Quarante-neuf morts. Le 12 juin dernier une boite de nuit LGBT, le Pulse, situé à Orlando, en Floride, était attaqué par un fou-furieux. Dans un pays pourtant connu pour la banalisation des « dingues de la gâchette » et des « shootings » dans des écoles, des cinémas ou plus largement des espaces publics, la tragédie d’Orlando reste à ce jour l’une des tueries par arme à feu les plus massives qu’ait connu la société américaine (hors guerre de sécession et ce genre de choses). A l’aspect meurtrier s’ajoute, en plus, l’indignité de certaines réactions qui trouvaient cela « bien fait » pour les victimes. Une grande partie de l’industrie des comics se mobilise, à travers Love is Love, pour une cause humaine et solidaire.
Scénario : collectif
Dessins : collectif
Parution aux USA le mercredi 28 décembre 2016
Le monde des comics n’aime pas le concept d’injustice. Par la parabole (les super-héros, les polars ou tous les genres que la BD américaine peut aborder), les auteurs dénoncent de manière régulière, continue, les injustices faîtes aux faibles. Qui que soient ces faibles. C’est LE message qu’on peut retirer de comics comme les X-Men. Malheureusement, il y a des circonstances où la parabole peut paraître elle-même faible, confrontée à la réalité, ou plus exactement à la sidération qu’entraine cette réalité. La parabole est faible, mais pas impuissante : C’est une horde de scénaristes, d’artistes, de coloristes qui, à travers Love Is Love œuvrent pour une bonne cause, venir en aide de ceux qui ont été touchés par ce massacre, à ces familles dans le besoin parce qu’elles ont perdu un fils ou un parent. Indés ou mainstream, les noms sont variés, trop simplement trop nombreux pour qu’on les liste ici. Mais c’est un véritable « all-stars » (ou presque, on y reviendra) qui fait ici sa catharsis. Avec cependant les limites imposées par l’exercice et le format. Ceux qui ont lu les numéros spéciaux Heroes, 9/11 et One Moment Of Silence quelques semaines après le 11 septembre 2011 comprendront de quoi il s’agit. On est dans l’émotion, dans le « plus jamais ça » mais aussi dans des longueurs de récits (souvent une seule page) qui ne permettent pas forcément à tout le monde de détailler son propos. Certaines histoires en ressortent très naïves alors que d’autres (par exemple Joe Kelly et Victor Santos), dans une même longueur, font mouche directement. Encore qu’on puisse soupçonner ce cocktail de fonctionner différemment non seulement selon les pages, les histoires, mais aussi le lectorat. Telle histoire vous parlera plus ou moins si elle évoque un personnage semblable à une connaissance, par exemple. Sur une bonne cause, il n’a pas spécialement de raison de discuter la qualité (sauf s’il y avait foutage de gueule manifeste ou opportunisme, ce qui n’est le cas présentement). Pour autant, à certains endroits, on retrouve un peu le même syndrome que sur l’Amazing Spider-Man post 9/11 de JMS et Romita Jr., avec des personnages qui seraient objectivement comparables à des tyrans, comme Fatalis, écrasant une larme dans les ruines des tours. Là, par exemple, il y a le tueur à gages Deathstroke apprenant que les 49 morts d’Orlando ont été tués par balle et qui décide… de se séparer de ses armes à feu et désormais de ne plus utiliser que les arts martiaux pour faire son travail. Ce qui est doublement naïf (on voit mal le personnage, un tueur de sang-froid, cheminer dans ce sens) mais aussi limité car, le mois prochain, dans sa série régulière, Deathstroke sera sans doute revenu à ses armes habituelles, invalidant tout le sens de la démarche. C’est passager, c’est même minoritaire dans le volume, mais ça montre les limites, l’endroit où, peut-être, à vouloir bien faire, certains partent un peu loin et se déconnectent du réel. Il n’en reste pas moins que c’est globalement un espace de créativité, avec des narrations et des styles visuels très différents. Et dans un volume qui revendique la différence, ça fait sens.
« Love is an act of protest. Love is not a slogan. »
Ce qui est dommage, c’est que tout le monde n’est pas à la fête. IDW publie l’ouvrage, avec le soutien de DC (ce qui permet d’ailleurs à une ribambelle de personnages comme Wonder Woman, Batwoman, Batman, Apollo ou Midnighter d’évoluer dans ces pages). Aftershock ou Archie sont aussi au rendez-vous. Ce qui est dommage c’est que Marvel ne se soit pas associé à la chose. Précisons: avant que certain(e)s partent en mode « Marvel est homophobe », soulignons que pleins d’épisodes récents (par exemple l’histoire de D-Man dans un récent Captain America: Saw Wilson) démontrent qu’il n’en est rien. Mais c’est dommage que l’éditeur ne se soit pas reconnu dans ce projet, ce qui fait d’ailleurs qu’on note l’absence de certains auteurs qui sont exclusifs chez lui. Je ne dis pas qu’absence de ce volume équivaut avec une mauvaise considération de la cause représentée. Par exemple il y a une page avec Harry Potter (dessiné par Jim Lee) et trois lignes de J. K. Rowling et si l’on se basait sur ce passage, on aurait l’impression que Rowling s’en moquait un peu et a fait le strict minimum, alors que par ailleurs son implication sur ces questions n’est plus à prouver. Mais, enfin, cela aurait eu de la gueule de voir l’union sacrée entre tous les éditeurs, comme en 2001. Et pourquoi pas Northstar ou Iceman avec un personnage DC ? Ecrit par Bendis et dessiné par Jim Lee ? Ou écrit par Didio et dessiné par Quesada ? Au final il y a ceux qui, forcément, à l’énoncé même de ce projet, auront décidé de le ranger dans la case du « politiquement correct ». Mais ce n’est pas trop la question. Le fait que les comics sont une littérature dont les héros prennent la défense de ceux dans le besoin. Et qu’en définifive l’achat de ce présent volume permet d’aider des gens. Au passage vous trouvez un épais sampler qui ne contient pas tout le monde, c’est vrai, mais qui reste un témoignage d’une partie des auteurs les plus novateurs du moment. Si bien que ne reste plus qu’à l’acheteur potentiel de se poser à son tour la question de savoir s’il veut, lui aussi, aller contre une injustice. Et s’il a compris quelque chose au message de ces personnages qu’il lit depuis des lustres. On peut critiquer telle ou telle page de Love Is Love, qui manque un peu de recul, c’est vrai. Mais l’exemple montre que ces héros de papier peuvent, une fois de plus, s’impliquer dans la vie réelle, se positionnant comme les héritiers du Captain America qui cassait la figure à Hitler.
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