[FRENCH] Si Wonder Woman, une amazone issue de la mythologie grecque, se battait aux côtés de l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale, n’était-il pas plausible (ou tout au moins logique) que d’autres entités mythiques aient pris parti pour l’autre camp ? Dans l’après-guerre DC Comics se servira de cette idée pour produire quelques épisodes sur le panthéon nordique. Cette fois ce ne serait pas Thor qui mènerait la danse mais le père des dieux, Odin lui-même, qui s’en mêlerait, dans un épisode qui par ailleurs nous permet de déterminer si, le jour où les Amazones voleront, Wonder Woman sera chef d’escadrille…
L’un des principaux super-héros liés à la mythologie pendant le Golden Age est bien entendu Wonder Woman, sans doute plus encore que le Captain Marvel de Fawcett. Si ce dernier empruntait tout un lot d’aptitudes à des personnages de légende, Wonder Woman était la fille d’Hippolyte, reine des amazones. Et, à travers cette princesse guerrière, la mythologie grecque semblait avoir globalement choisi (à part quelques méchants de service comme le dieu Mars) le camp des Alliés. Ce qui d’ailleurs n’est pas si étonnant si on se réfère à un bon nombre de classiques (prenez, par exemple, l’Iliade et de nombreuses variations de la guerre de Troie) qui montrent que les dieux prennent plaisir à se mêler aux conflits des mortels, soit parce qu’ils s’y intéressent vraiment, soit pour régler leurs comptes par personne interposée. On pourrait presque même accuser les créateurs de Wonder Woman de ne pas être allé si loin dans cette voie lors des débuts du personnage. Quand les amazones, sur leur Ile du Paradis, apprennent l’existence de la seconde guerre mondiale et prennent conscience de la nécessité d’intervenir, Athéna et Aphrodite autorisent seulement une des guerrières à se rendre dans le monde extérieur pour aider les mortels. Seule, Wonder Woman se limite assez vite au contour du super héroïsme traditionnel et va combattre des espions nazis et des savants fous, là où on aurait pu imaginer une sorte d’uchronie guerrière avec des escadrons entiers de super-amazones s’engageant dans le second conflit mondial.
En fait les amazones ne sortiront que très exceptionnellement de leur réserve pour aider leur princesse. Les premiers épisodes avaient en effet tout bonnement établis qu’elles n’étaient immortelles qu’à condition de rester sur leur île (Wonder Woman étant l’exception puisque sa « sortie » est autorisée par les déesses). On aurait pu imaginer, à l’inverse, que les forces de l’axe disposeraient d’une troupe de femmes similaires aux amazones, histoire d’équilibrer un peu le conflit. L’idée ne germera finalement qu’assez tardivement, après la chute de l’Allemagne, comme une sorte d’épilogue symbolique du IIIème Reich. Wonder Woman était un personnage au moins en partie patriotique qui avait été lancée en temps de guerre. En 1946, le vrai conflit touchant à sa fin, il était temps de trouver des adversaires de substitution, capable de prendre la place des nazis dans les histoires… La préoccupation n’était pas rare dans les séries de l’époque (dans les aventures d’Airboy, par exemple, après les nazis ce furent… les rats du monde entier qui déclarèrent la guerre à la race humaine). Wonder Woman #23 (daté de mai 1947) n’est pas la première apparition de ces adversaires mais il forme une sorte de conclusion assez intéressante, une sorte de « crépuscule des dieux ».
