Trade Paper Box #60: Astonishing X-Men Xénogenèse
11 décembre 2011[FRENCH] Enorme licence, énormes comic-books, énormes personnages que ces X-Men en tête des ventes et adulés des lecteurs jusqu’au début des années 2000. A l’inverse de personnages comme les Vengeurs, Iron Man, Spider-Man ou même… Wolverine (sic), il restera probablement de la dernière décennie l’image d’une période faite de « Décimation », de « Complexe du Messie », bref de troubles pour une (des) série(s) probablement trop diluée(s). Alors, à défaut de retrouver durablement des X-Men aussi flamboyants que par le passé, il est bon d’apprécier les petites pépites qui jalonnent la longue et peu lisible continuité de ces temps-ci. Et il est clair comme de l’eau de roche que cette « Xénogenèse » (2010), de par son excentricité et sa générosité (à tous points de vue…), compte parmi les belles productions de ces dernières années. En attendant de découvrir les conséquences du « Schisme », cet aparté au bord du Lac Victoria s’appréciera d’autant plus facilement qu’il résume les récentes évolutions au sein du monde mutant.
L’espoir renaît
Sur les conseils de T’Challa, les X-Men mettent le cap sur le Mbangawi, modeste royaume (fictif) est-africain situé entre le Kenya et la Tanzanie. Depuis plusieurs semaines, des naissances hors-normes y ont en effet eu lieu, inquiétant les observateurs de Mutants Sans Frontières : « On dit qu’un bébé a incinéré ce qui tient lieu d’hôpital à Karere. On parle de bébés sans os doués de parole. De bébés littéralement difficiles à voir, qui vibrent et sont partiellement immatériels. De bébés qui flottent comme des ballons. De bébés qui vomissent de l’acide. » Alors qu’à l’exception de Hope Summers, aucun mutant ne s’est plus révélé depuis les évènements du « M-Day », l’apparition d’autant de jeunes enfants aux pouvoirs et apparences surnaturels semble bien difficile à expliquer en un si petit territoire… Expérimentations ? Mutations précoces ? Autant de phénomènes convergents qui, quoi qu’il en soit, ne sauraient être le fruit des coïncidences. Cyclope, Storm, Wolverine, Armor, Hank McCoy et Emma frost ne tarderont pas à découvrir la véritable menace qui plane au-dessus du Mbangawi, un danger bien étranger au continent africain…
Faites chauffer le Blackbird !
Malgré les crises à répétition, phénomène qui a pu déconcerter les lecteurs depuis plus de dix ans, les X-Men ont su conserver l’essentiel, à savoir leur capacité à s’intégrer dans un monde contemporain crédible. De Genosha à San Francisco, les récents événements ont permis de poursuivre cet enracinement dans le concret, ce substrat névrotique de nos bonnes vieilles sociétés humaines. Alors, vous pensez bien qu’un passage par le continent africain n’est pas une nouveauté pour une équipe qui compte notamment la reine de Wakanda en ses rangs, déesse née par ailleurs au Serengeti, une province du Kenya.
Ce contexte africain est très habilement mis à profit par Warren Ellis, qui entremêle ainsi, durant 5 épisodes, enjeux politiques et question mutante. Les quelques diatribes contre l’exercice du pouvoir parmi les chefs d’Etats continentaux sont assez frontales, mais pas dénuées de sens. L’équilibre et la nuance du récit étant garantis par le personnage de Joshua N’Dingi, ancien agent des renseignements paranormaux britanniques, médecin de profession et chef d’Etat par conviction. L’amertume de ce personnage, dont les choix radicaux sont rejetés par les intervenants américains, se trouve résumée en ces quelques phrases : « Bien ! Vous avez gagné, brillants mutants ! Tuez-nous, emprisonnez-nous, emmenez ces bébés dans votre pays de lumière et maudissez les primitifs que nous sommes. Je déposerai peut-être une plainte au Nations Unies, juste pour m’amuser. Nous savons bien quelle oreille attentive on prête aux nations africaines. ». Dans un vocabulaire relativement minimaliste, Wolverine joue, pour sa part, le rôle du professeur d’histoire et permet à Warren Ellis de faire passer ses interprétations quant aux gouvernances africaines. On remarquera également l’implication de Mutants sans Frontières, organisation fictive créée il y a quelques années par Warren Worthington et Paige Guthrie. Dans ce récit, elles peinent à compenser la faiblesse de populations démunies.
Côté personnages, on appréciera la grande sensibilité du Fauve, dans un registre assez habituel de chercheur marginal et mélancolique. En revanche, et nonobstant ses courbes ici complètement hallucinantes, Emma Frost peine à capter l’attention du lecteur par son intelligence et surjoue dans un registre de pimbêche qui lui colle à la peau depuis trop longtemps. Enervante au possible et tellement vaine, elle « décolle » enfin à quelques pages de la conclusion, dans un sursaut de compassion de son auteur. Cyclope, lui, survole cette aventure en leader surprotecteur de « son » espèce : « Je vois une pièce pleine de bébés mutants, et j’ai envie d’ériger un mur autour du village. C’est mon instinct. ». Mais plutôt que de radicales intentions, on eût apprécié plus d’implication dans la mêlée qui achève l’ouvrage… Une partie musclée assurée, pour l’essentiel, par Logan et Hank, une fois de plus.
Si le scénario Warren Ellis – classique mais viril – remplit allègrement sa mission, il est vrai aussi que la satisfaction globale se nourrit de la belle copie fournie par Kaare Andrews, dans un style volontiers caricatural certes, mais aussi très puissant et sexy. Les hommes ont des statures de Michael Phelps, les femmes les formes de Christina Hendricks… et Storm avec sa coupe « iroquoise », c’est tellement d’émotion ! Bref, on se régale, et les paysages africains, de la savane aux villages en passant par quelques bouts de forêts, sont représentés avec soin.
Une dernière louche d’Astonishing
Fraîche comme nos soirées automnales, illuminée par son cadre africain, cette aventure d’une grosse centaine de pages sera dévorée d’une traite. Au-delà des X-Men d’ailleurs et surtout, un album qui aime à rappeler que l’Afrique n’est pas un pays, mais bien un continent, ne peut pas faire de mal. Spécialement lorsqu’il est aussi entrainant, mais ça, c’est pour la patte « Astonishing ». Enfin, pour terminer, un indice quant l’identité du nemesis : les amateurs du Captain Britain d’Alan Moore seront servis !
[Nicolas Lambret]« Astonishing X-Men Xénogenèse », par Warren Ellis (scénario) et Kaare Andrews (dessin), Panini Comics, Coll. 100% Marvel, octobre 2011, 120 p.