[FRENCH] En 1967 les X-Men originaux sont doublement des mal-aimés. A l’intérieur des histoires, ils sont bien sûr cordialement détestés par le reste de la race humaine. Mais on ne peut pas dire non plus qu’ils intéressent alors des foules de lecteurs (ils ne deviendraient vraiment populaires qu’une décennie plus tard). Et X-Men #36 allait même les voir pratiquement réduits à… mendier pour survivre tout en faisant connaissance d’un adversaire qui serait, peut-être, un allié.
Dans les années 60, la série des X-Men ne faisait pas précisément partie des fleurons de Marvel Comics. Au contraire les aventures des mutants faisaient plutôt partie des lanternes rouges de la firme et Stan Lee en avait donc délégué l’écriture dès le 20ème épisode à d’autres mains, en l’occurrence le scénariste Roy Thomas, arrivé depuis quelques mois chez Marvel. Peu de temps après Stan Lee confierait à Roy Thomas l’écriture des Avengers (série alors plus prestigieuse) mais le job des X-Men était bien d’un ordre. Il fallait tenir cette série à bouts de bras. Et, d’emblée, on pourrait sentir que Thomas avait une toute autre approche que Stan Lee ou Jack Kirby. Pour le jeune auteur, la notion d’école pour mutants n’avait que peu d’intérêt. Tout comme l’idée d’un mentor aux pouvoirs mentaux impressionnants, qui servait un peu de deus ex machina à chaque fois qu’il fallait vaincre/reprogrammer un adversaire surpuissant. Stan Lee avait déjà écrit quelques épisodes où le Professeur X était régulièrement enlevé (ce qui fait que les X-Men, cherchant à le libéré, ne pouvaient compter sur ses pouvoirs). Mais Roy Thomas allait rapidement systématiser cette démarche à travers une menace sur le long terme : Factor Three, une mystérieuse organisation mutante qui n’allait pas tarder à s’emparer de Charles Xavier pendant plusieurs mois, laissant les X-Men désemparés (plus tard il irait plus loin encore en tuant le Professeur X, en tout cas pour quelques mois). L’autre idée maîtresse avec laquelle Roy Thomas jouait, c’était de remettre en cause le fonctionnement interne de l’équipe, avec dans un premier temps l’ajout temporaire du Mimic dans les rangs (sans doute inspiré par Avengers #19-20, quand Swordsman devient brièvement un Avenger) et plus largement l’utilisation de nouveaux mutants (comme Banshee). Rétrospectivement les X-Men de Roy Thomas sont sans doute le prototype de ce que l’auteur ferait quelques mois plus tard avec la réorganisation des Avengers (arrivée de Black Panther, d’Hercules, de Vision…). Mais en 1967 Thomas en était encore à gérer les aventures des mutants.
Comme nous venons de le voir, Charles Xavier avait été kidnappé par Factor Three et ses cinq élèves étaient livrés à eux-mêmes. Il faut croire que les défenses du manoir Xavier étaient parties en même temps que leur propriétaire car l’histoire commence avec deux cambrioleurs qui se sont introduits dans l’édifice (et qui n’ont visiblement pas été arrêté par la moindre alarme). Malheureusement pour eux, ils sont vite surpris par l’apparition du Fauve (The Beast) qui les attaque en leur expliquant qu’ils viennent de s’introduire dans une propriété privée. Un des voleurs est assommé par les pieds du Fauve mais l’autre tente de prendre la fuite, en comprenant qu’ils viennent sans doute de découvrir par accident le repaire des X-Men.
Dans une autre partie du manoir, le reste des X-Men est trop occupé à chercher un plan de bataille contre l’organisation Factor Three, pour libérer le Professeur X. Au point d’ailleurs que tout en sachant que le Fauve est parti inspecter un bruit qu’il avait Cyclops se dit qu’il est assez grand pour se débrouiller sans eux (un pari plutôt risqué car le leader des X-Men n’a pas de raison de savoir s’il s’agit d’un bruit anodin ou de l’arrivée de Magneto ou d’une autre menace du même cru). Pendant que le Fauve continue de se battre avec les deux voleurs, Angel utilise l’équipement de Cerebro pour déterminer que Factor Three se cache quelque part dans les Alpes. Iceman se demande quand même pourquoi le Fauve ne revient pas. D’autant qu’on vient d’entendre quelque chose tomber. Mais Cyclops est intraitable : Si leur ami Hank a besoin d’aide il les contactera. On voit qu’à l’époque Scott Summers a encore beaucoup à apprendre en termes de souplesse ou de stratégie.
