Oldies But Goodies: Yankee Comics #3 (1941) (2)

[FRENCH] Tous les super-héros patriotiques sont-ils recommandables ? La question peut paraître bizarre, surtout si on la replace dans le contexte des années 40, quand des hordes de personnages carrément vêtus du drapeau américain s’élançaient à l’attaque des ennemis allemands, japonais et italiens. Tout ce qui se proclamait patriote américain était forcément un héros de manière inconditionnelle. En particulier à partir du moment où les USA entrèrent réellement dans la seconde guerre mondiale, la cause faisait l’unanimité. Il suffisait de porter les étoiles blanches sur fond bleu ainsi que les bandes rouges et blanches (Uncle Sam, le Shield originel, Captain America, le Patriot, Wonder Woman, Super American…) pour clamer bien haut son appartenance à l’Amérique unifiée. Imaginez l’effet « tâche » si un de ces héros avait porté, en lieu et place de la bannière étoilée un uniforme des Confédérés, défendant un certain état d’esprit « identitaire »…

Yankee Comics était une revue publiée par Harry A. Chesler Features Syndicate avec une vocation clairement patriotique. Sur les six concepts qu’abritait le titre, seuls deux (l’amphibien Barry Kuda et le super-héros Enchanted Dagger) n’étaient pas des super-patriotes. Le reste des personnages (Yankee Doodle Jones, Young Americans, Yankee Boy et Johnny Rebel) surfaient allègrement sur la même vague que Captain America. Sauf, en un sens, le dernier de la liste. Dans un titre qui contenait tant de super-héros patriotes, il fallait sans doute trouver une façon de singulariser chaque strip. Parce qu’il y avait déjà un Yankee Boy (sorte de clone de Bucky mais agissant sans le patronage d’un héros adulte) et qu’une bonne partie des combinaisons d’éléments graphiques du drapeau américain étaient utilisés (soit par les autres personnages de la revue, soit par la concurrence) on se tourna donc vers des symboles auxquels personne n’avait touché : le folklore sudiste ! Pendant la guerre civile américaine, Johnny Rebel avait été une sorte de personnification imaginaire du soldat confédéré. Ce qui donnait une sorte de juste milieu entre le Soldat Inconnu et Uncle Sam, mais incarnant le courage et les valeurs des forces du Sud. Puisque toutes les variations du drapeau nordiste (devenu la base du drapeau américain contemporain) avaient été utilisées, les gens de Harry A. Chesler planchèrent donc sur un nouveau Johnny Rebel, un super-héros « confédéré » qui montrerait que même les états sudistes s’investissaient complètement dans l’effort de guerre…

Le Johnny Rebel vu dans Yankee Comics est donc une sorte de Bucky blond (histoire de ne pas le confondre avec l’autre copie de Bucky de la revue), un jeune garçon du Sud qui était habillé dans un costume gris et rouge, sorte de dérivé de l’uniforme confédéré. Sur le plan structurel il ne semblait pas très différent du Star-Spangled Kid de DC Comics en ce sens que dans les deux cas les héros étaient jeunes, malins, sans superpouvoirs particuliers. Et tous possédaient également ce qu’on pourrait qualifier de « faire-valoir » : des adultes pas forcément très éveillés mais pleins de bonne volonté, qui suivaient les ordres du petit malin. Le Star-Spangled Kid était accompagné de Stripesy, son chauffeur. Johnny Rebel, lui, était suivi partout par… un serviteur noir assez stupide et tire-au-flanc nommé Rufus. Il faut être honnête, si Rufus avait été le « sidekick » de Mandrake ou du Spirit (en lieu et place de Lothar et Ebony) on aurait bien sûr tiqué sur le cliché racial mais mis en parallèle d’un héros portant les couleurs du Sud, le tandem crée par moments un véritable malaise…