En utilisant sa « radio mentale » (contrairement au nom, c’est en fait un écran de télévision actionné par la pensée) pour prendre des nouvelles de ses amies amazones, Diana Prince (Wonder Woman dans son identité secrète) a la surprise de voir que son interlocutrice, Sporta, une amie d’enfance, est enlevée sous ses yeux, traînée dans un filet. La scène qu’elle vient de voir se déroulant en fait sur l’Ile du Paradis, Wonder Woman se change à toute vitesse, prête à porter secours à son amie. L’ennui c’est que la Wonder Woman du Golden Age ne peut pas voler par ses propres moyens. Elle utilise d’habitude comme moyen de transport son fameux « Avion Invisible » qu’elle a prêté pour la journée aux « Holliday Girls » (un groupe de jeunes filles amies de l’héroïne, mené par la rondouillarde Etta Candy). Wonder Woman utilise donc à nouveau sa radio mentale pour leur dire de ramener l’avion dans les parages, leur donnant rendez-vous de manière de sauter à bord au passage, histoire de gagner du temps. L’astuce, sur un plan scénaristique, permet aussi d’expliquer comment et pourquoi les Hollyday Girls se retrouvent par la force des choses à faire partie du voyage…
Chez les Amazones on est bien loin de se douter qu’un danger rode. La Reine Hippolyte est même partie en visite sur l’Ile de la Réforme (un petit îlot secondaire rattaché à l’Ile du Paradis, qui sert à la fois de prison et de centre d’endoctrinement). Comme la plupart du temps, les Amazones sont lancées dans des joutes sportives. Cette fois, il s’agit d’une sorte de variation du basket-ball et du hockey sur glace, jouée en l’honneur de la reine Hippolyte. Le match est disputé entre une équipe d’Amazones et un groupe de prisonnières. Un des fondements de l’Ile du Paradis version du Golden Age est en effet de prôner une certaine forme de réhabilitation. Les Amazones gardent parmi elles un certain nombre de prisonnières (parfois d’anciennes nazies) jusqu’à ce qu’elles se rachètent et changent de mentalité. Parfois cette réhabilitation est spontanément le choix de la prisonnière. Souvent les Amazones ne sont pas si patiente et passent leurs prisonnières sous un mystérieux rayon qui change leur personnalité et les force à devenir bonne. Personne, dans la série, ne semblera vraiment s’émouvoir de ce lavage de cerveau (lointain ancêtre des manipulations mentales montrées bien plus tard dans Identity Crisis) qui ne laisse aucune place au libre arbitre. Aussi dans la scène en question ne sait-on pas trop quoi penser quand Hippolyte félicite l’amazone Mala pour avoir transformées les prisonnières en « athlètes splendides qui ont appris l’esprit d’équipe ». A plus forte raison quand les prisonnières en question acclament la reine…
Mais l’évènement sportif est interrompu par l’arrivée d’un « Amazonigram » (sans doute l’équivalent du télégramme pour les Amazones). On informe Hippolyte que plusieurs femmes ont commencé à disparaître sur l’Ile du Paradis. La reine retourne en urgence à son palais et décide d’utiliser un de ses merveilleux gadgets, la « Sphère Magique » (une sorte de fenêtre sur le temps qui permet d’observer des scènes du passé). Avec cette machine, Hippolyte compte bien visionner un des enlèvements et voir qui sont les kidnappeurs. Mais un éclair surgit du ciel pour détruire la Sphère Magique. Un éclair qui, par la même occasion, frappe l’Avion Invisible dans lequel Wonder Woman et les Holliday Girls étaient en train survoler l’île. Touché, l’avion risque de s’écraser, ce qui risquerait de tuer les jeunes filles à son bord. Wonder Woman préfère sauter à terre pour empêcher le crash, arrivant à attraper l’avion dans ses bras en s’écriant « c’est une nouvelle version amazone du baseball ! ». L’avion enfin posé, l’héroïne peut courir au palais, voir si sa mère, la reine, n’a rien. Hippolyte n’est pas blessée mais elle a le morale en berne. Elle n’a rien pu voir avant que la Sphère Magique soit détruite. La seule chose qu’elle a pu entendre, en visionnant à nouveau l’enlèvement de Sporta, c’est l’amazone capturée en train de s’écrier « Femmes Maléfiques ». Quand Wonder Woman va inspecter la plage où se sont déroulées les enlèvements, elle trouve une plume qui n’existe à aucune race d’oiseaux de l’île. Et à partir de là une certaine association d’idées se forme dans l’esprit de l’héroïne. Des femmes maléfiques ? Qui auraient des ailes ? Bien que l’hypothèse lui semble dure à croire, il semble bien que les Valkyries sont de retour et que cette fois elles s’en prennent directement à l’Ile du Paradis.