Finalement le Fauve revient, pourtant sous le bras les deux voleurs inconscients. Angel comprend alors immédiatement le problème : s’ils ont vu Hank en costume… ils peuvent déduire que les élèves de l’école sont les X-Men. Et à l’époque les héros sont encore très attachés au principe d’identité secrète. Heureusement Cyclops sait comment faire : il ordonne que les deux voleurs soient installés sous les casques de l’ordinateur Cerebro. Et ils sont vite reprogrammés pour oublier totalement ce qu’ils ont vu à l’intérieur du manoir. Ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, que Cerebro est utilisé dans la série mais d’habitude il s’agissait plus d’un amplificateur pour les pouvoirs mentaux de Charles Xavier. Ici on voit qu’en plus de la détection de mutants, la machine a quelques « capacités mentales » autonomes, qui ne nécessitent pas forcément qu’un télépathe soit aux commandes. Amnésiques, les deux voleurs se rendent alors au poste de police le plus proche pour avouer tous leurs méfaits.
Chez les X-Men, cependant, on a des soucis plus importants. Il faut se rendre en Europe pour libérer Charles Xavier mais sans pouvoir compter sur les ressources financières de ce dernier. Le véhicule aérien des X-Men, le X-Plane, n’a pas assez de carburant pour les emmener là-bas. Angel, qui est en fait dans le civil le richissime Warren Worthington, se dit alors qu’il pourrait sans doute demander de l’argent à ses parents. D’ailleurs la scène est assez atypique car elle est découpée (ou dialoguée) dans le désordre. Warren commence à téléphoner à ses parents pour leur réclamer l’argent nécessaire au voyage… Et c’est seulement dans la case suivant qu’il s’aperçoit que le X-Plane est à sec et qu’il faut téléphoner. Mais peu importe le sens des cases, seule importe la conclusion : les parents Worthington sont partis en croisière et sont injoignables (nous sommes en 1967 donc pas de téléphone portable ou d’internet). Angel étant encore mineur, il ne peut accéder à la fortune familiale et les X-Men doivent donc se mettre à la recherche de financements alternatifs… A l’époque les jeunes mutants ne connaissent que très peu les Fantastic Four ou les Avengers. Pas question, donc, de leur demander de l’aide ou même le prêt d’un véhicule.
Warren Worthington et Jean Grey (Marvel Girl) se rendent donc dans les locaux d’une association de bienfaisance pour réclamer un prêt, expliquant que leur professeur est gravement malade et qu’ils ont besoin d’argent pour le sauver. Mais la responsable est méfiante. Elle dit ne pouvoir autoriser le prêt sans l’accord des parents des jeunes gens. Et la croisière des parents Worthington redevient à nouveau un obstacle. Warren et Jean Grey s’en vont, déçus, et prennent la Rolle-Royce de l’école. De loin, les gens de l’association les regardent s’éloigner en se félicitant de ne pas avoir cédé. Comment pourrait-on avoir besoin d’argent quand on roule en Rolle ? D’ailleurs ce serait sans doute la solution : vendre la voiture pour payer le voyage mais aucun des héros n’y pense.
Les X-Men pensent alors à une méthode moins discrète. C’est en costume que Marvel Girl, Cyclops et Angel se présentent sur un chantier de construction, proposant au contremaître d’utiliser leurs pouvoirs pour aider les travaux. Au début l’homme ne sait trop que faire. Mais un de ses collègues lui rappelle qu’ils sont en retard sur la planning et que ce genre d’aide extraordinaire pourrait les aider. Coup de chance pour les héros, Le contremaître n’a rien contre les mutants. Il cède donc et rapidement les X-Men passent à l’action… mais d’une manière assez contraire à leurs habitudes. Cette fois, au lieu de combattre le mal, ils se transforment en « super-ouvriers ». Marvel Girl, en particulier, utilise sa télékinésie pour que les poutres se mettent en place comme par magie. Porté par Angel, Cyclops utilise son rayon optique pour souder ces poutres. Après la démonstration, le contremaître est conquis. Il ne reste qu’une chose : sortir leurs cartes syndicales pour qu’il puisse les embaucher. Car aux USA les syndicats du bâtiment ne rigolent pas quand on utiliser des non-encartés et déclenchent des grèves. Bien sûr, les mutants n’ont pas de carte… ce qui pose problème. Le contremaître dit alors qu’avec un peu de temps il pourrait peut-être trouver une solution. Mais du temps, justement, ils n’en ont pas ! Il leur faut donc à nouveau se remettre à la recherche d’une autre méthode de financement.
