Trade Paper Box #12 – Alan Moore WildC.A.T.s
12 septembre 2010[FRENCH] C’est sans doute l’auteur le plus rentable de l’industrie du comic-book. Paradoxalement, c’est aussi l’artiste le plus unanimement distingué par la critique bédéphile. Plus que jamais célébré, promu au statut d’argument commercial pour chacune des adaptations ciné de ses créations, Alan Moore est devenu une icône, une personnalité capable d’arbitrer tranquillement entre d’une part sa farouche volonté d’indépendance et de contrôle, et d’autre part, une aisance étonnante lorsqu’il s’agit de revisiter, de redynamiser des personnages d’éditeurs mainstream en perte de vitesse – sinon en situation d’errance.
En 1995, avant de fonder le label America’s Best Comics (1999), le scénariste britannique avait apporté sa contribution au background des jeunes X-Men de la côte ouest, les très classieux – mais aussi très maigrichons – WildC.A.T.s de Jim Lee et Brandon Choi (Image Comics). Par la suite, et dans la même logique, d’autres séries de Rob Liefeld, « Supreme », « Youngblood », ou « Glory » auront également droit à une nouvelle vie plus riche en ressorts narratifs.
Trop vite, trop haut
Officiellement créée en août 1992, l’équipe des chats sauvages offrait un pendant plus que séduisant aux mutants de Marvel, quittés justement quelques mois auparavant par un Jim Lee superstar. De la sublime télépathe Voodoo, à la très séduisante guerrière Coda, Zealote, en passant par les vagues d’énergies balancées par Spartan, sans oublier bien sûr les griffes en métal liquide de Warblade… ces personnages ont rapidement acquis la même popularité que leur papa-dessinateur, bénéficiant même très précocement de multiples produits dérivés, jouets, jeux vidéo et série animée (que Canal + diffusa en France).
La raison d’être de ces héros : la guerre millénaire que les Kherubims – dont ils descendent – doivent livrer aux Daemonites, une race tout aussi extraterrestre mais franchement moins bien dégrossie (voir du côté des Brood de Marvel, ou de l’Alien d’HR Giger). Pour le reste, après une vingtaine de numéros, la série n’avait pas grand-chose d’autre à proposer. C’est dans ce contexte qu’Alan Moore s’est vu proposer la reprise en main de la série, avec toute latitude pour alourdir les bagages de jeunes prodiges trop lisses, en perte de lecteurs depuis le départ de Jim Lee (sept. 1994), et incapables en l’état d’attirer de nouveaux fans.
Trouver du sens, quand la guerre est finie
Après la démission du bad-guy de la bande, Grifter, les WildC.A.T.s ont décidé de quitter la Terre et entrepris un retour aux sources. Ces épisodes démarrent avec leur arrivée sur le « Monde des Origines » kherubim, la planète Khera. Alors que les immédiates apparences pourraient laisser croire à un paradis retrouvé, chacun des personnages va devoir se rendre à l’évidence. Si ici la guerre contre les Daemonites est désormais terminée, les raisons de déchanter seront nombreuses, et renverront ces Terriens à une déception aussi profonde que l’enthousiasme qui les avait poussés si loin dans l’espace.
Sur notre planète, la relève doit s’organiser. Les croyant morts, et pour entretenir leur légende, Mr. Majestic et Savant décident de créer une deuxième équipe qui se consacrera, elle, beaucoup plus à une guerre contre le crime organisé. Des profils assez imprévisibles, Condition Red – frère de Grifter, Tao et Ladytron, sont alors recrutés, et dès les premières missions, le jeune groupe fait montre d’une grande instabilité…
Chronique d’un immense potentiel
En ce qui concerne les WildC.A.T.s, l’excellent character-design de Jim Lee n’est pas une nouveauté et les archétypes utilisés pour définir à grands traits la psyché des personnages restent tout aussi pertinents. En revanche, l’apport incontestable d’Alan Moore réside dans l’ensemble de ces scènes intimistes au cours desquelles sont développés les attentes, les espoirs, l’amertume parfois, de héros jusqu’alors uniquement envisagés sous l’angle du Kiss-Kiss Bang-Bang.
S’il est vrai qu’en leur temps, ces épisodes n’ont sans doute pas été perçus à leur juste valeur, ce constat s’explique sans doute par une trop grande hétérogénéité dans la direction artistique. Une grosse dizaine de dessinateurs se partagent quand même ces quinze épisodes ! Travis Charest, révélation de la série (vol. 1), était déjà passé maître dans la mise en scène d’univers sci-fi, et nous offrait un aperçu alléchant de ses futurs WildCATS Vol. 2 – eux aussi trop éphémères. Après, qu’il s’agisse de Scott Clark (« Alpha Flight », actuellement cover artist pour DC), Kevin Maguire (« Doom Patrol », « Justice League »), Ryan Benjamin (« Batman Beyond ») ou Dave Johnson (« 100 Bullets »), la qualité de leur copie, sans être médiocre, ne saurait atteindre le niveau de leurs productions les plus récentes. Pour autant, la présence constante du « lien Charest » assure une lecture plus qu’agréable de l’ensemble.
