Passé ce moment formel digne (à peine) d’une cérémonie des Victoires de la musique classique, revenons aux affaires sérieuses, à savoir Young Allies. Vous le savez peut-être (ou pas) mais pendant la plus grande partie des années 40, l’éditeur Timely (Marvel) n’a pas possédé d’équipe de super-héros adultes (à la différence de DC, qui avait la Justice Society et la première version des Seven Soldiers). Il n’y avait rien qui puisse passer pour une version « Golden Age » des Avengers (ce qui y ressemble le plus, le All-Winners Squad, ayant tout juste droit à deux apparitions après la guerre). Et pourtant Timely avait bien une équipe qui, à défaut d’être entièrement composée de héros à superpouvoirs, n’en était pas moins une sorte de Teen Titans avant l’heure. Vous l’aurez compris, je parle bien sûr des Young Allies… A la base ([Mode Autopromo « On »] j’en parle d’ailleurs en quelques lignes dans Comic Box #57 [Mode Autopromo « Off »]) il s’agissait d’une large organisation nationale, les Sentinels of Liberty, qui était, dans la réalité, le fan-club officiel de Captain America. L’idée était que Bucky Barnes était le fan #1 de Captain America et qu’il était donc le leader de l’organisation (d’ailleurs de façon pas toujours cohérente, parfois en civil, parfois en costume de Bucky) Pour booster les inscriptions, Timely avait eu l’idée d’intégrer les Sentinels dans des numéros de la série de Cap. Pas tout à fait « par le plus grand des hasards » on trouvait non loin de là des pages de publicité proposant pour quelques cents d’acheter le badge officiel des Sentinels. Puis quelques mois plus tard l’éditeur trouva le concept assez porteur pour en faire le premier « spin-off » de Captain America… Mais plutôt que de le confier à Joe Simon et Jack Kirby (qui s’occupaient alors encore de la série de Cap) c’est au scénariste Otto Binder que la nouvelle série fut confiée, renommée Young Allies sans doute pour éviter que Simon & Kirby réclament quelque argent. Le concept, c’était que les Young Allies étaient le nom de l’antenne locale des Sentinels of Liberty, antenne dont Bucky faisait bien sûr partie.
Les Young Allies sont interrompus par la vision d’un visage à la fenêtre. Quelqu’un les épie ! (décidément il y a du monde sur ce port ce soir-là). Les jeunes héros se précipitent à la poursuite de l’inconnu mais quand ils reviennent (bredouilles) à leur Q.G., l’Agent Zero a disparu en leur laissant un simple message selon lequel il avait des choses à faire ailleurs… Et qu’il ne faut surtout parler de rien à la police… Une partie des enfants commence à se demander si Zero n’est pas lui-même un agent double. Seulement Tubby avait eu le temps d’entendre le message passé par le transmetteur. L’Agent Zero a donné rendez-vous à un certain… Agent X le même soir (et, non, l’Agent X n’est pas Wolverine). Les Young Allies n’ont donc qu’à se rendre à l’adresse mentionnée. Les deux agents se croisent et s’identifient par le mot de code « Peace on Earth » et échangent le fameux code en mentionnant qu’il ne doit pas tomber aux mains des nazis. Et que croyez-vous qu’il arrive ? Les nazis arrivent à cet instant bien sûr ! Il faut dire qu’en se donnant rendez-vous par ondes courtes, les agents n’étaient pas spécialement discrets… Heureusement les Young Allies sont là (avec Bucky et Toro en bonne place) et ils rossent leurs adversaires. Ou en tout cas ils tentent de les rosser. Mais la plupart des enfants ne sont pas de taille et le seul qui ait des superpouvoirs, Toro, est poussé à l’eau par un des nazis. Sa flamme s’éteint et ils perdent leur arme principale. Mis en déroute, les Young Allies s’élancent pendant à la poursuite, dans un proche cimetière. Après avoir écumé les pierres tombales, Bucky trouve des hommes à la mine patibulaire en train d’enterrer quelqu’un. Bucky espère qu’il s’agit d’enterrer quelqu’un vivant… Mais en s’approchant de la « sépulture », le jeune compagnon de Bucky découvre que le trou cache un tunnel dans lequel il tombe. Les hommes n’enterraient pas quelqu’un ! Ils le jetaient dans le tunnel ! Il descend par le même chemin et tombe ainsi sur une base secrète où les deux agents (Zero et X) sont interrogés, une fois encore pour obtenir ce satané code… X est abattu rapidement… Bucky remonte alors vers la surface en espérant appeler les Young Allies à l’aide mais il tombe face à un os… Red