Depuis vendredi dernier Netflix diffuse The Old Guard, film adapté du comic-book de Greg Rucka et Leandro Fernandez, avec Charlize Theron en figure de proue. Un joli projet à la base, avec plusieurs acteurs bien choisis… mais un long métrage qui tire en longueur et en cliché puisque très mal servi par la réalisation.
The Old Guard adapte l’archétype du guerrier immortel en en donnant une version paramilitaire. La BD de Greg Rucka et Leandro Fernandez (disponible en VF chez Glénat) fait preuve de caractère dans son exécution et, ne le cachons pas, c’est ce qui fait défaut à cette adaptation filmée, malgré le fait qu’une bonne partie du casting est solide. Charlize Theron (dans le rôle d’Andy, l’immortelle lassée de sa propre immortalité) ou Kiki Layne (la petite nouvelle dans le clan) semblent sorties directement du comic-book (même si, à la réflexion, Theron incarnerait sans doute mieux l’héroïne de Lazarus, autre BD de Rucka). Mais passées les têtes d’affiches, il faut dire qu’on communie assez vite l’état d’esprit d’Andy et qu’on s’ennuie à notre tour mortellement. Deux raisons à cela : Premièrement, autant The Old Guard, en comic-book, a du caractère et de la spontanéité, autant ici cela ressemble à des dizaines de choses déjà vues à l’écran. Tout au plus ces immortels qui s’accrochent à leurs haches et à leurs épées pourraient passer pour un simple reboot d’Highlander. Non, pardon, de Raven, « L’Immortelle », le spin-off de la série TV d’Highlander pour ceux qui s’en souviennent. Franchement, la discussion des immortels au coin du feu, qui se lamentent d’avoir survécu à leurs proches, il ne manque plus guère qu’une reprise de « Who want to live forever » de Queen pour que la chose soit encore plus criante. Mais surtout la réalisation ne donne pas le minimum vital pour donner de la personnalité à l’ensemble. Une fois qu’on a fait le rapprochement entre Andy et Raven, il est difficile de se sortir la chose de la tête, malgré tout ce que Charlize Theron peut tenter d’apporter. Ce n’est tout simplement pas elle la responsable du marasme de l’adaptation.
Quand on passe d’un média à un autre, il y a des choses qui pouvaient être originales sur un support qui ne le sont plus sous la nouvelle forme. Au début des années 90, par exemple, des œuvres comme Sin City ou 300 de Frank Miller pouvaient secouer les choses dans les comics, dominés par les super-héros, en proposant un autre exercice de genre. Mais il était impossible de simplement pousser Sin City ou 300 à l’écran sans de poser des questions de forme, sachant qu’au cinéma les super-héros restaient l’exception et qu’on connaissait une horde de films « noirs » ou de péplums. On aime ou pas les partis pris de Snyder et Rodriguez, mais ils ont permis de singulariser les films concernés, d’échapper à des prises de vues banales. En l’occurrence The Old Guard aurait pu échapper à ce sentiment « d’Highlander cheap » avec une prise de position visuelle forte. Or, la réalisatrice Gina Prince-Bythewood se contente de poser la caméra et tout au plus, par moment, de céder au cliché de la « Shaky Cam », autrement dit de la caméra tremblante qui a fait les beaux jours de 24 mais qui là tombe totalement à plat puisque parfois c’est utilisé dans de simples scènes de dialogues « au calme ». Scénaristiquement l’histoire fait le job (d’autant que Rucka s’est chargé lui-même du « screenplay ») et on à la fois des scènes d’action ou des passages qui dans l’idée fonctionnement bien (comme le pilote d’avion « mort »). Mais la caméra est trimballée sans esprit, sans volonté, sans accent. Gina Prince-Bythewood a réalisé le premier épisode de Marvel’s Cloak & Dagger en posant la caméra exactement de la même manière. Et ça fonctionnait bien parce que les choses étaient traitées par « ellipse » et que les deux principaux personnages étaient dans une désorientation totale (ce qui fait que la Shaky Cam se comprenait). Ici, elle n’a pas musclé son approche. Et la sensation de cliché se renforce à mesure qu’on s’enfonce dans le film, en particulier quand arrive l’inexorable méchante corporation qui pourchasse les immortels pour leur voler leur pouvoir. Sentiment d’autant plus renforcé que les méchants (Harry Melling et Anamaria Marinca) nous jouent ça pour le coup sans trop y croire (ah, la méchante doctoresse qui s’apprête à faire une piqure !) et donc sans risquer de convaincre.
Le vrai problème de The Old Guard, le film, ce n’est pas tant le cliché que le fait de nous « vendre » les choses sans sentiment (et donc sans nous permettre d’oublier le cliché). Toutes les émotions viennent du dialogue, que Rucka a posé là, que les acteurs utilisent autant qu’ils le peuvent. Dès que les choses doivent passer par le non-dit, par l’image, il n’y a plus personne. Et là pour le coup on aimerait que The Old Guard s’approche d’une autre production Netflix : Sense8. Pas pour l’imiter (il n’y aurait pas de sens de reprocher au film de Gina Prince-Bythewood de ne pas s’émanciper d’Highlander pour lui demander de copier un autre programme). Qu’on aime ou pas la série Sense8 de Lana Wachowski et Lilly Wachowski, écrite par J. Michael Straczynski, c’était aussi un cliché d’êtres « spéciaux », pourchassés à travers le monde par une méchante corporation et qui devaient s’unir pour leur résister. Sur « le papier », c’était aussi original que de la muzak d’ascenseur. Mais les réalisatrices transcendaient les poncifs en faisant qu’on s’attachait aux personnages, qu’on avait envie de les suivre dans tout ce qui les rapprochait et les différenciait. Là, malgré une partie des acteurs qui n’auraient pas demandé mieux, le lien des personnages est absent. L’ambiance marche encore un peu dans les moments qui ont peu de cachet (le désert, l’avion, l’église abandonné…) mais sombre carrément quand on arrive dans le laboratoire. Même la promesse tacite d’une suite est servie comme un buffet froid, tellement on l’avait venu venir une bonne heure auparavant. Une suite ? Avec l’histoire de Rucka et avec les mêmes acteurs principaux, pourquoi pas. Mais il faudrait trouver d’urgence quelqu’un à la réalisation pour donner du caractère à tout ça. Là, Charlize Theron tient le truc à bout de bras. Si vous aimiez Highlander et ne craignez pas la redite, The Old Guard est pour vous. Pour les autres on recommandera plutôt la lecture du comic-book, où les auteurs ont les coudées franches pour singulariser leur récit.
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