Trade Paper Box #59: Millar & McNiven’s Nemesis

[FRENCH] Il y a du Steven Soderbergh dans le travail de Mark Millar : cette capacité à injecter du « réel » dans des thématiques, des scénarios et des univers déjà largement arpentés par d’autres, à ancrer une histoire dans une perspective personnelle et vraisemblable à laquelle personne n’avait pensé. Les comic-books de Mark Millar (2000AD, The Authority, Ultimate X-Men, The Ultimates, Wanted, Civil War…) ont tous ceci en commun qu’ils parviennent à rendre une fragilité, des failles psychologiques, des affects à des personnages complètement déconnectés, voire stratosphérisés, lorsqu’ils sont écrits par d’autres. En ce sens, le scénariste écossais apparaît comme un pur produit du très psychologisant Marvel way, auquel serait associé le supplément de cynisme bien caractéristique de notre époque. Quitte à paraître cru, grossier ou provocateur.

Lorsque la désormais célèbre accroche du « What if Batman was the Joker? » fut publiée pour la première fois, fin 2009, le monde de la BD savait que Mark Millar allait envoyer du lourd, en retournant complètement l’un des principaux mythes du comic-book, cristallisé évidemment par le Dark Knight. Et si un milliardaire décidait, un jour, de se lancer dans une vaste entreprise visant au chaos le plus total ? Et si cet homme, aux moyens infinis, choisissait délibérément de devenir le plus grand super-criminel de tous les temps ?

Après avoir explosé le public comme la critique avec le fantastique Kick-Ass vol. 1, Mark Millar revenait donc en mai 2010 avec cette mini-série mystérieuse, baptisée Nemesis, pour 4 épisodes rondement menés – illustrés, qui plus est, par le très précis Steve Mc Niven, ex-young gun de Marvel élevé au statut de cador depuis Civil War. Maintenant, derrière l’effet d’annonce de ce blockbuster proclamé, reste à savoir si la claque promise est au rendez-vous…

Why so serious ?

L’empoisonnement du réservoir d’Ogochi, l’attaque au gaz sur le stade du Tokyo Dome, le vol du légendaire sabre de Kusanagi… Tout commence par une série d’attaques terroristes menées sur le territoire japonais. Sans hésiter, derrière un sourire de défiance, une terrible silhouette masquée et vêtue de blanc exécute froidement le chef de la police locale et provoque le déraillement d’un train. Alors que ses comptes avec l’archipel nippon semblent à présent réglés, l’individu annonce la couleur : direction Washington, pour un autre rendez-vous endiablé avec les autorités policières…

Calibré pour Hollywood… façon javel

Toute cette belle pétaudière s’engage de la meilleure des manières. Alors que les crimes se font plus violents et explosifs à chaque page, Mark Millar semble nous démontrer très tôt qu’il nous tient par le double sentiment de curiosité et de connivence. Le plaisir sadique du Nemesis se ressent à chaque révérence, à chaque sourire en coin, grâce à l’élégance des crayonnés de Steve McNiven. Côté emprunts, outre une esthétique très largement inspirée du Batman de Chris Nolan, on retrouve aussi la relation vice/vertu qui unit le vertueux Gordon de circonstances (nommé Blake Morrow) et la sinistre crapule tortionnaire.

Pourtant, très vite, se dégage un fumet de standardisé, de prévisible. Ici, la standardisation tient à M. Millar lui-même, qui jette en l’air une excellente idée de départ, carrément novatrice, la triture gentiment quelque 100 pages durant, et puis la clôt avec propreté. Sans bavure. Mais, clairement, ça transpire et ça perturbe moins qu’on aurait pu le penser lorsque l’auteur en évoquait la genèse dans ses premières interviews.

Toujours en recherche de la provocation « qui tue » intelligemment, le scénariste donne le ton très fort dans les premières pages, avant – malheureusement – de rentrer dans le rang. De l’hémoglobine, certes, il y en a à foison, tout comme des scènes de crime très crues, maintenant, sur le fond du discours, ça reprend beaucoup de ressorts scénaristiques déjà creusés – sinon rincés – sur grand écran. Ainsi, tout en prenant plaisir à lire cette aventure cadrée en cinémascope, et rythmée comme du McG, on ressent l’essoufflement d’une histoire qui aurait dû être grandiose, mais qui reste trop esquissée. Pour sa prochaine adaptation au cinéma (Tony Scott à la barre), cette trame peut toutefois être suffisante, à condition de renforcer la description de la tension psychologique régnant dans les rangs de la police.

Un gros pitch et puis s’en va ?

Bien moins dérangeante qu’escompté, peut-être même finalement un peu lisse, cette mini-série reste malgré tout intéressante. D’abord parce qu’en dépit des bémols déjà évoqués, elle se maintient dans le panier haut de la production, en terme de dialogues, de rythme et d’illustration. Ensuite, parce que les dernières pages du volume permettent à l’auteur de piquer son lecteur par une dernière pirouette, qui sans révolutionner le genre, termine habilement l’expédition punitive. A la décharge de Mark Millar, il est possible aussi qu’on devienne trop exigeant avec cet auteur qui est déjà parvenu à marquer la bande-dessinée à de multiples reprises. Mais, à clamer trop fortement la puissance d’un pitch, le risque de décevoir est nécessairement plus grand… Pas le genre de considération à effrayer Mark Millar, et c’est tant mieux, car la prise de risque doit toujours être valorisée. Comme le disent si bien les Kaiser Chiefs, « never miss a beat » ! Suivant l’adage des jeunes natifs de Leeds, l’Ecossais ne manque pas une occasion de lancer un pavé dans la marre, pour notre satisfaction.

[Nicolas Lambret]

« Millar & McNiven’s Nemesis », par Mark Millar (scénario) et Steve McNiven (dessin), Panini Comics, septembre 2011, 100 p.

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