Review : Les Éternels
2 novembre 2021 Non Par Pierre BissonSi Marvel Studios a déjà réussi à conquérir le grand public avec des personnages obscurs de leur catalogue, comme les Gardiens de la Galaxie ou, plus récemment, Shang-Chi, ils auront fort à faire avec un groupe si disparate que sont les Éternels. Une plongée intéressante mais un peu longue dans l’univers de Jack Kirby…
Une fois n’est pas coutume, Les Éternels débute avec un pré-générique à la Star Wars qui explique les origines de l’univers avec des concepts quasi-inconnus comme les déviants, les éternels et les célestes. S’en suit une scène d’action efficace qui permet d’introduire les divers membres des Éternels. On y découvre Ikaris (Richard Madden), une sorte de Superman peu émotif, Sprite (Lia McHugh), un être immortel piégée dans un corps d’enfant, Kingo (Kumail Nanjani) légèrement égocentrique, Thena (Angelina Jolie) une guerrière redoutable, Circé (Gemma Chan) capable de modifier les éléments, Phastos (Brian Tyree Henry) pouvant inventer toute sorte d’objets, Gilgamesh (Ma Dong-Seok) à la force inégalée, Makkari (Lauren Ridloff) le bolide de l’équipe et enfin Druig (Barry Keoghan) au pouvoir de contrôler la volonté des autres par la simple pensée. Tout ce petit monde est dirigé par Ajak (Salma Hayek), dévouée au Céleste Arishem. Venus pour défendre les humains face aux cruels Déviants, les Éternels vont traverser les époques pour mener à bien leur mission. Après des siècles de repos, le retour des Déviants les force à se réunir. Mais est-ce que tout le monde sera prêt à abandonner sa vie paisible pour reprendre le combat ?
TRAVAIL D’ÉQUIPE
Ce qui frappe quand on voit toutes les images promotionnelles des Éternels, c’est le nombre impressionnants de personnages à découvrir. Peu de têtes d’affiche. Richard Madden a joué le fils Stark dans quelques saisons de Game of Thrones avant ses noces pourpres et a brillé dans la série TV anglaise Bodyguard mais n’a pas encore réussi à imprimer son visage dans l’esprit du grand public. Seules Salma Hayek et Angelina Jolie sont les plus reconnaissables de ce casting. Même Kit Arrington (inoubliable Jon Snow de GoT) n’est pas assez présent dans le film pour faire parti de la campagne d’affichage. C’est un donc un gros pari que prend Marvel Studios avec tous ces « petits nouveaux ». Ils l’ont déjà fait par le passé, me direz-vous. Qui aurait misé sur Chris Pratt ou Dave Bautista des Gardiens de la Galaxie il y presque 10 ans ? Et maintenant, ils sont dans toutes les grosses productions Hollywoodiennes. Les acteurs sont tous au top dans Éternels. Et c’est tant mieux. Au cours des 2h37 de film, ils ont tous le temps de briller plus d’une fois. Mention spéciale à Brian Tyree Henry et Kumail Nanjani qu’on a hâte de revoir dans le MCU. Si Salma Hayek est sous-employée (pour ne pas dire pire), Angelina Jolie crève l’écran à nouveau. Que ce soit dans les scènes d’action ou dans sa manière de transmettre le caractère si spéciale de Thena. Malgré tout, on aura parfois du mal à se souvenir de qui est qui (plusieurs noms introduits si rapidement). Si Avengers : Endgame voyait la quasi totalité du MCU se réunir, on connaissait la plupart d’entre eux depuis des années et on n’était pas perdus face à tout ce monde à l’écran. Ici, on aurait besoin d’un peu plus de temps pour pleinement apprécié ces nouveaux héros.
PLUS C’EST LONG…
Les Éternels s’avèrent être l’un des plus longs films Marvel. Très long pour un film d’origine, d’ailleurs. C’est là tout le paradoxe. Beaucoup de personnages, donc besoin de beaucoup de temps d’exposition. La réalisatrice, Chloé Zhao, oscarisée pour Nomadland en 2020, prend le temps de se focaliser sur certains personnages, notamment Circé et Ikaris, les protagonistes principaux du long-métrage. Mais comme dans tout bon film Marvel Studios, il faut de l’action pour pimenter le tout et ne pas endormir le spectateur. Enfin, c’est ce qu’on pourrait croire car passer le énième affrontement (schéma classique de découpage en trois actes avec un moment d’action chacun), on en vient à se demander quand tout cela se terminera. Dommage car la réalisatrice a su adapter sa vision au contraintes du MCU. Plus de scènes en décors réalistes, moments touchant et intimes entre les personnages, de légères touches d’humour qui ne tombe pas à plat… C’est la conclusion qui pêche par bien des aspects. Tout d’abord, un affrontement final entre héros et vilain(s) bien trop confus et avec un deus ex-machina trop facile. Le tout dans une multitude d’effets spéciaux qui viennent gâcher tous les efforts déployées par la réalisatrice dans les deux heures précédentes. Enfin, une conclusion dirons-nous… déroutante ! Marvel joue entre avec les spectateurs et propose deux scènes post-génériques, d’ailleurs intéressantes pour la suite. Mais les dix dernières minutes pré-générique donnent l’impression de voir une maxi-scène post générique. On pourrait presque faire une comparaison avec Avengers : Infinity War ou encore Dune (2021) mais pour ces derniers, on s’y attendait, tant le récit était dense. Vous me direz, avec un message comme « Eternals will be back », on se doute que les personnages seront au coeur du MCU, mais fallait-il pour autant conclure ce premier film ainsi ?
