Dans Zip Comics #1, en tombant sur le Scarlet Avenger, il est très difficile de ne pas penser que quelque chose de ce genre s’est produit. Un an et demi plus tôt (Detective Comics #20), DC Comics lancé (huit mois avant l’apparition de Batman) son premier détective masqué : le Crimson Avenger, lui-même clairement inspiré du Green Hornet et du Shadow. Comme le Green Hornet, le Crimson Avenger était à la ville le richissime propriétaire d’un journal et, dans ses activités masquées, été accompagné d’un chauffeur/garde du corps d’origine asiatique. Visuellement, le Crimson Avenger portait des vêtements de ville cachés sous une cape rouge, cachant son visage derrière un masque et un chapeau de la même couleur. Quand on ouvre Zip Comics #1, on tombe sur un Scarlet Avenger qui lui ressemble passablement, à une petite différence : « Scarlet » ne porte pas de chapeau. Pour le reste, leur apparence est identique. Et là où le premier épisode du Crimson Avenger état titré « Block Buster », la première aventure du Scarlet Avenger s’intitule « Gang Buster »… Pourtant, avant de nous arrêter à ces évidences, observons de plus près les tribulations de cet autre « Vengeur Écarlate »…
A l’époque, quand le personnage n’était pas lui-même doué de superpouvoirs qui nécessitaient une explication et qu’il s’agissait d’un simple limier masqué, les éditeurs ne s’encombraient pas de palabres pour raconter leurs origines. Souvent, on induisait qu’il s’agissait simplement d’hommes épris de justice qui avaient décidé de prendre les choses en main, quitte à donner plus de détails plus tard (dans leurs premières apparitions, le Crimson Avenger mais également du Angel ou Batman n’ont pas d’origine distincte). Ou bien on expédiait la chose en quelques lignes dans le panneau de présentation de la BD. C’est le cas ici. Tandis que le Scarlet Avenger pointe un doigt accusateur vers quelques hommes qui ne peuvent être que des criminels, le narrateur nous explique en une tirade : « Le Scarlet Avenger est, dans la vraie vie, Jim Kendall. Il a consacré sa vie à l’éradication des gangs depuis la mort de sa femme et de son enfant. L’avion dans lequel ils se trouvaient fut détourné parce qu’il transportait une réserve d’or. L’avion s’écrasa et tous les occupants furent tués à l’exception de Jim lui-même. Dans l’accident les muscles de son visage furent paralysés et Jim est désormais un homme qui ne peut sourire. Mais derrière la face de pierre de Jim se cache un cerveau scientifique d’exception. Il utilise la science dans sa croisade et s’est créé une cape écarlate, avec un maillage d’acier qui en fait un vêtement à l’épreuve des balles. Son identité est inconnue même de ses propres agents. Une flèche enflammée est le signe distinctif du Scarlet Avenger !« . Bref, le personnage n’a pas encore dit sa première parole qu’on sait pratiquement tout de lui. L’info principale, qui le distingue déjà du Crimson Avenger, c’est que Jim Kendall a des « agents » (élément très « pulp » qui fait penser à de nombreux justiciers littéraires) et pas un simple chauffeur. De ce fait, le Scarlet Avenger n’est pas qu’un simple héros masqué, c’est aussi la tête pensant d’un réseau clandestin…
Sur les ordres du Scarlet Avenger, l’opératrice #12 tente alors d’infiltrer ce complot en se faisant passer pour une victime potentielle. Elle traîne dans les bars en buvant ostensiblement. Les hommes du gangster Sledge Hammer ne tardent pas à la repérer et à en parler à leur employeur. Très vite, le Scarlet Avenger reçoit dans sa propre demeure un autre agent (comme les troupes du héros ne sont pas supposées connaître son identité secrète, il faut croire que la maison possède une sorte d’accès caché, façon Batcave, qui fait qu’on y entre sans réaliser chez qui on se trouve). On voit un décor très particulier, lugubre, avec le Scarlet Avenger assis dans un trône surmonté d’un crâne. L’agent lui apporte des nouvelles de l’opératrice #12 (quand à savoir pourquoi, cette fois, elle ne peut pas utiliser le « Phon-Viz »…) : elle a découvert le nom du courtier en assurances complice de Sledge Hammer. Il s’agit d’un certain Joe Dragon. Le Scarlet Avenger ne tarde pas à rendre visite à ce Joe Dragon, au moment où ce dernier discute avec quelques gangsters de Sledge Hammer. Bien sûr les bandits lui tirent dessus mais leurs balles sont sans effet sur la cape doublée en acier du héros. Et quand c’est à son tour d’attaquer, il a pour lui une bonne connaissance du jiu-jitsu… Ses adversaires n’ont pas une chance… Mais même capturé Joe Dragon refuse de parler. C’est l’occasion de voir ce qui distingue vraiment le héros…