Skull en personne ! Bucky a le temps de lui expédier un coup de poing en s’étonnant qu’il travaille toujours pour les nazis (à l’époque Red Skull était supposé être un américain travaillant pour les allemands et pas un allemand à part entière, ce qui serait la règle plus tard). Mais forcément Bucky ne peut venir à bout de Red Skull tout seul. Heureusement son crie de ralliement («Yahoo ! », comme le moteur de recherche) remonte à la surface. Les autres Young Allies, écoutant ce son, descendent donc à sa recherche par le fameux tunnel. Hélas pour eux ils sont accueillis en bas par les nazis et immédiatement capturés. Sauf… sauf l’un d’entre eux qui avait été plus lent à descendre, à savoir Whitewash. D’une part vous me direz que comme par hasard c’est le personnage noir qui est « lent » mais par ailleurs il n’en demeure pas moins que c’est lui qui devient la dernière chance de la fine équipe. En désespoir de cause il actionne au hasard un levier qui déclenche un éboulement, assommant ou tuant les nazis… Sauf Red Skull qui s’enfuit avec l’Agent Zero captif, sur son épaule (il est costaud, le Red Skull). Les Young Allies apprennent alors d’un nazi mourant que Red Skull veut ramener l’Agent Zero à Berlin pour lui arracher le code secret…
Le lendemain les Young Allies embarquent en passagers clandestins à bord ‘un bateau en partance pour l’Europe, vivant pendant le voyage en chapardant dans la cuisine. Forcément, c’est moins « classe » et moins rapide que les Invaders traversant l’Atlantique à bord d’une nef atlantéenne mais bon, les enfants font avec les moyens du bord. Finalement remarqués par l’équipage et capturés, ils négocient leur voyage en devenant responsable du balayage du pont. Mais parmi les marins, il y a bien évidemment un espion nazi qui décide de faire d’une pierre deux coups : faire sauter le bateau et par la même occasion détruire les Young Allies. Ces derniers, heureusement, veillent et empêchent l’attentat. Reconnaissant, le capitaine leur offre alors de faire le reste du voyage en première classe. Mais la suite de la traversée n’est pas de tout repos. Le bateau est repéré par un sous-marin nazi qui ouvre le feu. Toro décolle et les attaque tandis que Bucky s’installe derrière une grosse mitrailleuse. Le sous-marin est rapidement coulé et cette fois le capitaine de leur bateau leur offre carrément une médaille.
Les Young Allies débarquent finalement à Londres, qui est en pleine alerte, attaquée par des bombardiers. Sans perdre de temps, comme pour le sous-marin, ils se ruent aux postes de défense et Toro prend son vol. Bientôt, ce sont huit bombardiers nazis qui sont abattus. Ils sont fortiches ces Young Allies… Imaginez si tous les gamins d’Europe avaient été de la même trempe. Bien sûr il convient de prendre cette dernière phrase au second degré. Mais l’ensemble de la traversée des Young Allies montre bien que même si pour la plupart d’entre eux ils n’ont pas de superpouvoirs, il y a un facteur « à la Batman », qui fait que le héros surpasse ce qui est statistiquement possible dans la réalité et peut passer d’une situation à une autre en s’en sortant mieux que des canonniers expérimentés D’ailleurs tiens, comme ils ne sont pas encore en Europe continentale, il leur faut encore traverser la Manche pour passer par la France. Et plutôt que le faire en négociant le passage sur un bateau, ils se construisent un radeau. Mais comme la petite bande n’a apparemment pas de chance ils sont vite attaqués par un avion (nazi) que Toro détruit. Rapidement c’est la France où, après quelques tentatives de parler avec l’autochtone ils croisent un soldat allemand et tremblent de peur à l’idée d’être identifié (Whitewash se demande s’il peut passer pour un gamin français). Le nazi n’y voit que du feu. Il est encore plus perdu qu’eux et cherche son chemin. Finalement il s’en va parce qu’ils ne comprennent pas un mot d’allemand. Bientôt ils sont recueillis par un automobiliste qui lui n’a aucun mal à comprendre qu’ils sont américains. Il les emmène et leur propose de s’arrêter boire un soda. Mais une mouche se pose dans le gobelet de Whitewash et… meurt instantanément. Le garçon comprend donc immédiatement qu’on tente de les empoisonner et prévient ses amis avant qu’ils ne puissent déglutir. Mine de rien c’est la deuxième fois que Whitewash les sauve. L’automobiliste (en fait agent de Red Skull) s’enfuit prévenir son maître et les enfants reprennent la route à pied. A la frontière, Bucky embrouille la sentinelle allemande en lui présentant sa carte de collectionneur de timbres. Le nazi voit bien que c’est un faux mais ne réalise pas que dans son dos le reste des Young Allies a inversé les panneaux. Croyant les refouler en France, il les a fait passer en Allemagne. Le but est proche…
