Black Hammer, la nouvelle série de Jeff Lemire et Dean Ormston chez Dark Horse, met en position d’échec certaines grandes figures du super-héroïsme. Les plus grands aventuriers de Spiral City ont sauvé le monde, oui, mais depuis se retrouvent piégés dans une sorte de cliché de l’Amérique, une petite bourgade où ils sont privés de l’essentiel de leurs pouvoirs. Et certains ont plus de raisons de se plaindre que d’autres.
Scénario de Jeff Lemire
Dessins de Dean Ormston
Parution aux USA le mercredi 17 août 2016
Le parcours du scénariste Jeff Lemire touche aussi bien les séries les plus décalées, conceptuelles, ce qu’on a l’habitude de qualifier « d’indé » que le mainstream. Ainsi, chez DC, on a pu le voir œuvrer aussi bien chez Vertigo que sur la Justice League United et le voici maintenant sur les titres mutants chez Marvel. Pour autant il continue d’animer un certain nombre de séries plus personnelles, chez Image ou Dark Horse et Black Hammer est sans doute le titre qui se place le mieux à la croisée des chemins. En posant une atmosphère (un collectif d’anciens super-héros se retrouve piégé dans une ville, un peu comme si l’on enfermait la Justice League à Smallville) et en privant ses protagonistes d’une grande partie de leurs pouvoirs, Lemire installe un cadre propice à une forme de déconstruction. Coincés, prisonniers, impuissants, ces archétypes connus (qui visent sans se cacher des modèles comme le Martian Manhunter, Mary Marvel, Adam Strange et d’autres) sont obligés d’exister par leur caractère. Si le vétéran Abraham Slam accepte avec philosophie son sort, ce n’est pas le cas de la jeune Gail, et on comprend à le pourquoi du comment dans ce deuxième numéro. Au passage, Lemire semble presque dire « voilà ce que j’aurais pu faire avec certains héros DC si l’on m’avait laissé faire » et, dans le cas présent, on pourrait croire qu’il est en train de passer un casting (avec brio) pour reprendre l’écriture de Captain Marvel/Shazam. Lemire et Ormston jouent sur trois tableaux : l’ancien (les origines dont les personnages se souviennent avec mélancolie, parfois par ellipse), le sort de Spiral City (évoqué en fin du numéro précédent) et puis enfin et surtout ce sentiment d’être des naufragés dans « l’americana » intemporelle, des personnages vintages prisonniers d’un écrin figé dans le temps.
« Robo-King is the pinnacle of my undead genius ! »
A partir de là, les héros sont-ils piégés dans le monde réel ? Dans le passé ? Dans une simulation ? Dans une terre alternative ? Une sorte de Dome façon Stephen King ? C’est une donnée que les auteurs se gardent de côté pour l’instant, préférant se concentrer sur le spleen des personnages. Dans Black Hammer, il y a un peu de Grant Morrison et d’Alan Moore. On pense en particulier à ce dernier car la situation de Gail évoque un peu les idées que Moore avait pour le crossover avorté Twilight. Il y a aussi comme une pincée de Supreme. Pour le coup cette héritière de Mary Marvel est sans doute la plus mise à l’épreuve dans ce monde de poche. Encore que la question du sort du héros Black Hammer, qui donne son nom à la série, reste encore un peu floue. Avec un graphisme bien typé et des couleurs (de Dave Stewart) qui font ressortir le sentiment rétro, Lemire et Ormston puisent ainsi dans les racines du genre, à la source des origines, pour mieux les mettre en opposition avec ce paradis-prison où une petite fille n’est pas du tout ce qu’elle parait être. On se laisse alors guider par les auteurs à travers un exercice de style en attendant de prendre la pleine mesure de ce qui se passe mais ces deux premiers épisodes sont diablement prenants.
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