Et soudain Wonder Woman se remémore : Les Valkyries, dans la mythologie nordique, étaient des guerrières chargées par Odin de ramener au Valhalla les âmes des guerriers les plus braves. Wonder Woman avait déjà eu maille à partir avec ces personnages (et en particulier Gundra, la princesse des Valkyries) en octobre 1946 (Comic Cavalcade #17) quand l’héroïne et son chevalier servant, Steve Trevor, s’étaient rendus dans l’Allemagne vaincue pour enquêter sur une mystérieuse résurgence du nazisme (pourtant à peine déchu). Steve Trevor avait alors été enlevé par Gundra, la cheftaine des Valkyries (reconnaissables aux ailes qu’elles portent dans le dos), qui l’avait emporté au Valhalla (un planétoïde évoluant au delà de l’orbite de la Lune) où règne Odin.
Il est alors évident qu’Odin et ses Valkyries sont du côté des nazis. Et pour une bonne raison : ils ne sont pas présentés comme d’authentiques dieux qui auraient existé bien avant le conflit mais comme des entités psychiques qui auraient été créées par l’inconscient collectif du peuple allemand pendant la guerre (explication intéressante d’ailleurs puisque, si on la pousse au fond de la logique, on peut se demander si Wonder Woman et ses amazones ne sont pas elles-mêmes des manifestations psychiques du peuple américain, qui n’auraient pas réellement existé avant que Steve Trevor les découvre).
Cette version d’Odin (un solide borgne barbu, au tempérament sanguinaire) et de ses vierges guerrières sont donc avant tout la personnification de l’instinct belliqueux des nazis. Inutile de dire que dans Comic Cavalcade #17 Wonder Woman finit par sauver Steve Trevor et que tous deux s’échappent du Valhalla (avec l’aide des Amazones, venues prêter main forte pour l’occasion). Wonder Woman avait utilisé une boule de métal radioactif pour bloquer les «pouvoirs mentaux d’Odin » et tout le Valhalla avait disparu dans un grand nuage de fumée, semblant détruit… « Même si j’ai assisté à la destruction du Valhalla, je ne peux pas me débarrasser de l’impression que les Valkyries ont quelque chose à voir avec la disparition de ces amazones » se dit Wonder Woman sur la plage.
Et, forcément, Wonder Woman n’a pas tort. Une sorte de flash-back (pas réellement identifié comme tel) nous informe d’une série d’événements récents. Quelque part dans la stratosphère, Odin a réunit ses sujets (d’un côté les hommes, de l’autre les Valkyries) pour un grand banquet de célébration, fêtant la fin de la reconstruction du Valhalla après la dure défaite contre Wonder Woman. Maintenant que tout est en ordre, Odin trinque en espérant des guerres plus longues et plus destructrices. Puis il annonce à ses hommes (les guerriers mortels que les Valkyries ont ramené au Valhalla au fil des siècles) qu’il est temps de redescendre sur Terre pour encourager les mortels à se battre. Mais les mâles sont las de se battre. Pire : ils sont fatigués, refusent de redescendre sur Terre et partent se coucher, malgré les protestations des Valkyries, seules à être restées fidèles à Odin. Le roi du Valhalla est fou de rage. Il décide par une curieuse logique que ses Valkyries sont trop faibles pour maîtrises des héros mâles (elles ont été incapables d’empêcher les hommes d’aller dormir) et qu’il leur faut aller sur l’Ile du Paradis pour y enlever les Amazones, qui sont les femmes les plus fortes de la Terre. Il faut les capturer et les transformer en Valkyries qui seront, elles, de taille à se mesurer à n’importe quel homme. Mais si les Valkyries sont incapables de faire face, pourquoi transformer les Amazones ? Le scénario n’explore pas cette contradiction apparente. Puis on nous montre l’arrivée de Sporta, première amazone enlevée, au Valhalla. Fière, la femme a tôt fait de dire à Odin et Gundra que ses sœurs viendront la chercher une fois que la reine aura pu consulter sa Sphère magique. C’est cela qui pousse Odin à utiliser son « épée immortelle ». Sur un cheval crachant du feu, Odin lance l’éclair qui détruit le gadget d’Hippolyte, achevant ainsi de nous montrer les coulisses de ces étranges événements.