Les choses empirent quand, en sortant du chantier, les trois X-Men (à nouveau en tenue civile) réalisent que leur Rolls a disparu. Sans s’en rendre compte ils l’avaient laissée devant une bouche à incendie. Pour cause de stationnement, elle a donc été mis à la fourrière. Il leur faudrait 40$ pour la récupérer. 40$ qu’ils n’ont pas à eux trois. Ce qui donne une idée de la situation financière dans laquelle ils se trouvent. Ils n’ont même pas de quoi se payer un taxi jusqu’à Greenwich Village… Greenwich Village ? C’est justement l’endroit où se rend un passant qui vient de les entendre. Il se présente comme étant Tom Regal et leur propose de les y déposer dans sa volkswagen. A l’intérieur de la voiture, les trois héros tentent d’établir la discussion, s’intéressent à un gros paquet qui prend de la place. Mais Tom Regal exige qu’ils ne s’y intéressent pas. En fait il semble en colère contre le monde entier et explique que, bientôt, il montrera à tout le monde de quoi il est capable. Les trois mutants sont un peu surpris mais préfèrent se taire et profiter de la ballade en voiture.
S’ils veulent se rendre à Greenwich Village, c’est qu’Iceman et le Fauve sont en train d’y donner un spectacle de rue, comme des saltimbanques. Iceman a créé des perchoirs de glace et tous les deux jonglent en hauteur. Là aussi il s’agit de récupérer des fonds. Non loin de là, Scott, Jean et Warren descendent de voiture et remercient Tom Regal. Après avoir pris congé, Regal va se garer de l’autre côté du parc et décharge sa lourde boite : « Je dois agir vite, avant que le Collège réalise que j’ai volé ce qu’il y a dans ce paquet ». Ignorant cette tournure sinistre, Scott, Jean et Warren découvrent que leurs deux amis ont attiré une énorme foule… Et qu’ils ont sans doute déjà récolté assez d’argent pour payer la moitié du voyage. Mais ils s’étonnent de voir des policiers au premier rang du spectacle.
C’est que tout le monde ne fait pas autant confiance aux mutants que le contremaître qu’ils ont rencontré plus tôt. Là, la police est convaincue que le Fauve et Iceman sont en train de faire diversion pour mieux préparer un mauvais coup. D’autant qu’un passant aperçoit une autre silhouette en haut d’une arche, située non loin de là. Et il croit qu’il s’agit d’un autre des X-Men. Seulement il s’agit d’un homme en armure qui se présente comme le « magnifique Mekano », annonçant son intention de détruire la nouvelle librairie du parc. Visiblement Mekano réalise la méprise de la foule et profite du quiproquo. Il remercie alors ses « amis » le Fauve et Iceberg de lui avoir facilité la tache en attirant les gens. Scott est dévasté : « Il dit que Hank et Bobby sont ses complices ! Comme si on avait besoin de ça ! ».
Bien sûr, le Fauve et Iceman ne l’entendent pas de cette oreille et se précipitent en bas de leurs perchoirs pour intervenir. Mais avec ce que Mekano vient de dire, la police croît que les deux mutants veulent aider leur « ami ». Avant que Bobby ait le temps de réaliser ce qui arrive, on lui passe les menottes. Et Iceman réalise qu’il a trop utilisé ses pouvoirs pour le spectacle. Il est trop épuisé pour geler les menottes et les briser. Plus agile, le Fauve a échappé à la police et se propulse vers l’homme en armure, qui porte donc un exosquelette orange et vert. Hank en déduit que le costume doit grandement augmenter la force de celui qui le porte. Il tente donc d’abord d’en apprendre plus, de discuter avec Mekano. Mais ce dernier le roue de coups violents. Mekano est trop fort. Le Fauve est rapidement mis K.O. et Mekano pénètre dans l’édifice qu’il a promis de détruire. Angel et Cyclops, en costume, tentent de se joindre au combat… mais une nouvelle fois la police intervient en pensant que les X-Men sont du mauvais côté. Heureusement cette fois-ci ils n’avaient anticipé l’intervention de Marvel Girl, qui soulève les policiers par télékinésie et permet ainsi à Angel et Cyclops de leur échapper. Les deux héros se précipitent à l’intérieur de la bibliothèque. Mais eux aussi sont victimes de la force de Mekano. Il assomme Angel et renverse une étagère sur Cyclops. Plus tard, alors qu’ils tentent de le rattraper, Mekano leur lance des éléments de mobilier. Même une fois que le Fauve, à nouveau sur pied, les rejoint, les trois mutants n’arrivent pas à retenir Mekano.
