Si les talents européens qui travaillent directement pour les comics ne sont plus rares, le principe d’une histoire pensée simultanément pour des audiences situées des deux côtés de l’Atlantique reste un événement. Enrico Marini est invité à explorer l’univers de Batman, de Gotham et du Joker, nous donnant ainsi quelque chose qui respecte les fondamentaux tout en conservant une touche bien personnelle. Un projet « transatlantique » comme on en n’avait pas vu depuis longtemps…
Scénario d’Enrico Marini
Dessins d’Enrico Marini
Parution aux USA le mercredi 1er novembre 2017/En France le vendredi 3 novembre 2017
Aborder l’univers de Batman tout en étant en droit de le réinventer à sa guise, de tenir compte (ou pas) de ce que l’on veut… Il y beaucoup de dessinateurs de BD européenne qui seraient prêts à faire la queue pour un tel projet. Cela ne date pas d’hier. Au début des années 80 Denis Sire avait tenté l’aventure d’un Batman made in France (à une époque où même les Anglais tels que Brian Bolland n’avaient pas leurs entrées dans l’édition U.S.)… pour que les choses en restent finalement au niveau du test et à une triste brève dans Métal Hurlant informant de la fausse-couche du projet. Les deux écoles semblaient doublement séparées par un océan, pardon, par un gouffre, tout juste comblé par une occasionnelle illustration de Moebius. Mais depuis les Européens se sont motivés pour voir en l’Amérique un marché à conquérir… Et inversement les Américains ont fait les yeux doux aux autres berceaux de la BD mondiale, ce qui nous a donné au fil des ans des projets [*] comme le Batman de Kia Asamiya (2000) ou le manga Batman & The Justice League (qui sort chez Kana en ce mois de novembre 2017). L’antique manga de Batman par Jiro Kuwata, paru au Japon dans les années 60 était passé royalement inaperçu aux USA, pas traduit à l’époque… mais la lacune a été comblée ces dernières années. Il faut aussi compter avec l’influence d’un Jim Lee vice-président de DC Comics qui a vécu des années en Italie et à l’origine d’un projet comme Batman: Europa. L’existence de projets transversaux fait à l’occasion hurler les puristes qui aimeraient qu’on ne mélange pas les trois grands bassins « bayday », « comics » et « manga » mais Lee et d’autres ont compris qu’aller voir de temps en temps ailleurs si l’herbe est plus verte, c’est aussi une manière d’éviter la consanguinité, en regardant comment les autres gèrent un personnage identique.
C’est donc Enrico Marini (lire notre interview de l’auteur ICI) qui est le dernier en date à se voir invité à scénariser et dessiner sa propre version de Batman, dans un album piloté par DC et Dargaud, qui sort au même moment en France et aux USA. Le premier choc de Dark Prince Charming est visuel puisqu’à l’ouverture de l’ouvrage on tombe dans un monde de couleurs directes, technique de plus en plus rare aux USA. C’est cette technique qui fait que l’approche de Marini se caractérise assez vite. Un piège courant pour les dessinateurs du monde entier qui se lancent à dessiner Batman, c’est de « charbonner ». Normal, nous direz-vous, c’est un justicier nocturne, un animal qui s’élance dans la nuit. Et puis l’influence d’artistes comme Mike Mignola a dédramatisé l’usage de larges zones sombres. Avec un titre parlant d’un « Dark Prince », Marini avait de quoi foncer la tête première dans les ténèbres. Mais il n’en est rien. Sa Gotham nocturne est une ville-lumière. L’artiste raconte la nuit sans noyer les choses dans l’encre noire. Il y a les rues dans une lumière marron, les toits sous la clarté de la Lune… Tout cela avec une volonté de nous « raconter » les figures classiques du monde de Batman. Pour exemple, il y a un face-à-face entre Batman et Gordon, sur le toit du commissariat, avec le commissaire carré, massif et un peu bourru, tel qu’on ne l’a plus guère vu ainsi dans les comics depuis des décennies. C’est, plus qu’un portrait de Gordon, l’essence même du personnage à l’époque où Batman était écrit par un Dennis O’Neil.