On sait qui enlève les Amazones. On sait qui a lancé l’éclair… Il est temps de retrouver Wonder Woman sur la plage. Elle a des soupçons et décide de tendre un piège aux Valkyrie, avec l’aide des Holliday Girls (ah, ça, c’est sans doute une guerrière mais pas une grande stratège Wonder Woman, elle préfère se faire aider d’un gang d’étudiantes venues avec elle alors qu’elle avait toute une île d’Amazones à sa disposition). L’idée de l’héroïne est de faire semblant de dormir sur la plage et de voir si les Valkyries l’enlèvent. Si c’est bien le cas, les Holliday Girls pourront prévenir la reine et les amazones pourront ensuite attaquer le bon adversaire. Et pour la première partie du plan, ça marche. Wonder Woman se couche sur la plage et les Valkyries ailées arrivent, montées sur des chevaux volants. L’ennui c’est que les Holliday Girls, trop zélées, ne respectent pas le plan. Elles veulent empêcher l’enlèvement de Wonder Woman et se portent à son secours. Elles ne sont pas de taille face aux Valkyries et sont enlevées elles aussi… Sans qu’il reste personne pour prévenir le reste des Amazones de l’identité de la menace…
De retour au Valhalla, les Valkyries sont félicitées par Odin pour avoir ramené des « femmes aussi fortes » (Odin ne semble pas réaliser que la majeure partie des femmes kidnappées ne sont que de jeunes étudiantes et pas du tout des Amazones comme il l’avait demandé). Rapidement Wonder Woman et sa clique sont enfermées dans d’improbables cocons parcourus par de « l’électricité radioactive » qui vont, à terme, les transformer en Valkyries (de manière induite, il semble que lorsque la métamorphose sera complète les prisonnières perdront leur libre arbitre, ce qui finalement est une sorte de juste retour des choses puisque les Amazones ne sont comportent pas différemment avec leurs propres captives). D’ailleurs les premiers signes de métamorphose apparaissent. De petites ailes commencent à se former dans leur dos. Heureusement, une version portable de la radio mentale de Wonder Woman est cachée dans son diadème. Elle décide alors d’appeler à l’aide son ami, le militaire Steve Trevor (là encore on se demandera pourquoi Wonder Woman n’appelle pas directement sa mère et le reste des Amazones sur l’Ile du Paradis)… Et comme Steve Trevor est plutôt débrouillard pour un mortel, il ne tarde pas à atterrir sur le Valhalla à bord d’un vaisseau fusée dont la provenance n’est pas du tout expliquée. L’exploit n’est pas mince puisqu’on se souviendra que le Valhalla a été identifié, dans une histoire précédente, comme un planétoïde placé au-delà de la Lune. Arriver à réaliser un tel vol en 1947, lors d’une mission non préparée, fait de Steve Trevor un des premiers astronautes américains et change singulièrement la chronologie de l’histoire aérospatiale !!!
Arrivé sur le Valhalla, Steve Trevor surgit de sa fusée avec un pistolet dans chaque main. Mais il ne tombe pas sur les Valkyries. Ce sont les « héros d’Odin » (les guerriers mâles vus plus tôt en train de dormir) qui l’accueillent (cette fois-ci ils portent des casques à cornes). Ils lui expliquent qu’ils veulent fuir. Qu’ils ne veulent qu’une chose, la Paix, et qu’ils sont fatigués d’être dirigés par des femmes qui ne pensent qu’à se battre… Trevor a une inspiration soudaine « C’est un coup de chance. Ces héros veulent fuir. Et Wonder Woman m’a dit d’attirer les Valkyries jusqu’à l’Ile du Paradis. Si j’emmène les héros, les Valkyries nous prendront en chasse… ». Immédiatement Steve Trevor fait monter les hommes à bord. Et bien vite une Valkyrie vient informer Gundra qu’un homme de la Terre est en train de fuir à bord d’une fusée qui emmène tous les hommes du Valhalla. Les Valkyries se mobilisent ! Pendant ce temps Wonder Woman arrive à échapper à son cocon de transformation en sautant par le haut de l’engin, évitant ainsi les dangereux circuits de « l’électricité radioactive ». Utilisant sa superforce, elle détruit la grande dynamo au centre du système : « Cette dynamo ne transformera plus jamais de mortels en Valkyries ! ». Libérant les Amazones et les Holliday Girls, Wonder Woman leur explique qu’elles doivent toutes essayer d’utiliser leurs nouvelles ailes pour essayer de rattraper et battre les Valkyries en route pour l’Ile du Paradis…
