Une petite fille perdue dans les rues de New York, accompagnée de son petit rat Yam, semble capable d’orienter les malheureux qui se présentent à elle. Spawn, interpelé par une émanation maléfique, croisera bientôt le chemin de la gamine. Ensemble, ils prendront la direction d’une lueur divine, le Horsaak El, sorte de phare céleste érigé en plein milieu de la cité. Sans leur intervention rapide, cette entité continuera de drainer toutes les âmes sans discrimination, qu’elles soient Justes ou Damnées, vers un terrible Enfer divin…
Parvenir à piéger le costaud Spawn en seulement quelques pages n’est pas une chose aisée. On parle en effet d’un personnage à présent réellement ancré dans le paysage de la popculture américaine, et riche d’une continuité de plus de 200 épisodes directs – nonobstant les innombrables publications plus ou moins associées. Réussir à le tourmenter, et rendre ses souffrances crédibles, alors même que le personnage fonde depuis vingt ans son existence sur un rôle d’écorché vif revenu des Enfers, est sans doute plus difficile encore. Partant de là, et avec la contrainte du format, il est évident que la mission d’Arthur Clare n’était pas simple. Pourtant, force est de constater qu’il y a matière à creuser dans ces « Architectes de la peur ». Si l’intrigue principale avance probablement trop rapidement, Clare parvient à créer une ambiance générale suffisamment brumeuse et inquiétante pour que le lecteur pardonne l’empressement de la narration.
Il y a d’abord la ville, et ce vaste plan d’ouverture sur une Grosse Pomme largement pourrie de l’intérieur. Une délicieuse virée dans les bas-fonds comme Spawn peut en proposer dans ces nuits d’errance. Ensuite, le personnage d’Ethan, figure à la fois juvénile et envoûtante, parvient à saisir chacun de ses interlocuteurs en leur promettant un échange qu’ils ne sauront pas refuser. Le brouillard, les couteaux et les premières lueurs mystiques finiront de réveiller l’intrigue. Ce colosse maudit, ce pourvoyeur d’asticots de Spawn croisera alors lui aussi la route de la petite, avant de découvrir le poids des apparences et de conclure, une fois de plus, un marché plus déséquilibré qu’escompté. Pas de bol.
En invoquant le mythe de Horsaak El et en faisant finement référence aux écritures apocryphes, Arthur Clare (pseudonyme de Jean-François Porcherot) nous propose un récit intelligent, immédiatement crédible et intégrable à la très ésotérique continuité d’Al Simmons. L’auteur, épaulé aussi par Todd MacFarlane, se permet en outre de rapprocher notre Hellspawn préféré de son frère idéaliste Marc, c’est habile. Enfin, que dire de cette phrase, prononcée dans les dernières planches de l’ouvrage par le héraut repenti de Malebolgia : « J’ai déjà botté le cul d’Urizen », sinon qu’elle vient à point nommé pour nous rappeler que Spawn n’est pas que contemplation et miséricorde. Le bourre-pif, ça le connaît aussi. Et parfois, c’est vrai que ça fait du bien… Bref, Clare mélange avec maîtrise et contribution personnelle les grandes lignes de force du personnage, pour un one-shot qui, en définitive, résiste aux tentations trop faciles, puisqu’aucun personnage iconique du grand barnum de la série principale n’est utilisé ici.
Entre peinture classique et modernité torturée, le jeune illustrateur participe très activement à la qualité AAA de ce tome. Clairement, l’ouverture du volume arrache un « wow effect » comme peu d’autres. Plus sombre, plus mélancolique, plus costaud aussi dans sa mise couleur que sur le premier « French Spawn », Aleksi compte à présent parmi les grands noms de l’illustration française. Et puisque le garçon est un touche-à-tout, les amateurs de jeux vidéo devraient bientôt pouvoir retrouver son épatant univers dans un projet SF baptisé « Adrift » (http://www.dont-nod.com/category/projets/adrift-fr/).
« Spawn, Les Architectes de la peur », par Arthur Clare, Todd MacFarlane (scénario), Aleksi Briclot (dessin), Delcourt, novembre 2011, 64 p.
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