Trade Paper Box #24 – Jenny Finn
5 décembre 2010[FRENCH] Ah la tendre l’Entente cordiale ! De toute évidence, certains antécédents historiques nous poussent, nous autres Français, à apprécier avec une délectation évidente les histoires brumeuses de l’Angleterre victorienne. A l’image de notre étrange fascination pour les mystères d’Oscar Wilde et Conan Doyle, dans la continuité du cas « Jack the Ripper », le TPB d’aujourd’hui est un bel exemple de cette irrésistible attraction qu’exerce sur nous la jeune société industrielle britannique du XIXe siècle. Qu’elle soit conforme à la réalité historique ou pas, cette Angleterre particulièrement malsaine offre un cadre narratif extraordinaire, avec pour dénominateur commun un dénuement très proche des romans de Dickens, et des ruelles sombres et aussi tristement grouillantes que celles du « Sweeney Todd » de Tim Burton.
Enfin, dans le cas présent, il n’est question ni de cafards ni de limaces sortant de tartes déconfites, mais bien plus de tentacules de poulpes et autres yeux de poissons frais bourgeonnant sur les corps des badauds… Publié initialement par Oni Press avant de basculer chez Boom !, ce voyage à Londres fut proposé dès 1999 par Mike Mignola, illustrateur et narrateur de premier rang, et qui a fait rêver bien de lecteurs de comics avec notamment son « Gotham by Gaslight » (Batman) et les fantastiques aventures de « Hellboy ». En France, nous devons la publication de cette excellente BD à des éditions Emmanuel Proust particulièrement inspirées sur ce choix.
Des poissonniers et des péchés…
Une série de meurtres inexpliqués rythme depuis plusieurs semaines le quotidien des londoniens. Jeune fille des bas-fonds, l’énigmatique Jenny Finn est rapidement désignée par la foule comme la responsable de ces disparitions… Dans un élan assez difficilement explicable, un ouvrier des abattoirs, Joe, va tenter de s’opposer à cette vindicte… Ses bonnes intentions seront-elles suffisantes empêcher la meute et pour comprendre la vraie nature de Jenny ?
Un portrait de trois-quarts
Dès la première planche et l’arrivée au port des marins pêcheurs, l’univers très occulte de Mike Mignola est immédiatement reconnaissable. Sans complètement s’abandonner au registre du macabre, l’auteur de « The Amazing Screw-On Head » sait distiller l’épouvante « soft », à travers un récit qui fait la part belle aux inspirations mythologiques sinon bibliques. Si le qualificatif de « steampunk » est de nos jours largement surexploité, il reste néanmoins celui qui colle le plus à cette histoire de fillette inquiétante.
De son côté, Troy Nixey (réalisateur de « Don’t Be Afraid of the Dark » écrit par Guillermo Del Toro, 2011) parvient à nous faire oublier l’absence de Mignola au dessin, ce qui relève déjà de la prouesse. Son encrage sublime et aérien donne vie à cette foule sans pitié, à ces cadavres ressuscités, à cette bonne société en attente du messie. Au-delà du cadre urbain qui peut rassembler ces deux auteurs, on retrouve aussi chez Nixey des accents de Will Eisner, en particulier dans les « trognes » qu’il donne à ses personnages. Quel dommage en revanche que le quatrième chapitre du volume n’ait pu être réalisé par cet artiste ! Non pas que Farel Dalrymple, son suppléant, soit « médiocre », certainement pas, mais le charme supplémentaire qu’ont les trois premiers épisodes s’en trouve tout même quelque peu altéré. Ceci étant, trois quarts d’un chef d’œuvre, ça fait tout de même une excellente BD…
Jenny, don’t be hasty !
Nonobstant la très légère perte de finesse occasionnée par un changement de dessinateur tardif, cette aventure fantastique en quatre épisodes ne peut qu’être chaudement recommandée à tous les amateurs d’univers faits de chimères aperçues en haute mer, Léviathan, Kraken ou Cthulhu. Rien dans cette histoire n’est rationnel, qu’il s’agisse du comportement des petites gens ou celui des notables, et la petite Jenny conserve jusqu’à la fin une large part de son mystère. Sans doute les BD nées de l’esprit de Mike Mignola doivent-elles être acceptées telles quelles sont, avec leur part importante d’inexpliqué, mais aussi leur immense capacité à faire naitre chez le lecteur urbain du XXIe siècle l’envie de « mouiller l’ancre », pour reprendre l’expression de Joseph Conrad. Saluons enfin le travail éditorial d’EPE qui propose au terme de cet ouvrage un sketchbook de Troy Nixey particulièrement abouti. Parmi tous ces portraits, on notera d’ailleurs un clin d’œil discret au célèbre agent du « BPRD »…
[Nicolas Lambret]« Jenny Finn », par Mike Mignola (scénario), Troy Nixey et Farel Dalrymple (dessin), Emmanuel Proust Editions, Coll. Atmosphères, novembre 2009, 105 p.
« steampunk »? Y a-t-il des machines surréalistes et des inventions farfelues? Plutôt « victorien durant la 1ère Révolution Industrielle. ». Et aussi « lovecraftien » avec ces tentacules et créatures poissoneuses.