Oldies But Goodies: Westerner Comics #25 (Fev. 1950)

[FRENCH] A l’Ouest rien de nouveau ? Au contraire ! Le western était un genre bien vivant dans les années 50 où rien n’était interdit. Les cow-boys affrontaient parfois des monstres ou des sorciers indiens avec de vrais pouvoirs magiques. Les scénaristes ne s’interdisaient rien. Ni même d’écrire des histoires se déroulant ailleurs qu’en Amérique. Malgré son nom, la revue Westerner allait ainsi s’intéresser à un étrange bandit australien, Ned Kelly…

Les cow-boys et les voleurs de banques n’ont pas hanté que le seul Ouest américain. Même si on ne trouvait pas, par la force des choses, d’amérindiens dans les grandes étendues australiennes, les us et coutumes du dix-neuvième siècle étaient assez similaires dans les deux pays pour qu’un comic-book américain promettant des « récits de l’Ouest » ne paraisse pas hors-sujet quand il s’agissait de lorgner sur cette autre contrée. Ainsi, Westerner Comics #25 nous présente Ned Kelly, que le narrateur du récit introduit d’emblée avec ce portrait terrible : « Pendant presque 15 ans, le nom terrifiant de Ned Kelly s’est répercuté d’écho en écho à travers l’Australie, alors que cet aventurier rouquin à la voix douce traversait les plaines et les collines, répandant un règne de terreur jusqu’à ce qu’il soit arrêté par les forces de l’ordre ». De fait, c’est dans le poste de police d’une petite ville australienne que commence réellement l’histoire. Les hommes du poste ont entendu dire que le terrible bandit Ned Kelly se dirigeait vers la ville. Et on ne peut pas dire qu’ils sautent de joie. Un d’entre eux lâche: « J’espère qu’il se tiendra à l’écart. ce type est un démon ! ».

Mais bientôt on vient prévenir les policiers qu’il y a des problèmes à la taverne du coin. Ils s’élancent à l’extérieur du bâtiment… Et tombent dans une embuscade ! Dehors des hommes les attendent avec leurs armes dégainées. Pris par surprise, les policiers ne peuvent que reconnaître le fameux Ned Kelly, qui leur présente le reste de son gang. Dan, son frère, mais aussi leurs deux complices, Steve Hart et Joe Byrne. Sous la menace des armes les policiers sont non seulement obligés de se rendre mais aussi… de donner la combinaison du coffre de leur poste. On y garde en effet le salaire destiné aux ouvriers de la mine. Ned Kelly et sa bande sont donc en train de réaliser un hold-up… Dans les locaux de la police. C’est dire si le gangster est intrépide et rusé. Les policiers sont outrés et promettent à Kelly qu’il « vivra jusqu’au jour où il regrettera ça ! ». Sans se démonter Kelly répond « Peut-être. Mais en tout cas ça ne risque pas de t’arriver ! ». En effet le gangster a pour principe de ne jamais laisser de témoin vivant derrière lui. Le gang tire sur les agents et s’en va… Sans réaliser qu’ils ont laissé un survivant. Un des policiers n’est pas mort mais gravement blessé. Il arrive à se traîner jusqu’au téléphone et à donner l’alerte à la police montée, les prévenant de l’attaque de Kelly.

Bientôt, le capitaine de police Hare arrive avec ses troupes. Il trouve les traces des cheveux et s’en félicite : « Ca fait dix ans que je chasse Ned Kelly. Je l’aurais… même si c’est la dernière chose que je dois faire ! ». Pendant ce temps, le gang se sait pourchassé, recherché… Mais n’est pas très ému. Ned lit une affiche qui promet une forte récompense pour sa capture: 60.000 £ ! Il en ricane. Mais un de ses hommes ne trouve pas qu’il s’agisse d’une plaisanterie. Au contraire Steve Hart réfléchit… Et le jour suivant, quand on lui confie la tâche d’aller repérer une banque du coin pour préparer une attaque, Steve en profite pour donner un coup de téléphone au capitaine Hare puis lui donne rendez-vous; En échange de la récompense et d’une promesse de ne pas être poursuivi, Steve Hart révèle alors la cachette de la bande…