KIRBY IS HERE
Les « Eternals » ont été créés par l’un des père de Marvel Comics : Jack Kirby. Cet artiste au trait si caractéristique a inspiré de nombreux concepts créés par les designers du MCU. Mais Les Éternels restent celui que les fans attendaient au tournant. Et ils ne seront pas déçus. L’empreinte du maître est là, que ce soit dans les décors, les costumes, les créatures extraterrestres… Dans le scénario également, on retrouve la mythologie inventée par Kirby. OK, certaines libertés sont prises pour plus de diversité (et refléter le multiculturalisme actuel) mais rien qui ne vienne entacher l’oeuvre d’origine. Les Éternels ont d’ailleurs depuis connu plusieurs sagas dans les comics, que ce soit sous la plume de Neil Gaiman ou encore des frères Knauf. Des éléments sont d’ailleurs empruntés à ces sagas, avec de légers twists pour égarer les fans les plus aguerris.
Les Éternels – Réalisé par Chloé Zhao, avec Richard Madden, Angelina Jolie, Gemma Chan, Kumail Nanjani, Lia McHugh, Brian Tyree Henry, Lauren Ridloff, Ma Dong-Seok, Barry Keoghan et Salma Hayek – En sallesle 3 novembre 2021 – Marvel Studios
[Pierre Bisson]À propos de l’auteur
Pierre Bisson en plus d'être l'un des rédacteurs du site comicbox.com est aussi traducteur, lettreur et maquettiste.
2 commentaires
Les commentaires sont fermés.
pas de critique de Venom 2
« Or is this burning an eternal flame… »
D’abord, jurisprudence Marvel : des super-héros représentant la Diversité ? C’est la base même de Marvel Comics, pour se distinguer de DC Comics et ses héros bien plus conservateurs et neutres.
Handicaps dans l’apparence monstrueuse et colorée, boiteux (en civil), allure ringarde, cardiaque, mutilé des mains, aveugle, exilé de son époque – et les mutants sont à eux seuls un festival. Et oui, ça faisait du succès, beaucoup de gens s’y retrouvaient.
Alors, une petite communauté immémorielle représentant l’Humanité, ça n’a rien de si calculé, c’est on ne peut plus naturel.
Jurisprudence Jack Kirby aussi : déjà qu’il n’y a pas besoin qu’une « divinité » doive ressembler physiquement à ceux qui la vénérent… Voilà un auteur (en phase avec les écrits de Arthur C. Clark et la Contre-Culture) qui se permet d’habiller des Asgardiens façon techno arc-en-ciel, et d’y ajouter un guerrier mongol pour le plaisir (Hogun)…
Qui ressuscite ces mêmes Asgardiens mais en leur donnant une apparence d’Ancien Testament (le Haut Père), du Golem de la culture juive (Darkseid), de jeunes Hippies (Forever People) de méchants envahisseurs de l’Est etc…
Et ainsi créé des Éternels majoritairement pseudo dieux grecs… Mais aussi latins, sumériens, aztèques, orientaux, tous pourtant de la même famille.
Voilà, il en faisait ce qu’il voulait, tant que ça servait son histoire habituelle d’immortels marchant sur Terre, déclamant leurs réflexions sans fin sur le Pouvoir et les humains.
Des déclamations théâtrales, typiques d’une époque ou d’écrits trop littéraires, moins de circonstance pour un film, se racontant par l’image et l’action.
Les films Marvel justement. Soyons plus original pour décrire ça :
Un grand échiquier, où chaque pièce a ses types de valeur, de forme, de détails (si on regarde de plus près). Quand l’une fait un mouvement, certaines des autres aussi et ainsi de suite… Tant qu’elles restent sur le plateau.
Le mouvement du jour se fait avec une pièce dont on avait entraperçu que quelques bribes au détour d’une poignée de films.
Mais utiliser les éléments de cette histoire s’étant réinventée dans divers opus comics – le jugement des Célestes, leurs plans autour des Déviants, ceux de Titan, l’Émergence, le Grand Esprit collectif, la « Graine » qui doit croître… – ce n’est pas si suffisant. Il faut aussi un angle cinématographique familier, et surtout pas trop Intello tant ça peut annihiler l’énergie.
Et cela peut se résumer ici à une énorme histoire d’Amour.
Chaque personnage Aime l’Humanité, et aussi les autres Éternels.