D’autant que son armure augmente aussi la force de ses jambes et qu’il est capable de bondir comme une sorte de sauterelle humaine. Il se propulse donc facilement jusqu’au toit de l’immeuble voisin. Sauf… sauf que Mekano connaît mal sa puissance. Son bond est un poil trop court. L’homme tente de s’accrocher à une corniche mais elle cède sous le poids de son armure. Mekano tombe alors dans le vide. Heureusement Marvel Girl arrive à temps pour l’intercepter par télékinésie. Mais elle le maintient en l’air, de manière à ce qu’il ne puisse pas à nouveau s’échapper. Mais, alors que les X-Men maintenant réunis tiennent en respect l’inconnu en armure, la police arrive et pense coffrer tout le monde, convaincue que Mekano et les X-Men ne forment qu’une seule et même bande de malfaiteurs. Les policiers sont néanmoins interrompus par l’arrivée d’un autre personnage : l’homme richissime qui a fait construire la bibliothèque, un certain Monsieur Regal.
En entendant ce nom, Angel tique. Et quand Monsieur Regal ordonne à Mekano de se démasquer, il découvre ce qu’il avait suspecté en écoutant la voix du malfaiteur. Mekano est en fait… Tom Regal, le fils du milliardaire et celui qui avait transporté trois des héros quelques instants plus tôt. Tom explique d’abord que les X-Men sont innocents et que, en ce qui le concerne, il ne supportait plus d’être le fils d’un philanthrope, qui avait toujours du temps pour les autres mais pas pour lui. Tom a donc volé un prototype (l’armure de Mekano) dans un centre universitaire et a tenté de se venger à sa manière. Le père Regal réalise alors qu’il a ignoré son fils et qu’il est, d’une certaine manière, le seul responsable. Et comme Tom n’est pas hystérique ou haineux, tout semble pouvoir se régler entre personnes de bonne volonté. Comme Mr. Regal, le propriétaire des lieux, ne semble pas disposé à porter plainte, la police s’éclipse et le milliardaire se tourne alors vers les X-Men en leur proposant une récompense pour avoir réglé l’affaire sans que quelqu’un soit blessé. Cyclops refuse l’idée d’une récompense… Mais transige en acceptant que Mr. Regal leur fasse un prêt : l’argent qui leur est nécessaire pour financer le voyage en Europe ! Plus tard les X-Men prennent la route de l’aéroport sans réaliser que Factor Three les tient sous étroite surveillance et sait qu’ils arrivent. Pendant ce temps Regal, père et fils, se rendent au centre de recherche (sans doute pour rendre l’armure).
L’intrigue liée à Factor Three sera réglée quelques temps plus tard et le Professeur X sera libéré. En tout cas quelques mois puisque Roy Thomas, ne lui trouvant toujours pas d’utilité, mettra en scène sa mort dans un combat contre Grotesk (X-Men #42), replongeant les X-Men dans une suite d’épisodes où leur faudra apprendre à vivre sans leur mentor. On ne réécoutera cependant pas parler des Regal, cette famille visiblement riche, influente et bien disposée à l’égard des X-Men. Il faut dire que la fortune Worthington serait par la suite suffisante pour justifier les ressources du groupe. Plus tard, l’injection des extra-terrestres Shi’Ar dans la mythologie des X-Men (donnant une technologie sans borne aux mutants) résoudrait encore plus la question. Dès lors les héros n’auraient plus de problème d’argent ou de ressources technologiques. On ne reverrait pas plus l’armure de Mekano et on ne saurait jamais qui en était l’authentique inventeur. Pourtant un Mekano héroïque aurait fait un bon figurant dans les rangs de l’Initiative, quand Marvel ressortait de nombreux personnages de troisième ordre pour en faire des Avengers. Avec ses airs d’ersatz d’Iron Man, Mekano fait partie de ces personnages mineurs qui, comme Val-Larr, auraient pu trouver leur place dans une sorte de parodie des Vengeurs originaux.
[Xavier Fournier]