Je vous ai déjà parlé dans cette rubrique d’U.S.A. Comics, revue de l’éditeur Timely-Marvel qui occupait (au moins dans les premiers épisodes) une place à part dans la gamme de cette société. Tout s’y passait comme si on avait délibérément décidé de créer des « clones » ou en tout cas des personnages qui utilisaient des recettes ayant fait leurs preuves dans d’autres titres à succès de la maison. Ainsi on trouvait divers héros patriotiques qui occupaient un peu le « spot » de Captain America. Plus loin on faisait connaissance avec le chef d’une nation « troglodyte », Rockman (celui-là même qu’on revoit de nos jours dans la maxi-série The Twelve) qui occupait un peu la place de Sub-Mariner dans les années 40 (cette même capacité à envoyer ses armées à l’aide de la surface pour lutter contre les saboteurs). On trouvait aussi le Whizzer (le « Bolide ») qui, lui, n’était pas un dérivé du modèle Marvel mais lorgnait ouvertement sur le premier Flash de DC, au moins en termes de typologie. Restait, pour finir la revue, à occuper un dernier spot de la recette Marvel, à savoir celui de « l’élémentaire » tel pouvait l’être Human Torch dans Marvel Mystery Comics. Et comme un autre héros basé sur le feu aurait sans doute été un peu voyant, le jeune scénariste Stan Lee, dont c’était une des premières créations, proposa donc l’opposé : la glace.
Intéressons-nous au « visiteur » de Jack Frost, cet homme mourant que le héros recueille dans ses bras. Il s’agit du Docteur Forbes, qui a découvert de l’or en Alaska. Un certain Mike Zelby lui a tiré dessus, le blessant mortellement. Dans son dernier souffle, Forbes demande à Jack Frost de sauver sa fille, qui vit à New York (et on en déduira qu’elle est menacée par Zelby). Devant le cadavre, Jack Frost se lance alors dans un monologue… « J’ai entendu que le crime fleurissait dans le monde et voici qu’il touche mon pays. Je vengerais celui-ci et empêcherais qu’il y en ai d’autres ». La phrase étrange quand on la compare aux quelques cases qui précédaient. Il y a quelques instants il disait ne pas avoir entendu de voix humaine depuis des siècles et le voici qui parle d’avoir entendu dire des choses sur le monde extérieur. Si on doit interpréter sa phrase au premier degré, Jack Frost est donc tenu au courant du sort du monde par un intermédiaire quelconque. Bien plus récemment Roy Thomas a utilisé Jack Frost comme membre fondateur de la Liberty Legion (dans une scène se déroulant en 1942) et l’homme des glaces répondait à un appel radio de Bucky. On peut donc en déduire qu’en 1942 au moins Jack Frost écoutait la radio (ce qui suppose de la technologie et du courant dans son « royaume ». Mais comme en 1941 cela fait des lustres qu’il n’a pas entendu de voix humaine, la radio n’est visiblement pas encore installé dans son iceberg. Donc qui sert d’intermédiaire ? Soit Jack Frost a des « émissaires » qu’il envoie dans le monde… Soit (et c’est ma théorie préférée) on pourrait partir du principe que s’il n’entretient aucun rapport avec les humains il a des liens avec les autres races « non-humaines » de l’univers Marvel (Atlantéens, Eternals…) qui lui racontent ce qu’il en est. Quoi qu’il en soit, Jack Frost est assez au courant des choses pour savoir d’emblée ce qu’est « New York » et prendre la route sans hésitation. Après avoir congelé le cadavre de Forbes dans un grand cube de glace, Jack Frost s’envole, « porté par les vents du Grand Nord » (en gros il peut donc voler selon le même système que la Tornade des X-Men, bien qu’ensuite on fera très peu allusion à cette capacité).
Pendant ce temps, à New York, les forces de police se doutent bien que Zelby a tué Forbes dans le Nord mais ne peuvent rien prouver. C’est à ce moment que le Commissaire Brian et son second ressentent une impression de grand froid. En fait, Jack Frost vient de s’introduire dans le bureau par la fenêtre (comment un être venu du pôle nord sans contact avec la race humaine saurait-il trouver directement le bon bureau de police où on enquête sur l’affaire qui l’intéresse ?) et leur propose ses services pour les aider à combattre le crime. Mais les deux policiers ont bien du mal à le prendre au sérieux. Pour eux, Jack Frost n’est qu’un ahuri en slip. Le maître de la glace est vexé comme un pou et commence à leur prouver ses pouvoirs en gelant la cigarette du Commissaire et créant des stalactites qui font pleuvoir des gouttes humides dans la pièce. Maintenant les deux hommes le prennent au sérieux mais le considèrent comme un dangereux lunatique. Jack Frost créé alors une stalactite supplémentaire pour « signer » son passage, où il écrit ses initiales (J.F.) ce qui au passage entérine le fait qu’il est a l’aise avec l’anglais. Non seulement son nom est anglais, non seulement il sait le parler et le comprendre mais en plus il signe naturellement en anglais. Ensuite, Frost « disparait » purement et simplement de la pièce sans vraiment que le scénario ou le dessin détaille comment. On comprendra à demi-mots que Jack Frost a le moyen de polir la glace qui compose son corps. Car il ne semble pas être recouvert de glace mais bien *composé* de glace, comme le prouvent plusieurs cases où on voit le décor à travers son corps, prouvant qu’il n’y a rien d’autre que de la glace.
Clairement, si au niveau des pouvoirs c’est une sorte d’anti-Human Torch, pour ce qui est de la mentalité Jack Frost doit tout à Sub-Mariner. Son hostilité serait cependant plus localisée que celle du Prince des Mers. D’abord Jack Frost ne peut rester sans rien faire quand il constate un meurtre impuni. Dès U.S.A. Comics #2 il prendrait donc l’habitude de résoudre quand même des enquêtes même s’il est conscient à chaque fois que la police lui mettra tout sur le dos. Et dans U.S.A. Comics #4, voyant un couple réunit qu’il vient de sauver, Jack Frost finira par comprendre que certains humains sont des gens biens (encore qu’entretemps Stan Lee avait écrit une nouvelle dans U.S.A. Comics #2 dans laquelle on apprenait que Jack Frost faisait partie d’une sorte de cercle de héros, sorte de JSA embryonnaire réunissant tous les personnages publiés dans U.S.A.). Bien plus tard, Roy Thomas (dans la création de la Liberty Legion dont je parlais plus tôt) entérinerait qu’à partir de 1942, malgré un tempérament hautain et colérique toujours digne de Namor, Jack Frost s’était un peu calmé, qu’il n’était sans doute plus chassé par la police et qu’il agissait désormais en ami de l’Amérique et ennemi des forces de l’Axe.
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