Croisant une patrouille ennemie, les Young Allies y vont au culot en défilant devant eux à la façon nazie, comme s’ils faisaient partie des Jeunesses Hitlériennes. Et les militaires s’y laissent tromper, même quand Whitewash passe devant eux. Passent ainsi bien des péripéties qui font que finalement les Young Allies se rendent à Berlin à vélo et se retrouvent mêlés à un défilé militaire. Là, dans des circonstances qui ne sont pas évoquer une scène du bien plus tardif « Indiana Jones et la Dernière Croisade », les jeunes se retrouvent coincés dans la foule et salués par… Adolf Hitler qui croit voir en eux de sympathiques jeunes aryens (il faut dire que là, pour le coup, Whitewash cache son visage sous son chapeau). Finalement les enfants trouvent le Q.G. de Red Skull au moment où l’Agent Zero y est emmené. Le Red Skull s’apprête à le fouetter pour le faire parler. Mais c’est à ce moment que le Red Skull reçoit l’avertissement que les Young Allies sont à ses trousses (le nazi pose d’ailleurs son masque pour lire le message et on voit distinctement un visage moustachu). Les Young Allies sont bien sûr dans l’immeuble mais les hommes du Red Skull les capturent. Les enfants sont alors emmenés dans un camp de concentration. C’est l’expression exacte qui est utilisée dans la BD. Je laisse à des gens plus calés que moi en histoire de savoir si le terme était déjà beaucoup utilisé en 1941 mais il me semble bien que c’est une des toutes premières représentations de camp de concentration dans un comic-book de Marvel. Après qu’ils aient tentés de s’évader le directeur du camp décide alors de les condamner à mourir de faim dans un cachot. Là, la flamme de Toro est momentanément hors de service à cause de la boue du sol, trop humide (mais on se demande bien pourquoi il n’a pas utilisé son pouvoir avant d’arriver dans le cachot). Heureusement, la boue sèche et bientôt la flamme de Toro redevient active et les enfants s’échappent, reprenant la route du repaire de Red Skull. Par hasard Whitewash tombe sur un squelette et les Young Allies en déduisent que c’est une précédente victime de l’homme au crâne rouge. Mais d’ailleurs… cela donne une idée à Bucky. Ils utilisent le crâne du squelette en le coloriant en rouge. Bucky l’enfile comme un masque et la petite bande se fait la courte échelle à l’intérieur d’un manteau. Ils peuvent ainsi entrer dans l’endroit en se faisant passer pour le Red Skull lui-même ! Un enfant qui enfile le crâne d’un cadavre pour s’en servir de masque… Ceux qui disent que les comics modernes sont plus violents ou gores que ce qui a précédé ont ici un exemple à méditer… Le plan de Bucky marche mais ils se retrouvent face au vrai Skull… Un combat s’engage mais quand Adolf Hitler arrive, le vrai Skull croit avoir en face de lui un autre imposteur… et commence à lui casser la figure. Retrouvant l’Agent Zero, les Young Allies s’enfuient en volant à l’extérieur la voiture d’Hitler. Sur la route les allemands ont donc l’impression de voir passer le dictateur… Et la route est donc aisée pour les jeunes héros et l’Agent Zero. Bien sûr le Red Skull les a pris en chasse mais n’arrive pas à les rattraper avant que les héros soient passés de l’autre côté de la frontière soviétique.
Là, on a droit à ce qui est sans doute le passage le plus dérangeant de l’épisode. Pour survivre et quémander un peu de nourriture, les héros montent un spectacle de rue. Toro y est bien sûr un jongleur de feu tout trouvé mais surtout… Whitewash s’y expose en tant qu’homme-singe !!! Là, clairement, le passage est raciste (encore qu’il faut le remettre dans le contexte de l’époque bien sûr). Mais les jeunes américains sont vite repérés quand Jefferson, le « cerveau » de la bande, actionne la radio portable qu’il a caché dans sa veste pour écouter la BBC. Les communistes se vexent (écouter la BBC est interdit) et les emprisonnent avant de les déporter en Sibérie. Vraiment quelle vie ils ont les Young Allies !!!
