait toute une gamme de comics de western. Mais les cow-boys qu’ils abritaient tenaient d’un genre hybride. Sans doute pour surfer sur la mode de Zorro ou Lone Ranger, ces justiciers de l’Ouest agissaient masqués, comme autant d’émules de Batman projetés dans le contexte du Far-West. Mais si les cow-boys portaient des masques, n’était-il pas logique que leurs adversaires fassent de même ? Dans Tim Holt #32, les lecteurs allaient faire la connaissance d’un adversaire mémorable. Iron Mask, l’homme au masque de fer, n’avait pas fini de faire parler de lui. Et pas que chez Magazine Enterprises…

La famille Holt fut une véritable dynastie d’acteurs. Le patriarche, Jack Holt (1888-1951) avait tourné dans des films dès 1913. Moustachu, Holt était reconnaissable à une forte mâchoire et un grand nez. Et au bout de quelques années on allait vite verser dans une sorte de fusion entre la réalité et la fiction. En 1931 le dessinateur Chester Gould allait s’inspirer du visage de Jack Holt pour créer… Dick Tracy (Gould se dispensant des moustaches de l’acteur). En 1941, Jack Holt était assez célèbre pour que le studio Columbia lui consacre un serial de 15 épisodes qui déjouait, là aussi, toute frontière entre le monde réel et le récit fictif. Dans « Holt of the Secret Service », l’acteur Jack Holt incarne un as des services secrets… qui n’est autre que lui-même ! Le producteur avait pensé qu’en donnant le nom du comédien à l’acteur (et en l’incorporant aussi dans le titre), il y gagnerait en publicité. Ironiquement l’agent secret Jack Holt était donc très près d’une version ciné de Dick Tracy. En temps et en heure, Jack Holt (le vrai, pas le personnage) devint le père de Tim, Jennifer et David Holt qui tout trois, à des degrés divers, firent carrière dans le cinéma. Tim Holt (1919-1973), en particulier, devint une véritable star, plutôt spécialisé dans les westerns. Et justement dans la culture populaire de l’époque le Far West symbolisait quelque chose d’intemporel… Ou en tout cas de moins daté qu’on pourrait le croire. Selon les films certains cow-boys s’habillaient de la même façon qu’il s’agisse de défendre une ville contre les indiens ou d’aller, en jeep, inspecter le bétail. Parfois il était vraiment très difficile de savoir avec certitude à quelle époque tout ça se passait. Et comme pour en rajouter une couche, là aussi on abaissa les frontières avec certains acteurs qui, popularité aidant, en vinrent à incarner des rôles sous leur propre nom. Un peu comme s’ils avaient été tout le temps ce cow-boy qu’ils jouaient à l’écran. Et tout ça allait, bien entendu, se retrouver dans les comics…

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Dès 1938 on retrouve ainsi l’acteur Gene Autry dans Popular Comics #28 (Dell) puis rapidement dans des Movies Comics publiés par DC, avant qu’Autry ait carrément droit à une série à son nom chez Fawcett. En 1944, c’est au tour de l’emblématique Roy Rogers dans les pages de Four Color #38. Malin, cet acteur avait pensé à exiger qu’on intègre dans son contrat l’utilisation de son physique dans tous les produits dérivés. Il y avait fusion totale entre l’acteur et le personnage qu’il prétendait être… Ou plutôt qu’il ne prétendait justement pas être. Roy Rogers était déjà surnommé le King of The Cow-Boys et c’était un peu comme si, entre deux films, il avait continué d’hanter la pampa pour dénicher tous les méchants qui s’y cachaient. A partir de là les vannes étaient ouvertes et on trouverait plus tard des comics consacrés à John Wayne (le décrivant là aussi comme un aventurier compulsif). En 1948 l’acteur/cowboy Tim Holt fut à son tour consacré personnage de comics chez Magazine Enterprises et projeté dans une sorte de version fantasmé de l’Ouest. C’était un peu comme si les films de Tim Holt avaient été des « documentaires » racontant ses aventures et que les comics nous racontaient ce qui se passait entre les films. Et là aussi il était difficile de savoir quand les histoires se déroulaient. La plupart du temps il semble bien qu’on était dans l’Ouest du dix-neuvième siècle. A d’autres moments c’est moins certain. Mais Magazine Enterprises venait de rencontrer un certain succès avec quelques cavaliers masqués comme le Ghost Rider originel, écrit par Ray Krank. Et si on mariait les deux tendances ? Si on faisait de Tim Holt (jusque là un cow-boy venu du « réel ») un personnage masqué ?

