Depuis quelques semaines Robert Kirkman patronne sur la chaine AMC (celle qui diffuse Walking Dead aux USA) une série de documentaires intitulée « l’Histoire Secrète des Comics ». Si, en fait de « secret », l’épisode de cette semaine revenait sur un événement de nos jours bien connus des fans de comics, la création de Superman, le récit des démêlés de ses créateurs avec DC Comics est une évocation vivante et émouvante. Presque un biopic pour évoquer une injustice majeure au pays des super-héros.
Mercredi dernier sortait Doomsday Clock #1 aux Etats-Unis. De quoi alimenter les discussions parmi les fans de comics. Ah, le sacrilège… Voici donc que DC Comics franchit le Rubicon et revient s’emparer des personnages des Watchmen pour en faire ce que bon leur semble, au nez et à la barbe de leurs créateurs originaux, Alan Moore et Dave Gibbons. L’affaire a alimenté articles et forums. Au point qu’on puisse s’étonner, finalement, qu’elle en éclipse une autre. Sans doute parce qu’on s’y est habitué et que la majeure partie des lectrices et lecteurs actuels n’étaient pas nés au moment d’un autre « sacrilège », plus ancien. Car normalement, en feuilletant les pages de Doomsday Clock, nous ne devrions pas voir la seule appropriation des Watchmen, nous ne devrions pas nous demander « seulement » si DC a le droit le moral de les mélanger dans le même monde que Superman… Mais nous interroger aussi sur la présence de Superman en lui-même. La cicatrice est plus ancienne, il vrai. Mais elle n’en demeure pas moins réelle. Les fans de longue date, en effet, se souviennent avoir entendu l’histoire de Siegel & Shuster, abandonnant les droits de Superman pour une poignée de dollars alors qu’ils en méconnaissaient l’importance et qui ont passé, ensuite, des décennies à tenter de récupérer leur personnage, avec un succès limité. Non pas qu’il faille opposer les démêlés de Moore et Gibbons à ceux des pères de Superman, mesurer qui a le plus perdu. Mais l’histoire humaine qui se cache derrière le S de Superman est terrible. Et mérite de ne pas être oubliée.
Le scénariste Robert Kirkman a depuis longtemps tourné le dos aux « majors » que sont Marvel et DC Comics. Même s’il continue d’écrire (encore pour quelques mois) les aventures d’Invincible, on peut dire, aussi, qu’il s’est globalement éloigné des récits de super-héros. Aussi c’est au premier abord avec un peu de surprise que l’on peut le voir superviser une « histoire des comics » qui, dès le générique, fait clairement allusion aux seuls super-héros « iconiques » et pas à d’autres genres (par exemple le Fantastique) qui seraient plus en phase avec sa production personnelle. Après un épisode consacré à Stan Lee puis un autre à Wonder Woman, Robert Kirkman’s Secret History Of Comics pointe cependant le doigt là où ça fait mal en s’intéressant à la création du grand-père de la majeure partie des super-héros, Superman lui-même. Ce ne sont pas forcément les guests prestigieux tels que Kevin Smith ou Neal Adams qui donnent du poids à l’émission mais bien un effort de reconstitution, avec des comédiens à l’appui, pour nous montrer comment les geeks adolescents Jerome Siegel et Joseph Shuster ont créé leur Superman… avant de s’en faire déposséder. Au détour de ces reconstitutions, Siegel et Shuster reprennent vie. Leur enthousiasme puis leur frustration et enfin leur misère sont palpables. Et c’est en cela que ce programme en devient émouvant.