De son côté, la reine Hippolyte n’est pas restée inactive… Elle a fini par réparer sa Sphère Magique et peut ainsi voir que les kidnappings sont l’œuvre des Valkyries. L’ennemi identifié, elle appelle immédiatement aux armes les Amazones (il leur en aura fallu du temps !). A partir de là les événements s’enchaînent de façon accélérée et on sent que les auteurs sont pris par le manque de temps et d’espace (il ne reste que six cases à remplir !). Case 1 : Wonder Woman et ses amies rattrapent, à coup d’ailes, la fusée de Steve Trevor et lui demande d’emmener les héros à Washington (on verra un peu plus tard pourquoi). Case 2 : une bataille massive éclate entre les Valkyries (montées sur leurs chevaux volants) et les Amazones (qui utilisent, elles, des kangourous géants nommé les Kangas). Case 3 : Les Valkyries, vaincues par les Amazones, se rendent en se demandant ce qu’on va faire d’elles. Wonder Woman leur explique « Nous allons vous entraîner sur l’Ile de la Réforme à adorer l’amour et la beauté plutôt que la guerre et le mal », sans s’interroger sur le fait que, moralement, la pratique n’est guère différente de la métamorphose qu’on lui proposait quelques pages plus tôt…
Case 4 : Dans le temple qui lui est consacrée, la déesse Aphrodite dissipe les ailes de Valkyries de celles qui avaient été captives au Valhalla. Wonder Woman et ses amies retrouvent ainsi leur aspect habituel. Case 5 : Privé de ses « héros » et de ses Valkyries, Odin se retrouve sans armée, rendu fou par la solitude il lance son « épée immortelle » en s’écriant « Wonder Woman a détruit le pouvoir du dieu de la guerre… qu’Odin périsse ! ». Et une grande détonation, accompagnée d’un grand éclair, se produit. La case n’est pas très claire (sans doute pour ménager l’esprit des jeunes lecteurs de l’époque) mais Odin vient de commettre un suicide après la chute de son empire. L’Acte n’est pas sans évoquer, façon parabole, un autre suicide : celui d’Hitler lors de la chute de Berlin. La sixième et dernière case de cette ultime page voit Steve Trevor dans son bureau, informant Wonder Woman que les héros échappés du Valhalla ont été restitués à leurs familles. Il s’agissait de soldats qui avaient été portés disparus pendant la guerre récente. Wonder Woman, visiblement pas au courant du suicide d’Odin, a la dernière phrase : « Je crois qu’Odin est enfin sans pouvoir. Ses Valkyries sont prisonnières sur l’Ile de la Réforme »… C’en est fini de la menace du Valhalla… Ou tout au moins c’est ce qu’il semble…
Pourquoi tuer aussi rapidement un adversaire qui aurait pu devenir régulier dans la série et ainsi remplacer les nazis comme antagonistes ? Sans doute d’une part parce que les éditeurs ne s’attendaient au retour de bâton de l’après-guerre, quand de nombreux opposants aux comics tentèrent de faire passer les super-héros patriotiques pour un ramassis de revanchards qui entretenaient une rancœur propice à déclencher de futures guerres. Mais aussi parce que les différentes maisons d’édition tentèrent de trouver des relais de croissance en s’adressant non plus seulement aux lecteurs mais aussi aux lectrices. C’est l’époque d’une vague d’apparition de super héroïnes (Blonde Phantom, Namora…) plus orientées vers des intrigues sentimentales, flirtant souvent avec un compagnon mâle. Ces nouvelles héroïnes copiaient pour une bonne part des éléments propres à Wonder Woman mais cette dernière serait obligée de s’adapter à la compétition, se recentrant plus sur son affection pour Steve Trevor et délaissant les conflits qui pouvaient, même symboliquement, rappeler la guerre qui s’achevait. Il n’y avait donc plus besoin de « dieux nazis »… Encore que si cet Odin, au lieu d’être l’authentique dieu nordique, était bel et bien la manifestation de l’inconscient collectif nazi on peut se dire qu’il ne peut pas véritablement être détruit ou même s’autodétruire. Ce qui expliquerait au passage comment le Valhalla a survécu à sa première destruction : l’entité psychique finit forcément par se reformer d’elle-même… Comme trace ultérieure de l’existence d’un Valhalla dans les aventures de Wonder Woman on croiserait d’ailleurs par la suite le dieu du mal Loki (fils d’Odin) dans Sensation Comics #83 (1948). Quand à savoir si ce Loki est authentique (c’est-à-dire fils du Odin mythique) ou s’il s’agit là aussi d’une manifestation psychique liée au Valhalla que nous venons de voir, il est difficile de trancher…
