Oldies But Goodies: Zip Comics #1 (Fev. 1940)

[FRENCH] Et si je vous parlais du « tête-à-cornes » du Golden Age ? Les habitués de la rubrique « Oldies But Goodies » savent déjà que dans les années 40 il y avait effectivement un Daredevil précédant celui de Marvel. Mais ce n’est pas de cet homonyme dont je vais vous parlez aujourd’hui. Non, dans les super-héros publiés à l’époque il se cache un autre héros (Mister Satan) à qui l’actuel Matt Murdock doit beaucoup, reconnaissable à ses petites cornes et son utilisation similaire de l’image du diable… Mister Satan, c’est le chaînon manquant entre Daredevil et les « pulps »…

(Avant-Propos: Oui, je sais, nous sommes vendredi et d’habitude les « Oldies But Goodies » tombent le samedi. Vous pouvez rassurer votre horloge interne, ce chapitre arrive un jour plus tôt que d’habitude puisque cette fois-ci, profitant du week-end de trois jours, j’ai décidé de vous préparer trois volets de la rubrique, d’où une tripe dose administrée jusqu’à dimanche et qui aura pour sujet trois personnages édités par MLJ magazines/Archie Comics et qui, vous le verrez, ont chacun un rapport avec des séries plus modernes).

Il n’apparait pas sur la couverture de Zip Comics #1. Il n’est même pas cité dans les divers personnages annoncés dans les accroches. Sans doute que son éditeur ne pensait pas qu’il attirerait les foules. Pourtant, à la page 52 de ce vieux comic-book qui remonte à 1940, on découvre Mister Satan, un personnage à l’allure… diablement efficace. Son costume sombre (la couleur n’est pas véritablement stable. Parfois il est gris, violet ou même de teinte bordeaux) est surmonté d’un masque avec des petites cornes qui ne peut qu’évoquer bien des choses à un lecteur de comics moderne. En effet, une fois que vous enlevez à Mister Satan sa cape dorée, vous obtenez essentiellement une version sombre du costume du Daredevil de Marvel, créé un quart de siècle plus tard. Disons que visuellement Mister Satan est à mi-chemin entre Daredevil et Black Panther. A l’époque, bien sûr, les responsables de MLJ sont bien loin de se douter qu’ils détiennent la forme première d’une idée qui va faire des petits dans les années suivantes. Bien sûr, on peut dire que l’idée est sans doute de « cloner » Batman mais aussi, plus largement, on sent l’influence des romans populaires (les fameux « pulps »).

D’ailleurs dès 1938 l’éditeur de romans Popular Publications avait sorti les aventures d’un « Captain Satan » dont le signe distinctif, sur les couvertures, était de projeter l’ombre d’un diable tenant une fourche (un peu la version démoniaque du gimmick du feuilleton TV plus tardif The Saint, quand une auréole symbolique apparaissait au dessus de la tête de Simon Templar). Le Captain Satan n’était pas un personnage masqué mais l’inspiration est manifeste dans la page de présentation de Mister Satan… Et puis il faut aussi se souvenir qu’on est en février 1940 et qu’à l’époque Batman, qui n’a qu’une dizaine de mois (il est apparu en mai  1939), n’a pas encore fixé ses attitudes. En un sens Mister Satan, avec son costume plus épuré et reposant sans doute sur la même idée que « les criminels sont des couards superstitieux », est à l’époque un personnage plus élégant que l’homme chauve-souris tel qu’il apparaît à l’époque. Il fait paradoxalement plus « abouti » dans son apparence (dans la personnalité, comme nous le verrons plus loin, c’est autre chose).

Dès la première page, on nous présente Dudley Bradshaw, « un jeune playboy  qui est en réalité Mister Satan, détective international ». En civil Dudley Bradshaw ressemble trait pour trait à son modèle des pulps, que ce soit pour la coupe de cheveux ou même pour les vêtements. Comparez: l’air de famille est plus qu’évident pour qui connait son prédécesseur. Mister Satan n’est ni plus ni moins que la version super-héros du Captain Satan. D’ailleurs, les auteurs (Abner Sundell & Edd Ashe) ne se donneront même pas la peine de donner une origine à leur « création ». Quand l’histoire commence, Dudley Bradshaw joue visiblement à Mister Satan depuis un moment puisque sa réputation est « internationale » mais on ne nous dira ni pourquoi ni comment il est devenu ce justicier masqué à l’allure de gargouille. Dudley est donc un aventurier qui a la particularité de faire passer des petites annonces invitant les gens dans le besoin à recourir à ses services (un super-héros passant par la presse pour trouver des gens à aider, ce n’est pas courant). D’ailleurs une jeune femme vient de lui répondre : son père a disparu et elle a besoin d’aide. Le justicier lui donne donc rendez-vous dans une voiture et elle est assez surprise de voir arriver un homme déguisé en diable d’opérette.