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Fin 1950 (Tim Holt #20) on confia à Krank le soin de mettre en scène cette métamorphose. Le scénariste s’inspira visiblement de Zorro et de ce qu’il avait déjà fait pour Ghost Rider. Lors d’une de ses aventures, Tim Holt entend parler de la légende locale de Redmask (« Masquerouge », écrit le plus souvent un seul mot), un héros du passé qui est supposé revenir quand on aura besoin de lui pour repousser le mal. Comme pour le Ghost Rider (mais aussi comme pour Batman), Tim Holt comprendra qu’il battra plus facilement le gang s’il joue sur leur peur et leurs superstitions. Il se déguise donc en Redmask et arrive à vaincre sans trop de problème la bande. En fait une fois qu’il a résolu cette affaire il n’a plus vraiment de raison de conserver sa double identité mais (pour sacrifier à la mode) il va quand même le faire. A partir de là Magazine Enterprises va donc se retrouver dans une situation vraiment cocasse puisque l’éditeur paye une licence pour utiliser le nom et l’image d’un acteur… à qui il donne finalement un masque rouge et un alias ! Si le principe peut sembler idiot en théorie, il semble au contraire que les gens de Magazine Enterprises savaient très bien ce qu’ils faisaient. La carrière d’Holt dans les westerns semblait sur le déclin (deux ans plus tard l’acteur allait lever le pied, considérablement ralentir la cadence de ses tournages et surtout changer de registre) et sans doute que payer une licence pour un acteur qui n’était plus autant d’actualité représentait un investissement trop grand. Redmask devint alors omniprésent dans les aventures de Tim Holt, tandis que la place de son alter-ego « civil » allait en rétrécissant. En 1954 la mue serait complète et la série serait d’ailleurs officiellement rebaptisée Redmask, oubliant totalement Tim Holt. Redmask serait ainsi publié jusqu’en 1957 (Magazine Enterprises cessant d’opérer quelques mois plus tard). On comprend donc que le « masque rouge » était une assurance contre le déclin de popularité d’Holt.

Dans l’histoire qui nous intéresse aujourd’hui (Tim Holt #32, octobre 1952), les choses en étaient encore à une étape intermédiaire. Le titre était encore basé sur le nom réel de l’acteur et, sur la première page de BD, c’est bien Tim Holt qui est mis en valeur. D’ailleurs sur la page de garde du numéro on a droit à un reportage photo nous montrant comment les enfants d’Ada, dans l’Oklahoma, ont offert un poney à l’acteur, pour qu’il l’accompagne quand il rendait visite à de jeunes malades. Pourtant c’est bien de masque dont il s’agit, même si au premier abord on ne nous parle pas de Redmask. On nous rappelle alors que l’Europe a eu son « homme au masque de fer » (référence au mystérieux prisonnier masqué mort à la Bastille en 1703, qui a inspiré de nombreux romans et films), dont personne n’avait jamais vu le visage.