Cette version d’Odin et de ses Valkyries resterait totalement oubliée pendant une trentaine d’années. Au milieu des années 80 le scénariste Roy Thomas, désirant créer une opposition convaincante à son All-Star Squadron et aux Young All-Stars (deux équipes de super-héros opérant pendant la guerre) décida d’assembler une sorte de reflets maléfiques de la Justice Society, Axis Amerika, composé d’équivalents nazis des héros concernés. Pour obtenir une Wonder Woman nazie, Roy Thomas ressorti Gundra de la naphtaline (en l’écrivant désormais Gudra, sans « N ») ce qui établissait donc que cette Valkyrie avait été active sur Terre dès 1942 et travaillait déjà avec les nazis bien avant sa rencontre avec Wonder Woman. Ses apparitions dans Young All-Stars sont donc un sorte de « préquelle » avant qu’elle soit capturée et endoctrinée par les Amazones en 1947. En fait, il y avait déjà eu une autre « préquelle » dans DC Special #29 (1977) qui liait les Valkyries à l’origine de la Justice Society of America. La première mission de la JSA, celle qui réunit pour la première fois les membres, n’avait jamais été raconté (historiquement, dans le premier épisode, le groupe est déjà constitué). Dans DC Special #29 le scénariste Gerry Conway montrait comment, dès 1940, Adolf Hitler avait invoqué les Valkyries sur Terre pour tenter de faire assassiner le président Roosevelt. Mais il ne semble pas, à la base, que Conway désirait véritablement faire allusion aux Valkyries affrontées par Wonder Woman en 1946-1947. Il s’est simplement inspiré lui aussi de la mythologie nordique. Sa version est vêtue de manière très différente et les guerrières disent travailler pour Wotan (et pas pour Odin). Finalement les héros de la futur JSA arrivent à mettre en déroute la valkyrie inconnue qui allait tuer Roosevelt et décide de fonder une équipe. Roy Thomas reviendrait sur ces événements en les intégrant à sa propre version. La valkyrie qui avait tenté de tuer Roosevelt n’était autre que Gudra (et les Valkyries de l’origine de la JSA seraient rhabillées de manière à être compatible avec la version de 1946/1947). De guerrière oubliée depuis 1947, elle passait au rang de premier adversaire affronté par la JSA (ce qui sonne déjà mieux sur un CV de super-villain !).
En dehors de ces révélations des années 80, Gudra/Gundra semblait néanmoins promise à retomber dans l’oubli, Roy Thomas (seul scénariste moderne s’étant intéressé à elle jusque là) ayant cessé de travailler pour DC. Les années récentes l’ont cependant réinjectée dans la continuité contemporaine. D’abord, dans Detective Comics #806-807 (2005) on apprend qu’elle était présente lors d’une mission passée d’Alfred Pennyworth, du temps où celui-ci était agent spécial. C’est finalement Allan Heinberg et Terry Dodson qui ramène Gundra (cette fois avec son orthographe d’origine) dans les aventures modernes de Wonder Woman. Cette fois il ne s’agit plus d’une « préquelle » précédant l’endoctrinement des Valkyries en 1947 mais bien d’une histoire contemporaine. En 2007, dans Wonder Woman vol.3 #4, 5 et Wonder Woman vol.3 Annual 1, Gundra fait partie, de nos jours, d’un assemblage d’adversaires unis contre la princesse amazone. Visiblement sa captivité de 1947 n’a pas débouché sur une rédemption et la voici à nouveau active dans l’univers DC, désormais liée aux passés d’Alfred et de la JSA. Et si Gundra est à nouveau en activité, comment pourrait-il en être autrement pour Odin et cette version très particulière, « psychiquement nazie », du Valhalla ?
[Xavier Fournier]