Passé un moment de frayeur, Mary Doran explique son problème : elle a été élevée en dehors des USA et ne connait donc personne à qui elle pourrait demander de l’aide. Pourtant son père vient de disparaître en Afrique après une suite d’événements étranges. Tout a commencé quand « papa » Doran a recueilli un indigène moribond dans une clairière, qui se ventait d’avoir volé « l’œil d’Oglu », une pierre précieuse connue pour apporter richesse et gloire à celui qui la possédera… mais avec une étrange malédiction qui fait que son propriétaire finira par le regretter. Sans doute que l’indigène est ensuite mort « hors champ » car on ne nous en reparlera plus et monsieur Doran est montré comme en étant l’unique propriétaire. A partir de là, la déveine frappe les Doran. D’abord leur bateau traverse une énorme tempête alors qu’ils quittent la jungle. Ensuite, un soir qu’il avait perdu la clé de sa cabine et qu’il se faisait ouvrir par un domestique, un chat aux griffes empoisonnées à surgit de l’ombre, tuant l’homme qui aidait Doran. Et là, visiblement, ça commence à sentir mauvais car je ne sais pas pour vous mais moi, en tout cas, quand un chat aux griffes empoisonnées est caché dans ma chambre, c’est un peu comme quand on fait exploser le taxi que j’allais prendre… C’est une preuve irréfutable que quelqu’un m’en veut. Si, si… D’ailleurs c’est aussi l’impression de Mary, qui a imploré son père de se débarrasser de « l’œil d’Oglu » mais lui a trouvé l’idée de cette « malédiction » ridicule. Il a décidé de garder le joyau tout en s’assurant qu’il était le seul à savoir où il était caché. Seulement voilà, maintenant le père Doran a disparu sans laisser de trace…

Alors qu’elle raconte ses malheurs, Mary Doran est interrompue d’une manière peu commune : un pygmée passe la tête par la vitre de la voiture et, avec une sarbacane, lui tire dessus des fléchettes enduites de tranquillisants. Allez savoir pourquoi, le pygmée n’a pas la présence d’esprit d’en faire de même avec Mister Satan et les deux personnages commencent à se poursuivre dans les rues de la ville… Enfin… dans la ville… Quand le dessinateur s’en souvient car le décor évolue de case en case. Dans certains passages on est clairement dans des ruelles. Dans d’autres on voit au contraire des arbres et des buissons, un peu comme si les personnages se trouvaient dans la jungle ou en tout cas dans une forêt épaisse. Sans doute qu’emporté par la présence du pygmée le dessinateur s’est laissé aller à plus d’exotisme qu’il n’en était besoin. Ou bien alors Mister Satan et le petit homme qu’il poursuit courent ensemble pendant des heures, traversant des villes puis des forêts puis des villes et ainsi de suite. Le super-héros arrive cependant à rattraper le pygmée et tente de lui soutirer des informations. Peine perdue : l’homme à la sarbacane ne maîtrise pas l’anglais et, en guise d’information, n’est capable d’articuler qu’un simple « Big boat ! Big boat ! » (« Gros bateau ! Gros bateau ! »). Ne sachant que faire de son inutile prisonnier, Mister Satan le laisse aller et décide de retourner à la voiture. Sauf que la voiture n’est plus là et que Mary, qui gisait inconsciente à cause des fléchettes droguées, a disparue avec…

Mais bon, Mister Satan est un « détective international », ne l’oublions pas ! Et en se basant sur les piètres indications du pygmée, le héros arpent le port de la ville jusqu’à identifier le plus grand yacht qu’on puisse y trouver. Discrètement, Mister Satan s’y introduit en montant le long d’une corde mais il est rapidement repéré par un marin. Heureusement, ce dernier est surpris par l’arrivée de l’homme déguisé en diable. Le héros peut profiter de sa stupéfaction pour l’étouffer. Mais néanmoins le court combat a fait assez de bruit pour que le propriétaire du bateau, le Comte Bodana, utilise un sifflet pour appeler à l’aide tous les hommes d’équipage. Il a beau être Mister Satan, le héros a le nombre contre lui et ne peut lutter. Il est vite maîtrisé et emmené dans la cale… où monsieur Doran est attaché à une chaise. Le Comte Bodana explique à ses alliés pygmées qu’ils auront ainsi quelqu’un de plus à torturer. Mais Mister Satan leur fait alors observer que le père Doran n’a toujours pas parlé (sous-entendu, non sans raison, que les tortures ne doivent pas être si terribles que ça). C’est alors que le plan de Bodana commence à prendre du sens. S’il a fait enlever Mary Doran, c’est justement pour la torturer. Le père, qui a su résister, ne le prendra sans doute pas si facilement quand il verra sa fille souffrir. Et il est vrai que dès que les pygmées menacent de brûler la plante des pieds de la jeune femme le père cède. Il va parler…