Le narrateur nous explique alors que le Sud-ouest des USA aussi allait connaître son propre bandit-mystère, qui allait voler et tuer en toute impunité. Et quand Tim Holt, le shérif-adjoint de la ville de Bullet (« Balle », un nom pittoresque pour une ville de l’Ouest) allait se mettre à sa poursuite, le héros allait sentir autour de son cou… la corde du bourreau ! Une image de présentation montre d’ailleurs Tim sur le point d’être lynché par un curieux personnage portant un casque de métal, similaire à un heaume médiéval (sans doute pour le rapprocher de ses supposées influences européennes, même si en 1708 on ne portait plus ce genre de heaume depuis des siècles). Le narrateur termine alors sa présentation avec une point d’angoisse : « Mais alors que pouvait faire Redmask pour échapper au Iron Mask ! ».

Le récit débute alors réellement, tandis qu’on nous montre qu’Iron Mask s’est d’abord manifesté pour attaquer une diligence. En dehors de son masque de fer, le malfaiteur porte une sorte de costume de ville violet et deux pistolets. Il lui manque certains attributs classiques du méchant des westerns (par exemple pas de grand chapeau ou de foulard similaire à celui que porte Tim Holt). En fait Iron Mask pourrait presque passer pour un bandit contemporain… Son second coup, il le fait en pillant la banque de Bullet. Enfin on le voit en train d’attaquer le train de l’Union Pacific, afin de s’emparer d’un coffre contenant 50.000 dollars. Trois jours après son attaque audacieuse, Iron Mask intervient lors de la vente d’un ranch pour faire main basse sur tout l’argent. Au bout de deux jours, le shérif principal de Bullet explique à son adjoint, Tim Holt, que le mystérieux Iron Mask apparaît et disparaît sans prévenir. Ils n’ont pas la moindre piste pour le coincer. Mais Holt n’en est pas si sur. D’ailleurs il explique qu’il a déjà compris où Iron Mask habite… Le shérif est passablement surpris mais Holt affirme que ce n’est qu’une affaire de logique : Il habite forcément près de Bullet ! Ou peut-être même carrément en ville ! Il savait où se trouvait l’argent lors de l’attaque du train ! Il était au courant pour la vente du ranch ! Autrement dit Iron Mask était au courant d’informations que seul un familier des environs pouvait connaître. « Bon sang, Tim ! Je pense que tu as raison ! » s’exclame alors le shérif. Sauf que bien sûr cette théorie ne tient absolument pas compte du fait qu’Iron Mask pourrait avoir un ou plusieurs complices. Mais ca fait partie de ce sixième sens qu’ont les personnages de comics pour éviter des possibilités qui sont effectivement fausses, simplement parce que le scénariste n’a très certainement pas le temps d’étudier même les pistes qui ne sont pas nécessaires.

Tim Holt entend parler d’un fermier du coin, Cal Prince, qui a la mâchoire cassée. Holt se dit alors qu’un masque de fer serait l’accessoire idéal pour cacher une telle caractéristique. Le héros décide alors de camper non loin du ranch de Prince. Si jamais celui-ci devait en sortir déguisé, il le verrait forcément. Mais cinq jours passent et Holt ne remarque rien de spécial. Il est finalement rejoint par un ami, Chito, pour veiller à tour de rôle. Mais finalement le shérif vient les chercher. Iron Mask vient de dévaliser la banque de Silver City. « Ceci innocente Cal Prince ! Personne n’est sorti ou entré dans ce ranch depuis des jours ! » s’exclame Tim. Le héros est un peu découragé d’avoir perdu tant de temps. Sans autre idée pour l’instant il décide de retourner en ville : « Je veux dormir dans un lit, pour changer ! ». Mais après tous ces jours passés dans la nature, l’équipement d’Holt en a pris un coup. Prévoyant, il décide de passer chez l’armurier local, Ed, pour lui demander de nettoyer ses pistolets. Il ne veut pas que ses armes rouillent alors qu’il pourrait tomber sur Iron Mask un de ces jours…