Dans Yankee Comics #3, Johnny Rebel et son fidèle Rufus inspectent les côtes pour s’assurer que rien de mauvais ne s’y trame. Cachés dans les fourrés ils observent un bateau amarré dans un port. Rufus laisse alors échapper une phrase qui n’a apparemment rien à voir avec l’action mais qui symbolise bien l’idée de départ des auteurs mais aussi un paradoxe : « Le Sud joue bien son rôle pour aider la Démocratie, Maître Johnny ». Le dit maître, lui, ne s’intéresse qu’au bateau en partance vers l’Angleterre. Mais quand même, dès cette première phrase de Rufus on sent bien cette volonté d’énoncer que même le Sud se joint à l’effort général. Encore que la phrase du domestique laisse échapper comme un lapsus, quand on nous dit que le Sud « aide la Démocratie ». On notera que la Démocratie est traitée à la troisième personne. Le Sud l’aide mais n’en fait pas partie ou tout au moins n’est pas englobé dedans. Autant dire que par « démocratie » il faut comprendre les valeurs du Nord. Ça, c’est l’idée de départ. Ou tout au moins la manière de ménager deux publics américains qui peuvent avoir une interprétation différente de l’issue de la Guerre Civile dans leur mémoire « régionale ». Mais le concept va se graduellement glisser…

En fait pendant que les deux héros regardent le bateau en partance pour l’Angleterre, ce qui semble être des pirates se préparent à faire sauter le navire, là aussi dans une certaine ambiance « historique » (difficile de voir ces personnages en train de piéger un bateau anglais sans sentir quelques échos de la Guerre d’Indépendance). Mais, même de très loin, Johnny Rebel a aperçu la flamme de la mèche de la dynamite. « J’ai vu un éclair ! Ils ont du allumer quelque chose ! ». Et immédiatement Johnny descend la petite colline en courant vers le port. Derrière lui Rufus proteste avec un discours qui résume bien les relations du duo « Au nom du Seigneur, Maître Johnny ! On ne pourrait pas marcher pour changer ? Je suis fatigué d’essayer de vous rattraper ». En fait Rufus est un fainéant inguérissable, sympathique mais pas bon à grand chose, qui proteste dès qu’il doit fournir le moindre effort pour accompagner son maître. Johnny Rebel s’élance courageusement vers la dynamite et la jète au loin en proclamant ce curieux message politique : « Seule une bête immonde pourrait tenter de détruire une propriété privée et de tuer des travailleurs innocent ». Quelle aurait donc été la réaction de Johnny Rebel si on avait tenté de détruire quelque chose du domaine public et si les innocents avaient été des chômeurs ?

Pendant que Johnny Rebel risquait la mort en maniant la dynamite, l’utilité de Rufus s’est limitée à regarder les pirates s’enfuir et à les pointer du doigt « Ils sont là ! ». Sans prendre le temps de souffler, Johnny s’élance à leur poursuite et leur casse la figure. A lui tout seul puisque, bien sûr, Rufus n’arrive sur les lieux que quelques instants plus tard, complètement essoufflé. Et « forcément » Rufus parle avec une syntaxe approximative : « Je est ici, Maître Johnny ! Tu (pfff, pfff) va lui éclater la tête ». Railleur, Johnny rétorque : « J’essaie seulement de voir s’il en a une ! Dommage que l’autre gars se soit enfui ! ». Et quelques jours plus tard, le pirate capturé est condamné à vingt ans de prison par un juge qui ne manque pas de remercier Johnny Rebel pour son action. Le bandit jure de se venger tandis que Johnny et Rufus s’éloignent. Le jeune héros prédit qu’ils finiront par rencontrer ce criminel à nouveau mais le serviteur noir n’a qu’une hâte : « Maintenant Maître Johnny, retournons à la maison manger du poulet frit. J’ai mal aux pieds ! ».

