Trade Paper Box #63: Liberty Meadows T.1
29 janvier 2012[FRENCH] Amis de l’art séquentiel, cette semaine nous « quittons l’autoroute » − pour reprendre la célèbre formule d’un chanteur hexagonal −, pour le plaisir simple d’une escapade au cœur des forêts du Maryland. Direction « Liberty Meadows » et son célèbre refuge pour animaux imaginé par Frank Cho dès 1995. A l’occasion de la réédition du premier volume chez Canto Editions, arrêtons-nous donc sur cette œuvre aussi touchante qu’épurée, dotée d’un humour poli et astucieux. Des strips courts, de 4 cases chacun, illustrés par un auteur dont l’élégance était déjà éclatante dès es premières productions. Est-il utile de préciser que « Liberty Meadows » s’inscrit dans le prolongement directe d’une œuvre de jeunesse, baptisée « University2 » et créée par Frank Cho pour la gazette de son campus. Et c’est précisément cette créativité post-adolescente que l’on aime retrouver tout au long de ces 72 premières pages. Rappelons aussi que ces épisodes avaient déjà été publiés il y a dix ans par Vents d’Ouest, sous le nom de « Psycho Park », dans une version francophone assez controversée. Désormais adaptée au plus près de son esprit original, il est plus que jamais temps de découvrir le Frank Cho des débuts, avant « Shanna » ou les « New Ultimates ».
Gimme shelter
Bienvenue dans le refuge le plus barré de toute la BD-sphère !
Sanctuaire pour les animaux ayant perdu leur habitat naturel, Liberty Meadows est surtout le cadre parfait pour les pitreries de Ralph, l’ours nain de cirque, Leslie la grenouille hypochondriaque, Dean le cochon galopeur et amateur d’armes à feu, ou encore Truman le caneton un chouia simplet. Encadrée par une équipe de professionnels – Julius, Frank et la sublime Brandy – cette petite ménagerie vit des jours paisibles dans la bonne humeur et la poilade. De temps à autre, Khan le poisson-chat géant leur joue quelques tours pendables dans le lac, mais tout ceci reste bien jovial. Bref, partagez quelques unes de ces tranches de vie pleines de détachement et savourez la quiétude d’un univers sans faux-semblants…
Des traits courbes, des vrais…
Organisé en une succession de saynètes, animé par une ambiance de cartoon, « Liberty Meadows » est bon-enfant, élégant et peut se prévaloir d’un certain esprit old-school bien revigorant en ce début d’année 2012. Le charme de la belle Brandy, psy animalier, et la maladresse de Frank, le nouveau vétérinaire, font immédiatement mouche sur le lecteur. La relation entre les deux est aussi déséquilibrée qu’intéressante : d’un côté le jeune homme timide, archétype du « nerd » façon Anthony Edwards, de l’autre la fantasmatique pin-up aux courbes de Bettie Page, pourtant simple à aborder et dénuée de vanité. A force de ne pas entreprendre quoi que ce soit, Brandy en vient parfois même à penser que c’est de son côté que les choses clochent : « Oh non. Je dois avoir quelque chose de coincé entre les dents. », s’imagine-t-elle lors d’un rendez-vous qui tourne court.
Autre point fort, l’humour, omniprésent, permet de passer quelques messages sur le sort fait aux animaux (marée noire, maltraitance). Sans lourdeur excessive, juste en passant, comme ça… Car la ménagerie est douée de parole. Pour le pire ! Ainsi, lorsque Dean commande une bière au troquet du coin, l’échange avec le serveur est assez tordant : « Hé Al. T’es allé à Harvard, non ? T’es diplômé en histoire antique, en littérature, en génétique et en maths. Tu as passé sept ans à étudier la théologie et la philosophie avec des moines bénédictins. T’as quatre doctorats et huit masters. – Ouais. -File-moi une autre pinte, larbin ! – Tu sais, Dean, les gens comme toi à Singapour, on les écorche. »
Intégralement en noir et blanc, la copie de Frank Cho est plus que solide. Déjà sur ces premiers épisodes, on pouvait détecter et se repaître de son habileté à tracer des courbes, des vraies, à la mesure des hanches vertigineuses de Brandy. Que de chemin parcouru depuis lors pour cet auteur de grand talent, dont on retiendra récemment le run sur « New Ultimates » (2010). Côté hommage, on remarquera également les références très nombreuses à la pop-culture, que ce soit les séries TV (« Riptide », « Xena »…), musique (« Prodigy », « Deep Purple »), la littérature avec « Alice au pays des merveilles », le cinéma (« Alien »), ou le ballet (« Siegfried & Roy », « Lord of the Dance »). Les comics, bien entendu, ne sont pas en reste, avec les apparitions furtives de « Spider Monkey-man » ou encore la « Dynamo Masquée ». Autant de références qui se trouvent compilées en fin d’album grâce à quelques éclairages parfois bienvenus, au travers de notes.
Une liberté à surveiller
Burlesque, un rien rétro de par sa naïveté, « Liberty Meadows » est surtout une bande-dessinée intemporelle car cette série se présente à nous de manière épurée et débarrassée de toute vogue passagère. L’effet est immédiat : la fraîcheur de ses situations nous donne envie d’entrer dans la bande à la première page, et nous pousse à attendre avec impatience le deuxième volume, espéré pour mars. Notons enfin que ce premier tome, temporairement épuisé, fera l’objet d’un second tirage, toujours pour le printemps. A surveiller de près !
[Nicolas Lambret]« Liberty Meadows, tome 1 Eden partie 1 », par Frank Cho (scenario et dessin), Canto Editions, septembre 2011, 72 p.
Du tout bon. Chez moi, tout le monde l’a aimé. On espère que Cho Se relancera dans quelque chose du même tonneau plutôt qu’aller faire ses trucs pourris chez Marvel!
Ecoutez le monsieur quand il vous dit que c’est bien tout ça, parce qu’il a raison !