Ensuite le héros tente de se changer les idées en s’occupant de choses liées à son ranch. Il est d’ailleurs en train d’essayer de dompter un cheval quand le shérif vient le voir. Iron Mask s’est à nouveau manifesté. Il vient d’attaquer la banque de Centerville. Et il a laissé une lettre de menace prévenant… qu’il promet de pendre Tim Holt ! Le héros en est tellement surpris qu’il perd sa maîtrise sur sa monture et tombe à terre, se heurtant la tête au sol. En voilà un qui aurait bien fait de porter un casque ! Le shérif s’excuse d’avoir annoncé la nouvelle à un moment si mal choisi. Mais bien sûr notre cow-boy dit que ce n’est rien, qu’il va vite s’en remettre… Et demande à voir la lettre sur le champ. C’est un petit bout de papier qui porte l’inscription : « Avertissement au shérif-adjoint Tim Holt ! Si tu ne laisses pas tomber l’enquête sur Iron Mask… Iron Mask te lynchera ! ». Bien sûr la menace produit l’effet inverse. Holt se précipite à Centerville où il s’aperçoit que le voleur, une fois n’est pas coutume, a laissé de nombreuses traces en quittant la banque. Holt suit donc la trace d’Iron Mask jusque dans les montagnes. Mais il s’agit d’un piège : Iron Mask a laissé les traces en toute connaissance de cause. Il a monté une embuscade et, du haut d’une corniche, tire sur Holt alors que ce dernier est à découvert.

En général dans les histoires c’est le moment où on s’aperçoit que le méchant tire comme un pied. Mais pas cette fois. Au contraire le tir d’Iron Mask fait mouche : Tim Holt, touché à la tête, tombe au sol. Mais il n’est pas mort. L’homme au masque de fer tire tellement bien qu’il a fait exprès de toucher légèrement sa cible : « Je t’avais promis que je te lyncherais et c’est ce que je vais faire ! ». Le fait que le méchant ne veuille pas en finir tout de suite avec son ennemi (avec une balle dans le front par exemple) est un poncif des comics. Mais là c’est beaucoup plus « normal » dans la logique interne de la série. Normalement ce sont les voleurs qui ont droit à la pendaison. En lynchant un shérif Iron Mask cherche une symbolique pour effrayer les autres représentants de l’ordre : « Quand le shérif Gage et le reste de son équipe te trouveront au bout de cette corde, peut-être qu’ils comprendront et arrêterons de me rechercher ! ». En fait, si on regarde bien, depuis le début de l’histoire Holt était le seul qui faisait mine de pourchasser Iron Mask et le shérif principal, lui, a surtout joué les planqués porteurs de mauvaises nouvelles. Si quelque chose arrivait à Holt, le shérif n’aurait sans doute même pas besoin de découvrir le cadavre du héros pour devenir inefficace. Il l’est déjà ! Seule la présence d’Holt masque son inaction…

Mais Iron Mask décide de pousser le bouchon encore plus loin. Puisqu’il va tuer Tim Holt dans quelques instants, il décide de poser son masque : « Avant que tu disparaisse, je veux que tu regarde mon visage ! ».

La scène est dessinée à contre-jour, ce qui fait qu’on ne voit pas la tête du criminel. Mais Holt, sur le point d’être pendu, lance un « TOI !!! » très surpris. Iron Mask referme son casque et donne une claque au cheval qui porte le héros. Ce dernier a une corde autour du coup et quand la monture s’éloigne il pend alors misérablement à une branche d’arbre. Triomphant, Iron Mask explique à voix haute que pendant que son adversaire s’étrange lui va aller à Apache Arroyo, s’emparer d’un chargement d’or…