Khera et l’Image-dom, ou la fin des utopies…
Depuis son orbite, de même qu’en souvenirs, la planète natale des Kherubims était resplendissante. Maul et ses comparses imaginaient y trouver le cadre d’une émancipation, d’un retour à soi, et faire du passé table rase. Quelle erreur manifeste ! Quelle arrogance, et finalement quelle ironie ! Alan Moore ramènera bien vite les séduisants boy-scouts à la grise réalité.
Difficile de ne pas voir dans cette aventure une mise en abîme des propres limites qui s’imposaient dès 1995 à la jeune maison d’édition Image Comics. Si l’atmosphère était probablement au foisonnement d’idées, le manque de structure était tout aussi patent. Le revers de la jeunesse, c’est peut-être une forme d’inconsistance. Sur 350 pages, Alan Moore semble donc beaucoup s’amuser avec ce cahier (presque) blanc ouvert par Lee, Choi, Chris Claremont et James Robinson.
Les superstars fondatrices d’Image avaient créé un magnifique jardin d’enfants. Leurs personnages avaient de l’allure, impossible de ne pas le reconnaître. Mais à peine trois ans après ce lancement retentissant, chaque teenager pouvait s’apercevoir qu’une fois passé le jeu qui consistait à reconnaître les emprunts aux deux grandes maisons « d’en face », les créateurs originaux n’avaient pas été en mesure de nourrir – voire de dépasser – leurs premiers concepts. Avec la direction initiée par Alan Moore, les WildC.A.T.s cessaient de n’être que des pin-ups, des prétextes à splash-pages. C’est là probablement le mérite premier de ces épisodes, quelque peu décousus en termes de qualité artistique, mais truculents dans leur construction et leurs dialogues. Soutenu par un bon travail éditorial de Panini Comics, et au-delà du divertissement, ce story-arc trouve aujourd’hui une résonance inédite pour qui souhaite comprendre l’histoire plus large d’Image Comics.
[Nicolas Lambret]« Alan Moore WildC.A.T.s – Monde des Origines / Guerre des Gangs », par Alan Moore (scénario), Travis Charest, Kevin Maguire, Ryan Benjamin, Dave Johnson, Kevin Nowlan, Scott Clark, Aron Wiesenfeld, Jim Lee, Mat Broome, Pat Lee, Rob Stotz (dessin), Panini Comics, Coll. Wildstorm Anthologie, sept. 2009 et août 2010, 150 et 200 p.
Sur cette série, Alan Moore a commis la même erreur que d’autres scénaristes sur les autres séries IMAGE (Cyberforce, Ascension…).
Toutes ces séries étant basé sur l’opposition avec un seul ennemi bien défini (là où les groupes Marvel et DC en ont toujours eu plusieurs) et une fois cet ennemi vaincu, le combat des héros (et leur raison même d’exister) n’a plus de sens…
Ca se discute. Chez Marvel ou DC les personnages ont eu plusieurs adversaires parce qu’ils ont vécu 300 épisodes de suite. Et en un sens pour certaines séries, il y a quand même en général un adversaire principal (Loki pour Thor par exemple). Et les Micronauts ont connu un certain malaise une fois le Baron Karza détruit. Je ne pense pas que ce soit une « erreur » propre à Image ou à Moore.
Propre à Moore non mais propre à certaines anciennes séries IMAGE, à mon avis un peu…
Wildcats (volume 1) a vivoté après le départ de Moore, avec la mise en place d’un nouveau groupe et d’une nouvelle menace (tout imbriqué dans une histoire de voyage temporel assez indigeste), pour se terminer quelques numéros plus tard.
Cyberforce est devenu plus mystique (étrange direction quand même pour une série basée sur des héros technologiques!) après la fin de cyberdata, et s’est également terminé quelques numéros plus tard.
Ascension, a également vivoté quelques numéros après la fin de la menace principale, pour se terminer tout de suite après.
Et bien dans certains des cas que vous évoquez je pense (mais après c’est une question d’avis) que c’est plutôt l’inverse, un peu comme dans les séries américaines en perte de vitesse, quand ca sent la fin et qu’on tue un personnage pour rameuter le public. Je pense que sur des Cyberforce ou Ascension ou d’autres, c’est la baisse d’intérêt qui fait que les auteurs se décident à sacrifier un pion en espérant lancer une quête différente. Pour WildCATS je pense qu’on parle d’un syndrome différent. Alan Moore s’en va. Point. Et on peut dès lors comprendre que ce simple facteur fait disparaître des lecteurs qui n’étaient venus que pour lui. Après… après justement la série s’est muté en quelque chose d’autre et précisément la difficulté pour des soldats millénaires à survivre à une guerre qui était terminée. Cela a donné le Wildcats 2.0 (abimé par le départ de Charest, qui a un peu torpillé les espérances du titre) puis justement Wildcats 3.0 qui avaient pour ligne directrice « qu’est ce qu’on fait quand l’ennemi est mort ».
Alan Moore reste le meilleur auteur de BD au monde de par les thèmes qu’il aborde, son storytelling etc… Et il faut bien avouer que même si les Wildcats sont une équipe vachement typée 90’s, Moore leur donne une certaine intemporalité. Et puis il y a TAO…