Pendant ce temps, dans les marais, le reste de la bande des « pirates » (je ne les surnomme ainsi qu’en raison de leur accoutrements, on aura bien compris qu’il ne s’agit pas de l’équipage d’un navire) se réjouit : « Nous sommes bien payés pour le travail que nous réalisons. Si Hitler arrive à s’imposer ici, nous deviendrons des leaders et non plus des hommes recherchés. Ce soir nous libérerons le Ripper puis nous irons incendier les champs de coton ! ». Le Ripper (ou « l’Eventreur ») est le membre de la bande qui a été capturé. Quand au reste on notera donc que ces hommes patibulaires à la solde d’Hitler pensent réellement que la conquête de l’Amérique passe par la destruction des champs de coton, localisation des événements dans le sud oblige…

Rapidement la bande s’introduit dans la prison et tue les gardes, libérant leur complice. Mais la revanche du Ripper n’est pas complète. Il a juré de se venger lors de son procès et il entraîne ses amis jusque chez le juge Dale. En plein milieu de la nuit, le magistrat voit ainsi des hommes s’introduire chez lui. Quand il leur demande qui ils sont, le Ripper s’exclame « Regarde bien et tu me reconnaîtra ! Nous nous sommes rencontrés avant ! ». Bien sûr, le juge Dale est celui qui a condamné le Ripper à la prison. Et le bandit poursuit « Maintenant regarde comment je vais t’arranger pour que tu ne puisse plus jamais condamner un autre homme ! ». Rapidement Dale est attaché à un poteau et, manifestement, on commence à le torturer…

A l’extérieur, les cris du juge Dale percent la nuit. Heureusement Johnny Rebel et Rufus passaient par là. Et bien sûr Johnny s’élance à l’aide, laissant Rufus sur place. Johnny est un garçon assez énergique puisqu’il entre dans la demeure de Dale en fracassant une porte. Le Ripper s’étonne du bruit mais le jeune héros s’écrie « C’est Johnny Rebel ! Je t’ai arrêté une fois et je suis prêt à le faire encore ! ». Une nouvelle fois Johnny montre qu’il est un dur-à-cuir en affrontant à lui seul toute la bande. Mais pendant qu’il est distrait par le Ripper, les autres brigands en profitent pour lui sauter dessus par derrière. Cette fois triomphant, le Ripper s’écrie : « Attachez-le avec le juge et nous couperons deux gorges au lieu d’une ! ». Et Johnny ne peut que constater : « On dirait qu’ils m’ont vraiment coincé ! ». Heureusement, Johnny peut toujours compter sur la lenteur de son compagnon d’aventures. Rufus est à l’extérieur et… attend jusqu’au moment où il se dit « J’ai attendu sacrément longtemps… Et Johnny ne donne plus signe. Je pense que je ferais mieux de jeter un coup d’œil ». Ahah ! Rufus serait-il finalement un intrépide compagnon qui cachait son jeu ?

Le vieux Rufus approche de la fenêtre et s’aperçoit que son maître est prisonnier. A l’évidence le Ripper et ses hommes s’apprêtent à tuer le juge et Johnny. Il faut agir et, sortant un rasoir, Rufus entre dans la pièce en criant « Je être là Maître Johnny… Je être là ! ». Malheureusement, si vous avez eu l’espace d’un instant l’espoir que Rufus fasse preuve d’un peu d’utilité, vous en serez pour vos frais. S’avançant maladroitement dans la pièce, le serviteur est vite assommé par le Ripper. Rufus s’effondre sans avoir réussit grand chose. Ou tout au moins sans avoir réussit *volontairement*. Car dans sa chute, Rufus laisse échapper son rasoir, lequel tranche accidentellement les liens qui retenaient Johnny. Le jeune héros peut alors reprendre la bagarre, cette fois en restant sur ses gardes. Il neutralise la majeure partie de la bande mais le Ripper et son bras droit, Screw, se sont enfuis.