Quelques heures plus tard Iron Mask attaque le train transportant l’or, tout en se félicitant de ne plus avoir Holt dans les pattes : « Tous les autres représentants de la loi dans le secteur de Bullet seront terrifiés. Je serais libre de faire ce que je veux ! ». Il saute dans le train et assomme un garde : « C’est comme si ces lingots d’or étaient déjà à moi ! ». Sauf que… Vous vous doutiez bien que Tim Holt n’allait pas mourir comme ça, pendant à un arbre. Dès qu’Iron Mask a tourné les talons, le héros a pu mettre fin à la mascarade. En fait lors de sa première chute, au ranch, il s’était fait mal à la nuque. Le shérif et Chito lui ont alors bricolé une sorte de petite minerve en cuir pour qu’il ne tire pas trop sur cette nuque convalescente. Quand Iron Mask a pendu Tim, la corde s’est bien resserrée sur le coup de Tim. Mais la minerve, portée sous la chemise du héros (ce qui explique que le bandit ne l’ait pas vu) a protégé son cou. Sans perdre de temps, Tim change alors de vêtements, enfilant la tenue rouge de son alter-ego masqué : « Puisqu’Iron Mask veut la mort de Tim Holt, il va rester mort ! Mais Redmask n’est pas mort, lui ! Et il a rendez-vous avec Iron Mask à Apache Arroyo !

Tout ça s’est déroulé avant qu’Iron Mask attaque le train. Ce qui fait que pendant que le voleur procède à son hold-up ferroviaire Redmask arrive sur les lieux. A son tour le héros saute sur le train et grime sur le toit : « Avant d’obtenir cet or il va d’abord devoir se confronter à moi ! ». Ce qui ne tarde pas car Iron Mask apparaît lui aussi sur le toit, portant un sac (sans doute rempli de lingots). Il devait sans doute penser pouvoir partir par là. Une bagarre s’engage alors entre les deux hommes. A cette distance aucun deux ne juge utile ou pratique d’utiliser une arme à feu. Ils en viennent donc aux mains. Et Redmask a rapidement le dessus. Car s’il ne peut pas taper sur le visage d’Iron Mask, protégé par son casque, il remarque que son abdomen n’a aucune protection. Mais dans la bagarre Iron Mask fini par être déséquilibré. Il tombe du train alors que celui passe au dessus d’une rivière. L’ironie, c’est qu’une fois dans l’eau Iron Mask se rend compte que son masque, trop lourd, l’empêche de flotter. Son déguisement l’entraîne vers le fond et le bandit sombre alors vers la mort. Plus tard, Redmask a l’occasion d’expliquer au shérif qui était réellement Iron Mask : « Il s’agissait d’Ed Lacerton, l’armurier de la ville ! Son visage était si marqué par les brulures de poudre qu’il savait que les gens le reconnaîtraient même s’ils n’apercevaient qu’une petite partie de son visage. Il a donc du mettre au point un masque spécial. Un masque de fer ! Le shérif, qui n’aura vraiment rien foutu de tout l’épisode, s’amure alors de cette fin : « C’est drôle ! La chose qui devait le protéger l’a finalement trahi et a provoqué sa noyade ! ».

Mais… pourquoi partir du principe qu’Iron Mask est réellement mort ? Après tout si son masque l’alourdissait, il lui suffisait de l’enlever. Le scénariste (non identifié) de cet épisode ne s’intéresse pas à cette solution pourtant logique. Il y a fort à parier que c’est en toute connaissance de cause. Avec une « mort » si floue, digne de diverses autres scènes de trépas de Red Skull chez Timely/Marvel, l’auteur se gardait sans doute la possibilité de ramener en d’autres occasions cet étrange personnage, au cas où l’éditeur ou les lecteurs l’auraient réclamé. Cela ne se fit pourtant pas (en tout cas pas chez Magazine Enterprises) et on pourrait donc croire que Iron Mask coula donc à pic dans la rivière sans laisser de trace. Ce ne fut néanmoins pas le cas. Et c’est là que l’histoire se complique tout en prenant une autre dimension…