Heureusement pour les Doran, Mister Satan a réussi à défaire ses liens (ce n’est pas un super-héros pour rien) et commence à se battre comme un diable, cassant des chaises sur la tête des malfrats. Il arrive ainsi à remonter jusqu’à la cabine de pilotage puis finalement jusqu’à un projecteur qui lui permet de faire des signaux à la police du port. Bientôt un bateau arrive à la rescousse et le gang de Bodana n’a plus d’autre choix que se rendre. Mister Satan n’attend pas l’arrivée de la police à bord et préfère plonger de l’autre côté, rentrant à la nage (une indication indirecte qu’il agit en dehors de tout lien avec les autorités et que sa présence ne serait sans doute pas tolérée). Rentré chez lui, le playboy Bradshaw n’a pas l’air particulièrement fatigué par les événements de la soirée, il va même jusqu’à dire qu’il devra aller à la salle de gym…

L’histoire se termine alors sur un carton qui nous promet de prochaines aventures de Mister Satan dans le prochain numéro, non sans lui donner son surnom de « diable du danger » (le « Danger Devil »). Même si Mister Satan n’est pas avocat et encore moins aveugle il faut bien dire qu’entre les ressemblances visuelles et cette appellation de « Danger Devil » les ressemblances avec le Daredevil que nous connaissons aujourd’hui sont assez étonnantes. En fait, il paraît peu probable que les gens de Marvel se soient directement inspirés de Mister Satan puisque ses aventures n’ont duré que 9 épisodes et que de plus le Daredevil moderne a commencé avec un costume noir et jaune différent (n’adoptant son costume rouge qu’au septième épisode). Ce qui paraît plus probable, c’est que la filiation s’est faite à travers des intermédiaires. D’abord, le premier « clone » évident de Mister Satan est un certain Mister Scarlet qui a été publié chez Fawcett (concurrent de MLJ qui éditait le Captain Marvel rouge et or) à partir de l’automne 1940. Il suffit de tronquer les cornes de Mister Satan pour obtenir un résultat assez semblable à Scarlet. En termes de chronologie, il semble assez manifeste que le héros de MLJ, paru en février de la même année, est arrivé pile à temps pour inspirer le personnage de Fawcett. Autre rejeton « au premier degré » de Mister Satan : le Red Demon, dont je vous parlais déjà sur ce même site il y a quelques années en listant les inspirations du Daredevil de Marvel. Le Red Demon est un héros publié à partir de 1947 dans Black Cat Comics, déguisé en diable rouge avec de petites cornes, vêtu d’une cape jaune. Il me semble plus probable que le Red Demon est le chaînon manquant entre Mister Satan et le Daredevil moderne puisque Jack Kirby travaillait pour le même Black Cat Comics et qu’on sait, bien sûr, qu’au début des années 60 il fut le principal pourvoyeur des designs des personnages de Stan Lee, même quand il ne dessinait pas les épisodes originaux (ce qui est le cas pour Daredevil, illustré par Bill Everett). Mister Scarlet n’est donc sans doute pas l’un des « pères » de Daredevil mais plutôt son grand-père, son inspiration au deuxième degré. Grâce à lui on retrace même la généalogie créative des héros « têtes-à-cornes », qui les relie à travers les époques jusqu’à l’ancien Captain Satan des années 30. Un exemple frappant de comment des générations successives de copies peuvent déboucher sur des personnages « originaux ». MLJ étant devenu par la suite Archie Comics et cette dernière structure ayant récemment licenciée ses super-héros à DC Comics, le concurrent historique de Marvel se retrouve donc de nos jours en droit d’utiliser le « diable du danger », le « tête-à-cornes » original. Bien que la plus grosse partie du public le prendrait sans doute pour une copie, voici encore un « Oldies » qui aurait du potentiel pour un scénariste qui voudrait s’en donner la peine…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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