Trade Paper Box # 35: The Unwritten T1
6 mars 2011[FRENCH] Lancée en 2009 au sein du label Vertigo, la série « The Unwritten » s’attache, avec énormément d’ambition, à renouer avec un patrimoine littéraire imaginaire négligé. Un monde de romans, de nouvelles et autres sources écrites qui ont fait ou inspiré les légendes modernes que nous aimons retrouver sous forme de comic-books. Autant de liens étranges entre réalité et fiction, autant de transcendances et compensations du « vrai ». En s’inscrivant dans cette véritable démarche d’auteur, Mike Carey (« Hellblazer ») avait su faire naître l’impatience chez ses lecteurs. C’est donc avec fébrilité et enthousiasme que nous accueillons aujourd’hui la parution de ce premier tome en VF chez Panini. Sous-titré « Tommy Taylor et l’Identité Factice », ce volume rend notamment hommage au personnage de Christopher, jeune ami de Winnie l’Ourson, et enfant malheureux de l’auteur Alan A. Milne.
Avada kedavra
Tom Taylor est le fils du célèbre écrivain Wilson Taylor, auteur d’une saga magique à succès en 13 tomes. Mais Tommy Taylor, c’est aussi le nom du personnage principal de ces romans, personnage que le fiston a directement inspiré à son père. Maintenant que l’auteur, Wilson Taylor, a mystérieusement disparu, il revient à Tom d’assumer l’héritage littéraire en suspens. Des millions de fans l’idolâtrent pour cela… jusqu’au jour où il est révélé que Tom n’est peut-être pas le fils présenté depuis toutes ces années… Fiction et réalité semblent alors progressivement se rejoindre, laissant Tom impuissant face à ses ennemis de papier. Quels secrets Wilson a-t-il emportés avec lui ?
« This territory goes uncharted »
Aussi énigmatique que l’étrange carte du monde appartenant à Wilson Taylor, il est difficile de situer cette création de Mike Carey sur l’échelle de Richter de la bande dessinée. Coup de vent ou onde sismique ? Quelque 200 pages après une superbe et prometteuse préface de Bill Willingham (« Elementals », « Fables »), on doit bien concéder que la portée du récit n’est pas encore complètement identifiée. Le style de Peter Gross (« Lucifer », « Chosen » avec Mark Millar), étonne défavorablement et certains passages (le quatrième épisode en particulier) rivalisent d’inesthétisme. Entre des couleurs trop fades et le manque de détails de bien des planches, il est difficile de ne pas regretter le peu de soin dont ont bénéficié ces 200 pages… à l’exception de couvertures sensibles et travaillées signées Yuko Shimizu (http://www.yukoart.com/) ; à l’exception aussi de la vingtaine de pages du dernier épisode, réalisée par un Gross franchement bon, car bien plus précis et méticuleux que sur ses pages précédentes.
Entre une ambiance « Club des Cinq » et des réflexions sur les bienfaits des romans dans la vie des mortels, on oscille entre une réalisation généralement fade et une volonté bien comprise d’ouvrir une épopée plus intéressante et profonde que le seul tome tenu par nos mains dépitées. Quel dommage notamment que le personnage central de cette série soit immédiatement et volontairement associé à Harry Potter… Il est souvent tentant de lâcher prise sur la narration, alors que tout dans le concept de base nous engagerait à rester dans le manège. Faute de personnages vraiment attachants – en dehors du tardif Locke –, on n’est pas réellement emporté par cette première orientation de l’histoire.
Un…forgiven ?
Au terme de notre lecture, « The Unwritten » nous laisse sur une impression étrange et, il faut le dire, assez défavorable. Aussi, il est évident que cette aventure ne fait que commencer et par conséquent, il serait imprudent de juger définitivement l’œuvre de Mike Carey. Mais, à l’inverse, certaines critiques dithyrambiques utilisées notamment en quatrième de couverture étonnent tout de même… Car pour l’heure, c’est encore entre les lignes qu’il se passe le plus de choses. On comprend effectivement que l’auteur de « Faker » veut nous emmener vers une quête poétique symbolisée par la « boussole » de Tom Taylor. Parfait, il parvient à nous vendre l’idée, mais… en l’état, seule la dimension référentielle du récit (Mary Shelley, Conan Doyle…) nous engage à rester indulgent quant à la suite des événements.
Pour l’heure, sur la base de ces cinq premiers épisodes, il semble donc trop tôt pour trancher complètement. Du reste, déjà, l’épilogue de ce volume, consacré à Rudyard Kipling, apporte une épaisseur supplémentaire, une réelle intelligence même, au récit central de Mike Carey. On comprend mieux qu’une vaste et secrète entreprise tente d’accaparer les grands auteurs de ce monde. Tout est ici question de mots et de la force qu’ils contiennent, de leur capacité à façonner le destin des individus, certes, mais aussi des peuples. Le dessin de Peter Gross y apparaît d’ailleurs plus appliqué. Reste à espérer que l’aventure décolle réellement et parvienne, chemin faisant, à se défaire du sparadrap Harry Potter, omniprésent dans ces premiers chapitres. Mais il est certains que les fans du gentil sorcier à lunettes seront sans doute moins impatients que nous de voir Tom Taylor prendre son envol… En attendant, c’est derrière les portes du pénitencier que le jeune homme démarrera le deuxième tome de cette fable. Pourquoi pas, après tout ?
[Nicolas Lambret]« The Unwritten, entre les lignes T.1 », par Mike Carey (scenario) et Peter Gross (dessin), Panini Comics, Coll. 100% Vertigo, février 2011, 200 p.