L’énigme de « l’Homme au Masque de Fer » fait partie de la culture collective. Il ne faut donc pas s’étonner si d’autres auteurs américains firent allusion eux aussi à des masques de métal ou même au terme « Iron Mask ». Par exemple (entre autres) dès 1947, chez Quality Comics, le scénariste Bill Woolfolk avait confronté le héros minuscule Doll Man à un gangster nommé The Man in the Iron Mask. On ne peut pas pour autant y voir un lien de cause à effet avec l’Iron Mask affronté par Tim Holt. Les deux épisodes sont simplement inspirés par l’Homme au Masque de Fer historique ou littéraire. Dans Tales of Suspense #31 (juillet 1962), chez Marvel, on trouve bien une histoire dessinée par Jack Kirby titrée « The Monster in the Iron Mask », dans lequel une brute inhumaine porte un masque semblable à celui de Doctor Doom. La chose est d’autant plus notable que Doctor Doom (ou Docteur Fatalis si vous préférez la VF) est apparu lui aussi en juillet 1962, dans les pages de Fantastic Four #5, toujours dessiné par le même Kirby (et scénarisé par Stan Lee). Doom/Fatalis fut à l’évidence lui aussi en partie inspiré par l’Homme au Masque de Fer, ne serait-ce que sur un plan cosmétique. Mais serait-il possible qu’à quelques années de distance l’Iron Mask de Magazine Enterprises ait inspiré Doctor Doom ? Après tout, malgré d’autres différences fondamentales (l’un est armurier du far-West, l’autre scientifique et sorcier européen et contemporain), les deux criminels ne se contentent pas de porter un masque similaire. Il leur sert aussi à la même chose : Ed Lacerton et Victor Von Doom se servent tous les deux d’un masque de métal pour cacher un visage défiguré. Si on veut pousser le bouchon un peu plus loin, revenons sur le fait qu’Iron Mask est un armurier… et que Marvel finira par lancer Iron Man (Tales of Suspense #39, 1963) en lui donnant comme alter-ego… un fabriquant d’armes. Mais, comme nous l’avons vu, les références à « l’Homme au Masque de Fer » sont assez courantes pour qu’on doive avancer avec prudence quand il s’agit de rapprocher deux personnages portant un masque de fer. Il faudrait au moins une preuve que les auteurs de Doctor Doom avaient connaissance de l’Iron Mask de 1952…

Bingo ! Et pas qu’un peu : En mai 1963, dans Kid Colt Outlaw #110, Stan Lee (le co-créateur de Doom, donc) signe une histoire (dessinée par Jack Keller) tout simplement intitulée… « Iron Mask ». Kid Colt est un héros du Far-West qui doit défendre la ville contre un mystérieux malfaiteur nommé Iron Mask. Au demeurant on pourrait croire que Stan Lee s’est simplement amusé à inventer une sorte de Doctor Doom à la sauce Western (et en un sens c’est le cas). Mais l’Iron Mask de Marvel fait preuve d’une ressemblance sidérante avec celui de Magazine Enterprises. Non seulement il porte un masque similaire mais ces vêtements sont semblables (il porte le même genre de veste). Mieux: si la couverture de Kid Colt Outlaw #110 le montre avec un costume vert (sans doute pour mieux lorgner sur Doom), les pages intérieures ne tarderont pas à le montrer avec une veste et un pantalon violet. Soit EXACTEMENT la même tenue que l’Iron Mask de 1952 ! Même ses actes sont voisins puisque cet autre Iron Mask vole un ranch puis attaque le convoi qui amène l’argent en ville. La grosse différence est que le personnage de Stan Lee est un peu plus malin que l’adversaire de Tim Holt. Au lieu de se contenter d’un simple masque de fer, il a pensé à s’équiper d’un plastron qui lui sert de gilet pare-balles. Ce qui fait que lorsque Kid Colt lui tire dessus, ca n’a aucun effet (au grand désespoir du héros). Finalement Kid Colt passe par chez le forgeron du coin mais tombe par hasard sur Iron Mask. Cette fois le Kid arrive à le blesser au bras (qui n’est pas protégé). Quand il démasque il s’avère que son ennemi est le forgeron. Le passage « fortuit » de Kid Colt chez le forgeron fait un peu penser à la visite non moins accidentelle de Tim Holt chez l’armurier. Il est donc certain que Stan Lee a lu Tim Holt #32 avant d’inventer son Iron Mask (et très probablement avant d’inventer son Doctor Doom).

