C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué : Entre les années 50 et 60, de nombreuses histoires « imaginaires », des rêves et d’autres artifices de ce genre racontaient ce qui se serait passé si Wonder Woman et Wonder Girl (pourtant un seul et même personnage, pris à des époques différentes de sa vie) avaient cohabité. Dans la pratique, à part un voyage temporel, c’était impossible. Mais les histoires étaient assez tarabiscitées pour que même chez DC on ne s’y retrouve plus guère. Quand il fut question de féminiser les adolescents Teen Titans (à l’origine un groupe exclusivement masculin), on utilisa Wonder Girl sans se poser de question, créant un serieux problème de continuité. Du coup depuis une quarantaine d’années les scénaristes s’emploient à résoudre la contradiction à travers des arcs dédiés, promettant d’expliquer qui est Wonder Girl/Donna Troy, tantôt soeur de sang de Wonder Woman, soeur adoptée, disciple des Titans de la mythologie, double magique de Wonder Woman ou encore version alternative d’Harbinger, l’archiviste de l’univers DC. Tout ça aurait été beaucoup plus simple si Wonder Girl avait été carrément une jeune fille recueillie par Wonder Woman (tout comme Robin fut adopté par Batman). D’autant que la jeune fille en question existe, surnommée « Little Miss Wonder Woman » !
Dans Wonder Woman Vol.1 #49, paru en septembre 1951, une histoire débute avec ce que le commentaire définit comme une « famille volante » : John Williams, aviateur, voyage avec toute sa famille, c’est-à-dire avec son épouse Mary et leur fille, la petite Jan. Mais leur avion est victime d’une tempête et s’écrase dans l’océan. La mère et la fille sont saines et sauves sur une aile d’avion qui sert de radeau mais John, lui, dérive plus loin sans gilet de sauvetage. Mary Williams se jette alors à son secours. Seulement le couple disparait dans les eaux… L’instant d’après, arrive Wonder Woman qui survole par hasard la zone avec son avion-robot. Elle aperçoit le radeau de fortune et la jeune fille, tandis que des requins s’en approchent. La princesse amazone à tôt fait de mettre en déroute les prédateurs. Ne trouvant pas de trace de parents, elle ramène Jan vers la civilisation.
Bien sûr, Jan est catastrophée quand elle apprend qu’elle est devenue orpheline. Mais c’est encore pire quand, quelques jours plus tard, les services sociaux veulent l’envoyer dans un orphelinat. Jan éclate en sanglots. Est-ce que Wonder Woman, sa seule amie, ne pourrait pas la prendre avec elle ? L’amazone refuse. Ce n’est tout bonnement pas compatible avec son statut d’aventurière. En pleurs, Jan s’éloigne avec la responsable des services sociaux mais devant tant de tristesse Wonder Woman se ravise. Elle accepte. Elle deviendra la tutrice de la fillette, lui apprends l’importance des exercices physiques, du besoin de se brosser les dents ou de manger équilibré…
Wonder Woman prends l’habitude d’accompagner les sorties de l’école. Ainsi un jour où la classe est à la plage, c’est la désolation : il pleut ! La sortie est gâchée ! Mais Wonder Woman utilise alors son avion robot pour dissiper les nuages et ramener le soleil comme par magie. Un autre jour, une petite camarade de Jan vient leur exposer son problème : le violon rarissime de son grand-père est cassé et du coup il ne se nourrit plus (le grand-père, pas le violon). Pas de problème : Wonder Woman répare l’instrument en utilisant sa super-vitesse. Un autre miracle. A partir de là il semble que WW devient un peu la bonne à tout faire des parents de l’école, bien que les choses ne soient jamais présentées sous cet angle négatif. Un jour, la mère d’une autre élève vient à la rencontre de Wonder Woman : son époux, un plongeur professionnel, est coincé sous une épave et sa réserve d’air sera épuisée avant que les secours traditionnels n’arrivent. Wonder Woman peut-elle intervenir ? Bien sûr qu’elle le peut ! Mais après l’incident Jan est triste, elle repense à la disparition de ses propres parents.
Un jour, c’est le drame : l’école leur a donné comme devoir de faire des dessins des statues de l’Ile de Pâques. Problème : il n’y a plus de livres représentant ces statues à la bibliothèque. Comme il est impensable que Jan prenne du retard par rapport aux autres, Wonder Woman n’y va pas par quatre chemins : la mère adoptive et la fille sautent dans l’avion-robot et se dirigent alors vers la véritable Ile de Pâques. Mais alors qu’elles survolents l’océan, Jan n’en croit pas ses yeux : elle reconnaît de loin ses parents dans une embarcation. Il s’agît d’un bâteau de la terrible tribu des Bosari, en route vers l’Ile de Pâques où ils veulent sacrifier devant les statues sacrées. D’ailleurs les deux époux sont couverts de tenues vertes, façon branche/camouflage. Mine de rien Jan elle a une bonne vue : du haut d’un avion passant à toute vitesse, elle est arrivée à reconnaître ses parents qui étaient sous d’épaisses tenues. Fortiche ! Mais Wonder Woman n’est pas moins douée, elle sauve les vrais parents de Jan et tout ce beau monde… prend la route de l’Ile de Pâques, où Jan, apparemment pas plus traumatisée que ça, commence à dessiner une statue. Pendant ce temps ses parents expliquent à Wonder Woman que, bien sûr, ils vont récupérer l’enfant, qui a sans doute été une gêne pour elle. Elle doit être pressée de s’en débarrasser non ? Emue, Wonder Woman écrase une petite larme tandis qu’arrive le mot « The End ». Et Jan disparaît ainsi dans les limbes de l’Histoire des comics…
N’empêche ! Quand 14 ans plus tard Wonder Girl débuta comme une sorte d’erreur de continuité, il fallut lui inventer toute une identité civile. Se souvenir de cette « Little Miss Wonder Woman », brève fille adoptive de l’amazone, aurait sans doute été bien utile à l’époque. D’autant que Donna Troy, dans son origine des années soixantes, est présentée comme une orpheline. Confondre les deux personnages n’aurait pas été illogique. Mais encore aurait-il fallu que les auteur et éditeurs de l’époque aient une base de données pour se souvenir de Jan Williams. Et quand bien même, vu l’âge moyen du lecteur à l’époque, faire écho à un épisode paru 14 ans plus tôt aurait sans doute été un peu trop complexe. Ceci dit, qui sait, peut-être Jan pourrait revenir un jour, devenue adulte, prête à reprendre sa place dans la famille de Wonder Woman…
[Xavier Fournier]
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