Ce gage (et d’autres au passage) étant donné en matière d’authenticité, Marini peut alors délimiter le périmètre personnel de son histoire et déplier les accessoires, les manières qu’il y apporte. Il y a un autre piège quand on aborde Batman, c’est coller le super-héros costumé à toutes les cases, à toutes les sauces et perdre du point de vue le côté humain. Batman est là, dans la vision de Marini, pas de problème. Soyez rassuré. Mais Bruce Wayne occupe une partie non négligeable de l’espace. Ce n’est pas qu’un énième combat entre Batman et le Joker mais bien une aventure qui a un caractère personnel pour le Chevalier Noir. Et comme l’histoire se passe dans une continuité à part, bien malin qui pourrait garantir la façon de résoudre l’affaire qu’aura le scénariste pour le second volume à venir, en 2018. Dark Prince Charming a un peu l’attrait d’un Batman Earth One, avec l’auteur se laissant un droit d’inventaire dans ce qu’il prend (la relation établie avec Catwoman) ou pas. Le côté surhumain est dilué, pas de super-guests stars et même Killer Croc est « humanisé ». Ici, ce n’est plus vraiment un crocodile humanoïde mais plutôt un personnage dans la droite lignée du célèbre tatoué Erik Sprague. Marini fait preuve, également d’une véritable fascination pour le Joker (peut-être la véritable vedette de l’album), flanqué de sa fidèle Harley Quinn. Au final Marini ne lâche rien. Il œuvre d’une manière qui est cohérente sur les deux tableaux, donne des gages aux fans de Batman tout en restant cohérent avec les codes des deux typologies de BD.
Dans l’antique USA Magazine, à la jonction des années 80/90, Fershid Bharucha cultivait, malgré ce que pouvait laisser croire le titre, l’amour d’une BD tonique sans frontière, avec des auteurs de nationalités différentes mais qui se reconnaissaient à un certain esprit « rock’n’roll ». On peut certainement dire la même chose d’une référence comme Métal Hurlant. Mais pour ce qui est d’USA Magazine on avait droit parfois à des télescopages intéressants, l’éditeur publiait ainsi aussi bien Batman Year One que la Margot de Frezzato (puis les Gardiens du Maser). L’étape logique suivante aurait été de matérialiser ce qu’on imaginait quand on feuilletait un peu vite les pages et que tout semblait se mélanger. On aurait voulu voir, à l’époque, un Batman par Frezatto. En désespoir de cause, on était réduit à en rêver. Pour utiliser une formule connue, disons qu’on en rêvait…. et que Marini l’a fait. Il se sort d’un exercice en apparence facile mais casse-gueule à bien des étages, qui lui vaudra sans doute quelques avis réservés des gens attachés aux étiquettes, convaincus qu’il ne faut pas « mélanger les flux ». Mais Marini procède comme un cinéaste, comme Burton ou Nolan à leurs niveaux. Il raconte SON Batman, SON Joker, tout cela de façon efficace. On n’a finalement qu’un regret, que l’histoire ne soit pas directement parue en un seul tome global, un graphic novel qui présenterait Dark Prince Charming comme une œuvre bouclée. Mais voilà l’un des plus beaux projets transatlantiques que l’on ait vu depuis un bail.
[Xavier Fournier] [*] Bien sûr il faut compter avec d’autres projets externes à DC tels que les Silver Surfer de Navarro et Mitton, de Stan Lee et Moebius, les Spider-Man de Téléjuniors, le Wolverine: Saudade de Morvan & Buchet et ainsi de suite mais on nous permettra de rester plus précisément sur ce qui touche à DC Comics et Batman plutôt que de partir dans un listing sans limites.Il arrive enfin sur les écrans : Kraven le Chasseur ! Non, on blague !…
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