L’album de cette semaine fait partie des grandes aventures qui redéfinissent un personnage, qui s’imposent comme un jalon important dans sa longue histoire. « Au nom d’Asgard », c’est son titre, est donc une mini-série en 6 épisodes, scénarisée par Robert Rodi (« Loki », « Rogue », « Codename: Knockout ») et illustrée – mieux, transcendée – par le génial Simone Bianchi. Aussi bon narrateur qu’il n’excelle dans le « cover art », Bianchi a déjà démontré son talent dans « Batman », « Dark Avengers » ou « Astonising X-Men ». Avec ce très récent « For Asgard », il entre encore dans une dimension supérieure : le jeune homme plane à présent mille lieues au dessus de Midgard.
Tout commence par une campagne militaire de trop. Les troupes conduites par le jeune régent Thor rentrent d’une bataille en Jotunheim qui aura fait bien des victimes et qui aura tenu le « roi » éloigné de ses sujets durant de trop longues semaines. L’empire des neuf mondes semble sur le point de basculer, d’éclater. Dans l’ombre, quelqu’un est probablement en train de souffler sur les braises. A tel point qu’une rébellion se déclare bientôt officiellement au cœur d’Asgard, et le fabuleux Bifrost de devenir cible des insurgés. C’en est trop pour un souverain en proie au doute, et désormais incapable de soulever le marteau qui a construit sa légende…
Bien sombre est cette aventure plongée dans un hiver interminable. Asgard tire clairement la langue. Les greniers se vident, la rudesse du climat anéantissant les perspectives de récolte. Depuis le départ d’Odin, la désunion se nourrit d’une cruelle absence d’espoir. Tourmenté par ses nouvelles responsabilités de régent, Thor le brave semble comme déconnecté des intrigues qui se jouent pourtant autour de lui. On prend plaisir à le suivre dans ses introspections, à le voir demander amèrement la grâce de Valhalla, puis à le voir sombrer vers les tréfonds de Niflheim. Régulièrement peu psychologue dans les pages des « Vengeurs », on apprécie de redécouvrir la personnalité profonde du fils prodigue mal à l’aise, incapable d’assumer le poids d’un empire comme pouvait l’espérer son père. Et plus largement, pour sa photo de « famille », Robert Rodi dote ses différents protagonistes de caractères bien affirmés, qu’il s’agisse de la plantureuse Sif, de Tyr ou de l’incertain Undar.
Le scénariste tout comme Simone Bianchi parviennent à faire la synthèse des nombreuses approches possibles pour le personnage de Thor. Le dieu du Tonnerre et son univers sont ici aussi crédibles que s’ils avaient été pensés par Robert E. Howard. Stratosphérisé par un dessin aux influences très européennes, ce Thor possède donc une stature, une gueule et des poings. C’est une première chose. Mais Bianchi parvient également à y intégrer la dimension allégorique et fantaisiste propre à la maison Marvel. Les mots sont pesés et leur portée bien mesurée : en d’autres temps, ce garçon né en Toscane aurait peint de merveilleux tableaux classiques dignes de l’école florentine.
Thor, la « création » de Stan Lee et Jack Kirby, attire de nouveau. Dans la foulée immédiate d’Iron Man, il est indéniablement le grand gagnant des récentes adaptations de comic-books. Et pourrait-on dire, tant que des auteurs de cette trempe auront envie de se pencher sur son sort, le fils d’Odin ne pourra pas retomber dans le folklore kitsch qui a parfois pu plomber son parcours marvellien. Alors qu’un improbable été indien règne sur ce début octobre, cette BD vous fera passer un excellent moment dans les neiges d’Yggdrasil. La recommander est donc une évidence.
[Nicolas Lambret]« Thor. Au nom d’Asgard », par Robert Rodi (scénario) et Simone Bianchi (dessin), Editions Panini, Coll. 100% Marvel, septembre 2011, 144 p.
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