Mais pendant ce temps, l’opératrice #12 est en danger. Pensant toujours qu’il s’agit d’une victime comme les autres, le reste du gang de Sledge Hammer s’apprête à causer sa mort pour toucher l’assurance. Les hommes s’arrangent pour lui faire traverser la rue à un endroit où un complice, au volant d’une voiture, pourra la renverser de manière à faire croire à un accident. Heureusement le Scarlet Avenger est là ! Arrivé à temps, il s’interpose entre la jeune femme et la voiture, utilisant une sorte de lampe torche qui diffuse un « rayon magnétique ». La voiture est repoussée au loin et s’écrase, provoquant la mort des occupants. Le narrateur s’exclame alors « Mort aux adversaires du Scarlet Avenger !» et on voit que le héros a pris le temps de disposer sa carte de visite (marquée d’une flèche enflammée) sur les cadavres. Puis il ordonne à l’opératrice #12 d’aller dire à la police que Sledge Hammer et ses hommes se cachent à la ferme Morgan…
Le Crimson Avenger de DC était un justicier utilisant plutôt ses poings et une paire de revolvers. Il n’utilisait rien d’aussi sophistiqué qu’une cape pare-balles ou une « voiture électronique », il n’utilisait pas autant de gadgets ou d’agents. Au fil de l’histoire, on se prend donc à penser que la ressemblance entre les deux héros n’est guère que physique et nominale. C’est qu’en fait les auteurs ont adopté une technique qui consiste à lorgner sur un personnage pour mieux cacher un autre plagiat, plus profond. Les lecteurs fidèles d’Oldies But Goodies n’auront pas manqué de trouver que l’histoire de Jim Kendall a quelque chose de familier. C’est que scénaristiquement le Scarlet Avenger n’est pas basé sur le Crimson Avenger : Il s’agit au contraire d’une adaptation non-autorisée (allez, disons-le, c’est carrément une version pirate) des aventures du Avenger (tout court), personnage de pulp lancé en septembre 1939. On se souviendra (ou, si besoin est, on consultera la précédente chronique que nous lui avons consacré dans ces pages) que Richard Benson (Avenger) a perdu sa femme et sa fille dans un détournement d’avion qui a mal tourné et que le traumatisme a causé une paralysie de ses muscles faciaux qui figent son expression. Et bien entendu il utilise toute une équipe d’agents auxiliaires. Autant dire que c’est pratiquement mot pour mot la présentation de Jim Kendall dans la première case du récit. Mieux : Avenger porte une combinaison à l’épreuve des balles et utilise, entre autres gadgets, une voiture sophistiquée capable d’atteindre des vitesses inégalées.
A partir d’un moment le Scarlet Avenger et son modèle se ressemblent comme deux versions d’un même personnage qui auraient grandi dans des contextes différents, la science-fiction et le baroque devenant de plus importants dans les histoires du héros à la cape rouge. Mais on continuerait à retrouver de nombreuses allusions (ou plagiats) à des personnages tirés des pulps au fur et à mesure de ses aventures. Harry Shorten et Irv Novick, les « créateurs » du Scarlet Avenger, avaient sans doute tablé, en voyant paraître le premier roman sur The Avenger, qu’il aurait le même succès que d’autres héros de pulps comme le Shadow ou Doc Savage. D’où l’idée de le copier sans attendre. En fait la notoriété de Richard Benson ne dépasserait jamais un certain niveau (la parution des romans à son nom serait d’ailleurs suspendue en 1942, d’autres nouvelles étant publiées irrégulièrement dans divers magazines jusqu’en 1944). Du coup, l’imiter se justifiait de moins en moins et, dès août 1941 (Zip Comics #17), les aventures du Scarlet Avenger s’arrêtèrent… Lancé comme un simple « clone » les aventures de ce justicier masqué utilisant des machines caricaturales (propulsées par la neutronique ou l’électronique) lui donnent néanmoins un potentiel propre, un petit truc qui finalement n’était pas si copié, qu’aucun scénariste moderne n’a hélas pu creuser.
[Xavier Fournier]
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