On y a un amoureux qui est autocentré et flamboyant – Kingo – un qui est un gardien valeureux et pudique – Gilgamesh – un qui est cynique et sévère – Druig – un qui est cérébral et progressiste – Phastos…
Et surtout un qui est un tragique surhomme – Ikaris – cristalisant toute la douleur des archétypes super-héroiques. Un énième exemple de complexe de Superman, DC étant beaucoup cité.
On y a une amoureuse sage et pragmatique – Ajak – une qui est sarcastique mais désespérée – Sprite – une qui est énergique mais maladivement fragile – Thena – une qui est insaisissable, y compris dans ses points de vue personnels – Makkari…
Et surtout une qui devient une guide empathique – Sersi – représentant tout l’Espoir dont on peut rêver pour l’avenir du monde. Une sorte de double de la réalisatrice, se projetant à travers cette héroïne.
Dans une Saga épique SF sur plusieures époques, tenant dans un seul long-métrage pour une fois – on peut d’ailleurs choisir de préférer une définition inverse, c’est à dire une grande Saga épique SF reposant sur une histoire d’Amour.
Mais tout cela s’inscrivant dans l’identité marvelienne « éternelle », avec toujours des protagonistes assez étrangers à la société, un petit peu demi-dieux, défiant des ordres établis viciés, pris entre leurs égos et leurs missions, entre les sacrifices et le libre-arbitre.
La continuité dans la réflexion générale, avec qui veut y participer à son tour car il y a toujours un auteur particulier venant s’ajouter au jeu (voir même s’approprier une franchise dans certains cas), ça a constamment été avec l’inclusion de visions personnelles. Donc, ici aucune réelle révolution qui serait trop prétentieuse.
Les Inertiels.
Alors ce projet est aussi l’occasion pour mettre l’accent sur d’autres détails, moins mis en avant dans les précédents films, même si de toute façon on ne peut y échapper à une rythmique guidée par l’Action et la Légèreté. C’est ça le Super-Héroisme.
C’était d’ailleurs déjà le cas pour les très particuliers « Avengers Endgame », « Black Widow » et « Shang-Chi », qui interrogeaient les héros sur leur place dans le Monde.
On aurait pu avoir aussi ça dans un nouvel épisode avec les Asgardiens… ou bien avec les Mutants, dont les Éternels donnent l’impression de prendre la place naturelle – d’où une possible hostilité à leur encontre.
Avec une douzaine de nouveaux personnages d’un coup, dont certains font un peu figure de bonus – Dane Withman y passe de reflet du spectateur qu’on affranchit, à futur héros d’un autre opus – il est bien sûr plus compliqué d’appréhender une évolution qui doit se passer des têtes d’affiches les plus connues et rassurantes.
Encore plus quand le rythme du film mélange aussi bien l’efficacité mécanique et confortable, que les accès de petites audaces (dans ce contexte) et autres partis pris singuliers tels que des enchaînements abrupts, car rattrapés par une narration bi-linéaire à base de flashbacks complémentaires. Ou bien le fait de ne pas permettre au groupe de rester uni jusqu’au bout, quitte à en laisser sortir quelques uns sans autre forme de procès.
Chloé Zhao, autrice maintenant réputée, se retrouve alors mise trop vite dans le même panier que les auteurs dits sérieux. Donc qui « devrait » avoir elle aussi une imagerie uniforme, banissant un trop plein de couleurs et de légèreté et autres formatages… Ce qui équivaut à se soumettre à un autre type de formatage, évidemment.
Alors qu’elle a beau savoir faire des films naturalistes, présentés comme sobres, composés et peu fantaisistes, cela ne l’empêche pas d’aimer et comprendre Aussi ce type de récits portés par l’Action et la Comédie, elle qui fut d’ailleurs une grande lectrice de mangas.
Qu’est-ce qui devrait intimer l’esprit de Sérieux à contaminer absolument tout l’enthousiasme ?
Rien, il n’y a pas de règles pour ça… Par contre, juste le sérieux de l’exécution, sa sincérité et générosité.
Avec toujours ce mélange entre homogénéité et hétérogénéité, l’un enchâssé dans l’autre. Fier de cette hybridation, de toute manière le résultat reste fait pour le grand écran :
On a de la bonne action (la lisibilité se fait progressive, la faute à quelques séquences nocturnes faites pour être à peine effrayantes), des comédiens qui pètent de classe et de charisme, de sacrées bêtes monstrueuses, des Titans gigantesques impressionnants, de la musique superbe… Sans que toutes les idées du film ne se cognent les unes aux autres, liées grâce à un terreau commun.
Et bien sûr des limites dès que, dans cette hybridation, il faut être tolérant envers la réutilisation d’éléments scénaristiques, empêchant le tout d’être totalement autocontenu. Quitte à mener à une triple conclusion à suspense, en guise d’introduction à des épisodes improbables.
Mais ils sont là, ils ont déjà existés pendant plus de deux heures et demie (et des milliers d’années). Et ils l’ont bien fait.
Eternal sunshine of the spotless mind.