Mais à la frontière de la Sibérie le camion est attaqué par un tank nippon. Les japonais (alliés des nazis) ont entendu par la radio que les Young Allies et l’Agent Zero se trouvaient à l’intérieur. Dans la cohue les héros arrivent cependant à prendre les commandes du tank et à prendre la direction de la Chine libre où les papiers de l’Agent Zero leur permettent d’être accueillis à bras ouverts. C’est donc sans encombre qu’ils arrivent à Hong Kong mais au moment de trouver un bateau, ils ont pris dans une guerre de gangs locaux et les haches volent dans la rue (souvenez-vous des Hatchet men déjà cités dans cette rubrique). Knuckles utilise alors des feux d’artifices pour faire peur à ces mafieux… A bord du bateau, l’Agent Zero pose son chapeau et on réalise alors que c’est une jeune femme. Et l’équipe prend alors la mer en direction de la cote californienne puis finalement l’autre côté des USA et le Q.G. des Young Allies. Mine de rien les Young Allies viennent de faire le tour du monde !
L’Agent Zero leur explique alors que pour être complet le code a besoin d’une inscription que l’Agent X a gravé sur une tombe du cimetière déjà évoqué. Mais là ils sont à nouveau faits prisonniers par… le Red Skull qui était revenu les y attendre. Tout ca pour rien ? Les Young Allies et l’Agent Zero sont enfermés dans une sorte de mini-prison et la « Miss Zero » éclate en pleurs, désespérée. Heureusement les nazis n’ont pas fouillé Jefferson qui a toujours sur lui sa radio portable. Bucky peut donc appeler à l’aide… Captain America en personne ! Et Toro se dépêche d’ajouter Human Torch à la liste ! Les deux héros adultes reçoivent séparément l’appel à l’aide (quelle chance qu’ils étaient là à rien faire, à côté d’une radio ouverte sur la bonne fréquence !) et convergent vers le lieu de captivité de leurs amis. Pendant ce temps Red Skull menace d’aveugler Zero si elle ne parle pas. Avec l’énergie du désespoir Toro arrive à faire fondre leurs barreaux et les Young Allies attaquent à nouveau les nazis. Malheureusement ils se font tirer dessus et vont être blessés quand… une silhouette en bleu, blanc et rouge s’interpose avec un bouclier. Rapidement une grande silhouette enflammée attaque les allemands. Captain America et Human Torch sont là ! L’Agent Zero est sauvée, son code aussi ! C’est d’ailleurs sauf erreur la première fois qu’on les voit ensemble et la première fois qu’on voit Cap rencontrer un autre héros. Les Young Allies et leurs mentors terminent alors sur un serment : s’opposer à tous les dictateurs qui voudraient s’attaquer à la démocratie…
De façon moderne on a fait allusion aux Young Allies du Golden Age (dont la série dura jusqu’en 1946) seulement une fois, de façon mineure dans Fantastic Four. Mais dans le tout premier épisode des Invaders (Giant-Size Invaders #1) Cap et Human Torch faisaient mention de s’être croisé cet été 1941, dans ce qui ne pouvait qu’être cette aventure. Elle est donc tout à fait dans la continuité. De nos jours Bucky est devenu le Winter Soldier puis Captain America… mais on ne sait pas ce que sont devenus les autres Young Allies. Whitewash aurait fait un bon candidat pour The Truth. Dommage qu’on l’ai laissé de côté car pour évoquer le racisme dans les comics, un héros noir obligé de se faire passer pour un homme-singe, ca se posa là. On peut aussi se demander si Jefferson Worthington Sandervilt, le monsieur je-sais-tout de la bande, est lié à la famille Worthington (et donc au Angel des X-Men). Il y a du potentiel dans ces Young Allies qui, avec le temps, ne doivent plus tout à fait être « Young ».
P.S. Les Youngs Allies feront bientôt l’objet d’une réimpression chez Marvel. Guettez-les !
P.S.2: Je n’ai qu’un reprint noir et blanc de Young Allies #1, d’où le peu d’illustrations cette semaine. Mais en longueur de texte vous y êtes gagnants 😉
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