L’histoire est connue. On peut la trouver au détour des magazines spécialisés ou dans les livres biographiques. Après avoir tenté de « placer » Superman pendant des années, Siegel et Shuster furent trop heureux de sauter sur le chèque de 130$ que leur tendait le futur DC Comics pour s’assurer des droits du surhomme et ne jamais les relâcher. Les fans de comics le savent bien que les deux auteurs puis leurs familles se sont ensuite battus pendant des années contre l’éditeur pour négocier un deal plus équitable. Mais lire noir sur blanc certaines anecdotes et les voir reconstituées sont deux choses différentes. En cela, la série d’AMC est terrible quand elle nous montre comment, après avoir osé « réclamer » les deux auteurs furent blacklistés et réduits à voir Superman écrit par d’autres. Terrible, l’humiliation pour Siegel de ne retrouver du travail chez DC que des années plus tard, l’éditeur lui imposant l’anonymat et en profitant pour lui dérober encore quelques idées de plus. Terrible, aussi, la scène, où Shuster, ruiné, en vient à dormir sur un lit de camp chez son frère. Devenu livreur de colis, le destin fait que sa tournée le mène… jusque dans les bureaux de DC Comics pour remettre des plis. On le reconnaît, on s’étonne de le voir livreur… et on lui fait l’aumône d’un peu d’argent pour s’acheter un manteau, qu’il ne peut se payer. Voilà toute la misère humaine qui se cache derrière Superman et ses auteurs. On peut avoir lu la description de la scène au détour d’une bio, l’avoir enregistré intellectuellement, mais la voir prendre vie est déchirant. Les créateurs de Superman, réduits à ça…
En une quarantaine de minutes, Secret History Of Comics est obligé de faire des choix et de passer par des résumés d’un ordre presque symbolique. Ainsi, Harry Donefeld, l’un des patrons décidant de « signer » pour Superman est d’emblée affublé d’un gros cigare qui tient de l’ordre du cliché du banquier/profiteur. Quand bien même Donefeld a fumé le cigare, son portrait est forcé au point que quelqu’un qui ignorerait l’issue de l’histoire la devinerait rien qu’en le voyant apparaître à l’écran. Le portrait est plus nuancé pour une autre tête de DC, Jack Liebowitz, responsable au moins par association mais représenté avec un semblant de conscience envers Shuster. C’est à peu près le seul personnage de DC qui est montré en train de lui tendre la main, quand bien même de manière insuffisante. Pour ce qui est des raccourcis, le documentaire oppose un peu facilement les « argentiers » et les « créatifs ». On en arrive certes à un moment très intéressant où le jeune Neal Adams prend la défense des deux pionniers et vers le début d’un semblant de reconnaissance, au moment du premier film Superman (avec le moment empathique où Siegel et Shuster découvrent, enfin, leur nom au générique). Rien en sera dit sur les auteurs qui, pendant des décennies, se sont contentés de faire du Superman sans se préoccuper des auteurs. Certaines théories semblent aussi avancées de manière factuelle, comme le fait que Shuster ait fini dans le dessin porno comme un moyen de se venger de DC Comics, en caricaturant Superman. Qu’il y ait été réduit pour manger, d’accord, mais l’intention, alors que peu de gens reconnaissaient les styles et que les revues SM en question restaient confidentielles, cela reste assez flou. Mais dans le même temps le documentaire semble prendre moins de libertés que le récent biopic Professor Marston And The Wonder Women.
L’épisode s’arrête essentiellement après qu’un premier accord, lié au film, ait assuré à Siegel et Shuster une retraite de 20.000 $ par an à vie (ce qui peut paraître beaucoup à certains mais reste peu au regard des sommes générées par le personnage). La bataille légale qui a perduré encore quelques décennies est réduite à un carton final, par manque de place et de temps. Mais on peut comprendre qu’au final Secret History Of Comics ne s’intéresse pas véritablement au plan financier mais à l’humain, à l’histoire de deux types humiliés trop longtemps qui, un jour, ont au moins eu le droit de s’asseoir dans un cinéma et de voir leur nom en grandes lettres. Secret History Of Comics ne réinvente pas la roue. L’idée n’est pas de révéler des « squelettes dans le placard » que l’on ignorerait à ce jour. Mais là où l’on reconnaît l’angle de Kirkman, figure de proue d’Image Comics, c’est de faire ressentir l’idée que derrière ces grands héros classiques il y a des auteurs, généralement floué (le véritable exploit là-dedans aura été de convaincre DC et la Warner de prêter des images pour un propos qui ne les montre pas forcément sous un jour flatteur, quand bien même les événements remontent à des décennies). Clairement ce programme met du sentiment là où, par la force de l’habitude, certains verraient une note de bas de page de l’histoire des comics. Sans Siegel et Shuster, pas de Superman, c’est certain. Mais sans leur succès, pas d’imitateurs pour leur emboiter le pas. Comme c’est dit dans le documentaire, sans Siegel et Shuster, pas de Batman, pas de Marvel non plus. Intellectuellement, on le sait. Émotionnellement, cela reste tout simplement déchirant de voir Shuster sur son lit de camp. A méditer lors de la lecture des prochains Doomsday Clock. Car si la question des Watchmen vaut d’être posée, elle n’est clairement pas la seule ! Voici la trahison, la douleur, sur laquelle nos lectures hebdomadaires ou mensuelles ont été construites.
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