Qui plus est la couverture de Kid Colt Outlaw #110 est dessinée par Jack Kirby et encrée par Dick Ayers. Ce dernier avait longtemps été collaborateur de Magazine Enterprises, où il avait été le co-créateur du Ghost Rider originel dans les pages de… Tim Holt #11. Ayers était donc placé pour connaître le matériel publié par ME. Et puisque par ailleurs il ne se gênera pas par la suite pour importer « son » Ghost Rider de l’Ouest dans l’univers Marvel, on voit bien qu’il n’était pas contre quelques « emprunts » à son ancien employeur. Et même si Ayers n’a pas encré Fantastic Four #5 (la première apparition de Doom), il était régulièrement l’encreur de la série… Notons aussi que lorsqu’il retourna chez DC, en 1970, Jack Kirby se dépêcha d’inventer une sorte de variante de Doctor Doom (portant le même masque mais vêtu d’une combinaison orange) dans les pages de Superman’s Pal, Jimmy Olsen #133 (octobre 1970). Le nom de ce Doom orange ? Iron Mask. « What else ? » comme dirait l’autre…

Ironiquement, l’Iron Mask de Marvel aura une carrière bien plus riche que celui de 1952. Dès Kid Colt Outlaw #114, le gangster arrive à travailler à l’atelier de la prison où il est détenu et, surfant cette fois sur un comportement digne de Tony Stark, arrive à se fabriquer une nouvelle armure grâce à laquelle il arrive à s’enfuir, bien décidé à retourner au crime et à se venger de Kid Colt. Dans Kid Colt Outlaw #121, Iron Mask va affronter non seulement Kid Colt mais aussi le Rawhide Kid. Dans Kid Colt Outlaw #127, le malfaiteur franchit un pas de plus et regroupe d’autres gangsters apparus dans différents épisodes de la série pour former un gang qui se fait d’abord passer pour un cirque. Même si ce déguisement n’est utilisé qu’une fois, la bande gardera le surnom de Circus of Crime, un nom par ailleurs utilisé pour le cirque contemporain du Ringmaster. L’idée conforte donc Iron Mask dans le rôle d’une sorte de prédécesseur des super-villains Marvel modernes, devançant non seulement Doctor Doom mais aussi le « Cirque du Crime ». Comme en plus les épisodes de Kid Colt firent l’objet de réimpressions cycliques dans la série, Iron Mask devint sans doute un des plus notables bandits masqués de l’Ouest version Marvel. Sa notoriété fut entérinée dans West Coast Avengers #18 (1987), quand les Vengeurs de la Côte Ouest voyagèrent dans le temps, remontant jusqu’au dix-neuvième siècle. Iron Mask, à la tête d’une version augmentée de son Circus of Crime (incorporant des personnages comme le Red Raven de l’Ouest), s’opposa plus où moins bien aux Vengeurs ainsi qu’à différents cow-boys masqués comme le Two-Gun Kid et… le Phantom Rider (version renommée du Ghost Rider d’Ayers pour éviter toute confusion avec le Motard Fantôme également édité par Marvel). West Coast Avengers #18 contenait donc de manière clandestine deux personnages arrachés aux pages de la revue Tim Holt (Iron Mask et Ghost Rider). Au final, Iron Mask, présenté comme un ennemi de Kid Colt dérivé de Doctor Doom a donc toutes les chances d’être en réalité le prototype du dit Doom qui se serait invité de manière incognito dans les pages de Marvel !

Bon je vous laisse. J’ai quelques vaches à ramener au ranch… Yihaaaa !!!!

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[Xavier Fournier]

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