Une nouvelle fois Rufus se contente de montrer qu’ils se sont enfuis à l’extérieur de la maison. C’est à nouveau Johnny qui s’élance et qui maîtrise les deux hommes avant d’être rejoint par le juge et Rufus. Le magistrat est admiratif « Tu l’as fait ! Tu les as attrapé ! ». Rufus le reprend : « Vous oubliez, Sir, qu’il est Johnny Rebel… Cela veut dire qu’il ne laisse jamais un travail sans l’avoir terminé. ». Et Johnny prévient alors le juge qu’il aura le plaisir de condamner à nouveau le gang Ripper en entier… Puis la scène finale montre Johnny Rebel en train de s’éloigner en courant, poursuivit par son domestique aussi plaintif qu’essoufflé « Maître (Pffff…) Johnny. Vous ne savez pas (Pffff) comment marcher (Pfff… Pfff) ». Sans perdre son souffle Johnny rétorque : « C’est le poulet frit qui me fait courir, Rufus ! Le petit garçon que je suis est affamé ! ». Et le duo s’élance vers leur demeure où Johnny mangera son poulet pendant que, assurément, Rufus s’occupera des tâches ménagères en se plaignant que le travail est trop dur.

En 1941, ségrégation oblige, les éditeurs blancs n’étaient pas près de franchir un pas réellement novateur. Puisque tant de héros patriotes hantaient les pages des comics, on aurait pu imagine, après tout, de commencer à voir d’autres visages de l’Amérique (et en un sens, d’ailleurs, Johnny Rebel est un de ces « autres visages »). Ce qui aurait été vraiment révolutionnaire, c’est si l’éditeur de Yankee Comics, au lieu de publier un énième petit garçon blond et intrépide, avait créé, par exemple, le premier super-héros patriotique noir. Mais à l’époque, une telle décision aurait été suicidaire puisque la revue aurait sans doute été refusée par un certain nombre de distributeurs des états du sud, justement. D’ailleurs, de nos jours, il semblerait que des séries comme Black Panther ont encore du mal à être vendues dans certaines régions. Créer un super-héros noir était une impossibilité commerciale en 1941 et les personnages de couleurs ne pouvaient guère apparaître qu’à la condition de sembler sortis des films comiques des années 30 (comme Whitewash dans les Young Allies). Avec le recul on peut bien sûr le regretter mais en remettant les choses dans le contexte on peut comprendre que les auteurs de l’époque (comme Will Eisner gérant son Ebony dans les cases du Spirit) avaient les mains liées par le poids de la société. C’est une chose. Rien, par contre, n’obligeait des créateurs de comics à caresser la population conservatrice en lui fournissant un héros sudiste, sorte de super-propriétaire d’une plantation, suivi par un serviteur incapable dont on pouvait se demander, par moment, s’il était bien un employé et pas, carrément, un esclave.

Johnny Rebel n’est pas à confondre avec un personnage consciemment raciste car le héros est plutôt bien disposé et bienveillant envers Rufus. Le personnage est altruiste, ne cherche pas à ridiculiser son domestique mais c’est la série elle-même qui s’en charge. C’est une série rétrograde à tous les étages, avec ses évocations de navires anglais qu’on sabote, de malfrats habillés comme des pirates et des liens maître/serviteur. On n’y voit pas la moindre trace de technologie (même pas une ampoule électrique) et le tout fait que par moment on se demande presque (si ce n’était de la mention faîte d’Hitler) si l’action se déroule réellement au vingtième siècle et pas 100 ou 150 ans avant. Johnny Rebel (malgré son courage et sa capacité à vaincre toute une bande à lui seul) est un suiveur passéiste. En dehors de l’aspect politique, c’est là aussi que le fossé se creuse avec un Captain America qui était capable de casser la figure à Hitler de nombreux mois avant l’entrée de l’Amérique dans la guerre. Johnny Rebel, lui, ressassait les mécanismes et clichés d’autres siècles. Peut-être est-ce pour cela que Johnny ne laissa pas une grande trace dans les comics. Et si de nombreux héros tombés dans le domaine public ont refait surface ces dernières années dans des séries comme Project Superpowers, les auteurs ne se pressent pas vraiment au portillon pour ramener Johnny Rebel et Rufus. Et pourtant ramener les deux personnages, afin de les confronter au monde moderne (façon Dynamic Man dans The Twelve) pourrait avoir du potentiel. La prise de conscience de Johnny Rebel serait sans doute croustillante (au moins aussi croustillante qu’un poulet frit) !

[Xavier Fournier]
Comic Box

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