80ème anniversaire du Sandman
2019 ne marque pas que le seul anniversaire de Batman. S’il est bien entendu à des années-lumière de la notoriété de l’homme chauve-souris, le Sandman de DC Comics passe ces jours-ci lui aussi le cap des quatre-vingts années. Un personnage certes plus confidentiel et des créateurs moins connus du grand public mais qui comptent dans l’histoire des comics, et qui ne sont pas forcément dissociables de Batman.
Il se passait beaucoup de choses dans les comics, début juin 1939. Le scénariste Gardner Fox (1911-1986), actif déjà depuis quelques années, venait de remplacer temporairement Bill Finger à l’écriture de Batman. Detective Comics #29, paru le 31 mai, contenait le troisième épisode des aventures du justicier de Gotham City mais aussi le premier écrit par Fox, qui y injecta un certain nombre d’éléments auxquels ni Bob Kane ni Bill Finger (les créateurs du personnage) n’avaient pensé. Sous l’influence de Fox et dès cet épisode, donc, Batman allait commencer à se découvrir des véhicules spécialisés (avec le Batgyro, ancêtre du Batplane et devançant la Batmobile). Fox allait aussi commencer à détailler le contenu de la bat-ceinture et, quelques semaines plus tard, inventer le Batarang, un « petit gadget » qui a depuis fait beaucoup de chemin. Le scénariste décide aussi que le Batman ne peut se satisfaire de combattre de « simples » gangsters et invente le tout premier Bat-vilain, le Doctor Death (qui ouvre la voie à bien des criminels grotesques de Gotham). Fox est aussi l’auteur d’une « greffe » qui pour le coup a moins fonctionné : son Batman était plus porté sur l’usage des armes à feu et n’hésitait pas à tuer ses adversaires si c’était nécessaire. Mais l’important est de considérer que si Gardner Fox n’avait pas remplacé Finger pour quelques épisodes de Batman, l’homme chauve-souris que nous connaissons aujourd’hui serait fort différent.
Le passage (bref mais décisif) de Gardner Fox sur Batman marque aussi le basculement de cet auteur vers l’écriture de super-héros, un genre dans lequel il sera par la suite prolifique (Fox est le cocréateur de Flash, d’Hawkman, Dr. Fate, de Starman, de la Justice Society of America, de la Justice League…). Mais ce qui se passe au printemps 1939 n’est pas très net : est-ce qu’on lui confie quelques épisodes de Batman parce que, dans les coulisses, il est déjà en train de concevoir un autre justicier ou est-ce qu’au contraire c’est l’expérience de l’écriture de Batman qui lui permet d’imaginer un autre détective masqué ? Le Batman de Fox est-il le laboratoire du Sandman ou au contraire est-ce que Batman s’est nourrit des choses que Fox avait déjà écrit (mais pas encore publié) pour le Sandman ? Un autre indice est l’interconnexion apparente des deux créations de Fox. A quelques jours ou à quelques semaines de distances, le scénariste créé d’une part un criminel qui gaze ses victimes pour les empoisonner et un super-héros qui utilise un gaz pour neutraliser ses adversaires. Doctor Death et le Sandman sont, au moins sur le plan scénaristique, deux facettes de la même pièce.
Ce qui est certain c’est que les deux personnages sont un peu cousins, même si l’on s’interroge encore sur le fonctionnement de leur généalogie. Qui plus est, la chronologie exacte est, aujourd’hui encore, confuse. Création (d’abord sous le pseudonyme collectif de Larry Dean) de Gardner Fox et du dessinateur Bert Christman (1915-1942), le Sandman (Wesley Dodds, dans le civil) est apparu de manière pratiquement simultanée dans deux comics différents. D’une part New York World’s Fair #1 (la date de parution reste floue, il s’agit probablement de début juin, même si dans le contexte des histoires on part du principe que l’épisode s’est déroulé en avril puisque la World’s Fair a commencé le 30 avril) et de l’autre Adventure Comics #40 (daté officiellement – sur la couverture – de juillet 1939 alors que dans les faits le numéro a été diffusé à partir du 10 juin 1939).
Le Sandman (qui sera traduit en VF sous des noms tels que le Marchand de Sable ou « l’Homme au Sable », par analogie au conte fantastique de l’allemand E. T. A. Hoffmann) est donc le richissime Wesley Dodds (Dodd sans « s » dans les premiers épisodes), qui a fait fortune dans l’acier et qui cache, sous des abords timides, des talents de détective et d’ingénieur. Le personnage est possiblement inspiré du Green Hornet, un justicier qui connaissait un énorme succès à la radio et dans les pulps de l’époque (bien que pas encore devenu une star de la TV comme dans les années 60). Fox, lecteur compulsif, avait sans doute compris tout ce que Batman devait au Shadow et avait décidé de s’inspirer d’un des concurrents directs de ce dernier. Dodds s’invente donc, comme Batman, quelques gadgets pour faire régner la justice, en particulier un pistolet à gaz qui lui permet d’endormir ses adversaires (dans certains épisodes, une autre substance sert également de sérum de vérité pour les interroger).
Mais à la différence de Bruce Wayne, aucune chauve-souris n’est venue traverser la résidence de Dodds pour l’influencer. Aussi l’ingénieur se trouve un « totem » sans doute moins fort. Il s’équipe d’un simple masque à gaz qui cache aussi son identité. Mais pour le reste, le Sandman ne porte qu’un costume de ville de l’époque, un chapeau et tout au plus un seul accessoire super-héroïque : une cape. Une explication plus tardive viendra expliquer que les vêtements de ville de Dodds sont traités tout spécialement pour réagir au gaz et changer de couleur quand il entre en action, expliquant pourquoi et comment des personnages qui croisent Dodds puis, un instant plus tard, le Sandman, ne font pas forcément le rapprochement entre les tenues.
Quel article! Merci de l’avoir réalisé, étant une grande fan de ce personnage qui m’a marqué et dont je « chasse » les aventures pour les collectionner, je suis émerveillée par le travail fournit et par toutes les recherches effectuées! Encore bravo, et un bon anniversaire à Sandman, qu’il nous régale pendant au moins encore 80 ans!
Excellent article! Merci beaucoup. J’en apprends énormément sur ce personnage (ces personnages?) et ses auteurs. Joyeux anniversaire, Sandman!