Référence phare depuis 1981, Love And Rockets continue de mélanger avec humour les codes des comics alternatifs et des concepts surnaturels, un peu comme si l’on compressait des bouts de BD biographiques avec des éléments dignes de Jack Kirby ou même des références évidentes à Doctor Who. 36 ans plus tard, le talent des frères Hernandez reste non seulement vivace, pertinent mais aussi d’actualité. Peut-être parce que d’autres auteurs ne sont toujours pas arrivés à les rattraper ?
Dessins de Gilbert & Jaime Hernandez
Parution aux USA le mercredi 2 Août 2017
Il y a ceux qui lisent Love And Rockets et ceux qui connaissent le nom comme une vague référence de la BD américaine des années 80. Pour synchroniser les montres de tout le monde, disons que Love And Rockets fut (et reste) un torrent d’air frais, avec une narration polymorphe qui permet à ses auteurs de raconter de véritables tranches de vie tout en décrivant aussi des événements extraordinaires. Dans un contexte où cela ne coulait pas de source, le casting de Love And Rockets est surtout féminin, qui est plus est essentiellement latino, avec à l’occasion des allusions bisexuelles. C’est à dire que, si en 2017 les comics mainstream s’interrogent sur des questions de représentativité, les frères Hernandez ont les clés depuis le début des années 80. Il n’y aurait pas d’America Chavez chez Marvel si Love And Rockets n’était pas d’abord passé par là… Et à bien des égards, L&R reste bien au-dessus de ceux qui ont voulu le suivre. Ce n’est pas une pique spécialement tournée vers America mais bien la constatation que L&R reste bien devant… et contient depuis le début beaucoup d’éléments que le public mainstream d’aujourd’hui considère comme de la nouveauté. Il y a un profond reflet de la diversité dans cette série, notamment avec les visages de Jaime Hernandez, qui est capable de singulariser un personnage sans tomber dans l’effet canevas. Ses héroïnes ne sont pas interchangeables. Elles n’ont pas la même corpulence, la même taille, le même âge. Il y a un caractère propre pour chacune d’entre elles.
« So, this is the famous island of lost souls… »
Love And Rocket précède et a sans doute rendu possible l’existence de nombreuses références survenues depuis, qu’on parle de Strangers In Paradise ou d’une partie de la bibliographie de Jeff Lemire en mode « creator owned », typiquement Black Hammer (qui, pas plus que SiP, n’est une copie de L&R mais une certaine filiation existe dans la tonalité). Love And Rockets #3 en est un bon exemple, en particulier dans une séquence où deux héroïnes se retrouvent malgré des choix très différents… pour être interrompues par l’arrivée de la géante Anima et un rebondissement (l’adversaire d’Anima qui se rebiffe) réduit à sa plus simple expression. On est dans le spectaculaire, mais un spectaculaire « minimaliste » pour peu que cette tournure de phrase soit explicite. Disons que les deux frères décrivent des évènements extraordinaires, super-héroïques, en prenant soin d’en conserver le sens basique. Et inversement les moments d’humanité sont magnifiés. Les frères Hernandez sont capables de tout ingérer et de trouver derrière tout ça une histoire individuelle. Comme cette parodie de Doctor Who, qu’on trouve dans la seconde partie, où Gilbert Hernandez s’en donne à cœur joie avec le principe de régénération, mais appliqué à la compagne du pseudo-docteur. On ne sait toujours pas à quoi s’attendre à chaque nouvel épisode de L&R, si ce n’est des histoires qui gardent le sens de l’intime, où les personnages, avec leurs cernes et leur petit sourire fatigué, n’oublient jamais de se retrouver à la cafétéria du coin pour parler de leur vie. Une BD à part, qui ne se démode pas.
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