Mais pendant ce temps Ned Kelly et les deux autres s’impatientent. Ils trouvent que leur complice met beaucoup trop de temps à revenir de la ville. A moins… à moins qu’il se soit laissé tenter par les 60.000 £ de récompense ! Ned Kelly ne semble pas dupe des ambitions de Steve. Le trio se met en route pour la ville et aperçoit Steve Hart à l’entrée du poste de police. C’est la preuve qu’il les a vendu. Sans pitié, Kelly tire sur son ancien compagnon de route. Sauf que cette fois il le fait sous le nez du capitaine Hare et de ses hommes, c’est à dire sans l’avantage de pouvoir disparaître avant l’arrivée de la police. Hare ordonne à ses troupes de monter à cheval et de bloquer les sorties de la ville. Cette fois Kelly et ses deux compères sont coincés. En désespoir de cause ils se réfugient dans l’atelier d’un forgeron…

Bientôt, la baraque est encerclée par la police. Hare ordonne aux bandits de se rendre mais Ned Kelly lui hurle qu’il devra venir le chercher. A l’intérieur de l’atelier, les trois hommes ont alors une idée: Profiter des nombreuses plaques de métal autour d’eux afin de protéger leurs corps des balles de la police. Et s’ils accrochaient ces protections sur leur torse, ils pourraient ainsi sortir et tirer sans trop de crainte d’être touchés. Bientôt, ils ressemblent à des « hommes-sandwich » (avec une plaque de métal à l’avant, une autre à l’arrière) et peuvent sortir dans la rue. Le premier réflexe des policiers est de tirer mais ils se rendent vite compte que leurs adversaires sont, dans les faits, à l’épreuve des balles. Heureusement pour les policemen les deux complices de Ned Kelly se gênent mutuellement et tombent à terre. Trop lourdement harnachés, ils ne peuvent se relever et sont donc rapidement fait prisonniers.

Mais Ned Kelly est encore debout, lui. Le capitaine Hare lui ordonne de se rendre mais le bandit est à l’abri derrière sa protection de métal, en position dominante alors qu’Hare se tient derrière un arbre. Pourtant on saute directement de cette situation où Hare est en mauvaise posture à une case finale où un autre policier félicite le capitaine pour la capture de Ned Kelly. Il y a des chances que l’histoire faisait initialement une page de plus et qu’elle ait été écourtée pour tenir dans ce numéro. De fait, Hart explique en une seule bulle la fin de l’histoire : « Je l’ai attrapé en lui tirant dans les jambes ! Kelly sera pendu à une potence pour ses crimes ! Pendant 10 ans il s’est moqué de la Justice mais à la fin il a perdu !

Voici une curieuse petite histoire de bandits blindés, qui se distingue d’une certaine manière par la manière non-spectaculaire dont elle est mise en scène. Mais si je vous parle plus particulièrement de ce récit, c’est que l’histoire est… réelle ! Ned Kelly (1855-1880) est un bandit qui a vraiment existé au dix-neuvième siècle et qui, tout en étant un pilleur de banques assez sanguinaire, est resté dans la culture australienne comme une sorte de « Robin des Bois » d’ascendance irlandaise tenant tête à la police et aux institutions encore liées à la communauté d’origine anglaise. L’histoire de Ned Kelly est absolument hallucinante, dans le sens où on pourrait le qualifier de premier « Super-Vilain du Réel ». En fait, tous les événements racontés dans Westerner Comics #25 sont réels mais diminués, comme si le dessinateur Rudy Palais avait été mal documenté ou avait voulut diminuer certains aspects pour les rendre plus réalistes. Par exemple on notera la présence de téléphone comme objets assez communs (le poste de police en a un, mais plus tard Steve Hart en utilise un autre), alors que Ned Kelly a été fait prisonnier début 1880, à une époque où on risquait pas de voir le type de téléphone représenté par Palais. Divers autres éléments sont considérablement rétrécis ou modifiés (par exemple le vrai Steve Hart n’est pas le Judas qui a vendu Ned Kelly, il a fait partie de la bande jusqu’au bout et à tenu tête à la police). Mais surtout le dessinateur est complètement passé à côté de ce qui fait l’intérêt de Ned Kelly pour tout lecteur de comics : Les armures !

Au demeurant, le Ned Kelly que nous présente Westerner Comics #25 pourrait passer pour un ancêtre réel du cow-boy sans nom incarné Clint Eastwood dans « Pour une Poignée de Dollars » (dans ce film, le héros se protège des tirs avec une plaque de fonte) et par conséquent de Marty McFly dans Retour vers le Futur III). La vérité, cependant, va bien plus loin que ça. D’abord il ne s’agit pas d’une sorte d’idée de la dernière chance, dans l’atelier d’un forgeron. Au contraire le gang Kelly procéda à plusieurs attaques avec des costumes qu’on croirait sortis d’un… comic-book : Les quatre complices (puisque Steve Hart n’a pas trahi) ont bien utilisé du métal pour se protéger. Mais ils ne se sont arrêtés à assembler des plastrons. Pour la bonne et simple raison que dans ce cas il aurait suffit que la police leur tire dans la tête.

Non. Ce que le gang Kelly a construit, ce sont quatre armures grossières qui leur protégeaient le tronc et la tête (grâce à un casque). Les gangsters n’avaient cependant pas les ressources pour se protéger les articulations où les jambes. C’est grâce à ça que Ned Kelly fut capturé, non pas par un certain Hare mais par un sergent Steele (une variation du mot Steel, soit « acier » en anglais, ça ne s’invente pas). De nos jours les quatre armures du gang Kelly sont encore conservées dans un musée australien et on peut voir à quel point elles sont plus élaborées que les simples plaques de métal représentées dans Westerner Comics #25.

L’affaire de Ned Kelly (surnommé par la suite le « Iron Bandit ») donna lieu à toute une littérature. Il y avait tous les éléments du « roman de prairie », avec en plus des aspects marquants et spectaculaires (les attaques sanglantes de Kelly mais aussi ces fameuses armures). Il y eu même des films muets consacré au bandit dès 1906. Parmi de nombreux autres films ou documentaires, on notera qu’en 1970 le rôle du bandit fut tenu par Mike Jagger. En 2003, c’est Heath Ledger qui incarna Ned Kelly dans un long-métrage.

Pour nous remettre dans le contexte de Westerner Comics #25, le souvenir de Ned Kelly était arrivé jusqu’en Amérique à travers quelques livres mais aussi des films. Vers 1950, cette histoire refit surface (peut-être à l’occasion d’un article de journal ?) car soudainement les auteurs de comics semblèrent très au fait de l’existence de Ned Kelly (même si, comme le prouve Westerner #25, ils ne connaissaient pas forcément les détails).

Assez rapidement l’ombre de Kelly s’infiltra alors dans d’autres récits qui, cette fois, ne se voulaient plus biographiques. Les auteurs préféraient sans doute s’inspirer du bandit australien pour mieux inventer une histoire supposée s’être passée… en Amérique. Pour preuve, dans Dead-Eye Western #11 (août 1950, soit quelques mois à peine après Westerner #25), on voit débarquer les… Iron Men ! Les Texas Rangers pourchassent un bandit nommé Larn Cruger et sa bande, qui ont l’idée d’utiliser des armures de métal pour leur crime. Et là, pour le coup, si l’histoire est réécrite pour transposer un Ned Kelly rebaptisé aux USA, on peut voir que le dessinateur s’est documenté. Les armures des Iron Men sont très clairement basées sur celles utilisées par le gang Kelly, le design étant identique… A partir de là, Ned Kelly et ses imitateurs de 1950 allaient donner naissance à un mini-genre, celui des « bandits de l’Ouest en armure », qui allait refaire surface de manière encore plus marquante dans Tim Holt #32 (1952), avec la création d’Iron Mask, que nous avons déjà traité dans une autre de ces chroniques.

L’héritage de Ned Kelly ne s’arrête pourtant pas là, pas plus qu’il se limite à inspirer une demi-douzaine de bandits de métal dans les années 50/60. On retrouve de manière plus moderne un autre personnage inspiré de cette histoire. Dans ses épisodes de Batman, le scénariste Grant Morrison a ramené le Club of Heroes, une équipe publiée pour la première fois dans les années 50 et composée d’équivalents « internationaux » de Batman, parmi lesquels un héros australien nommé le Ranger. Plus tard, dans le cadre de la saga Batman R.I.P., Morrison poussa les choses plus loin. S’il y avait un Club of Heroes, il était logique qu’il y ait un Club of Villains avec des personnages qui étaient, au moins à un certain niveau les « Jokers » des héros concernés. Morrison créa donc un ennemi juré du Ranger, le Swagman (qu’on pourrait traduire par « L’homme au plastron »), qui porte une armure en tout point similaire à celle du vrai Ned Kelly [1]

C’est un double hommage. D’une certaine manière il s’agit de reconnaître l’existence du criminel australien mais de l’autre il c’est un clin d’œil puisque l’interprète moderne du Joker, Heath Ledger, avait également joué le rôle de Kelly. La dynastie du « Iron Bandit » court toujours… Sans que la plupart des lecteurs de comics réalisent que cette figure à des racines réelles…

[Xavier Fournier]

[1] Certains dialogues de Batman R.I.P. laissent penser que l’homme en armure s’appelle Spring-Heeled Jack alors qu’il s’agit en fait d’une référence à un autre personnage, lié au folklore anglais (et sans doute supposé être l’équivalent du Joker pour les héros Knight et Squire).

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