Doctor Strange (pourquoi les Gardiens de la Galaxie ont-ils le droit d’avoir un titre traduit en VF alors que Strange, lui, ne devient pas Docteur mais reste Doctor, allez savoir…) est attendu par beaucoup comme un tournant dans l’approche de Marvel Studios. A plus forte raison parce que bien souvent il est présenté, à tort, comme marquant l’arrivée de la magie dans cet univers partagé… A part si Loki, dans les films consacrés à Thor et aux Avengers faisait de la physique quantique sans en avoir l’air, la magie a bel et bien fait son entrée depuis belle lurette dans cet univers, sauf si vraiment certains veulent vraiment couper les cheveux en quatre et établir que la mythologie nordique n’est pas de la magie au premier degré (mais il faudra se lever tôt pour nous démontrer que c’est de la science). Le vrai tournant est dans le matériel de base. L’essentiel des super-héros portés à l’écran à ce jour par les Studios Marvel portent la patte, à un degré ou à autre, du dessinateur Jack Kirby, co-créateur à des degrés divers de Thor, Iron Man, Hulk, Captain America, des Avengers. Doctor Strange, lui, descend d’une autre figure fondatrice des Marvel Comics modernes, Steve Ditko. Et s’il est vrai que Ditko est le co-créateur de Spider-Man et que ce dernier est, depuis belle lurette, arrivé sur le grand écran, que Marvel a, aussi, injecté le « tisseur de toile » dans son univers à l’occasion de Captain America: Civil War, l’essentiel du travail d’adaptation avait été balisé par Sam Raimi pour Sony. Doctor Strange est un personnage magie, mythique, mystique, ce que vous voulez… mais c’est le premier chez Marvel Studios à être aussi porteur d’un style marqué, d’un imaginaire qui ne descend pas de Kirby. Le cahier des charges est donc là : porter à l’écran un ensemble qui ne suit pas les mêmes règles…
Evacuons déjà ce qu’on pourrait qualifier d’éléphant dans la pièce : Scott Derrickson (Le jour où la Terre s’arrêta) n’est pas le réalisateur le plus inventif qui soit. Il n’a d’ailleurs pas prétendu l’être. Les premières scènes de combat mystique, qui ont largement circulé dans les diverses bandes annonces, ne lui rendent donc pas service car, clairement, dès qu’on les voit, on ne peut s’empêcher de penser à Matrix ou, surtout, à Inception. L’exemple tend à laisser croire que Marvel est allé chercher sa diversité, son originalité, en recopiant par-dessus l’épaule des petits camarades, en particulier Christopher Nolan. Malheureusement pour les producteurs et le réalisateur, il y a aussi des éléments propres à Doctor Strange qui font que ces similitudes peuvent paraître renforcées. L’origine du Batman de Nolan (fortement inspiré du Shadow), comme celle de Strange (et d’Iron Fist par ailleurs), découle de l’archétype du « lama blanc », du type qui part en Orient ramener un savoir inconnu en Occident, ce qui va lui permettre des prouesses inégalées. Merci Joseph Campbell et son « Héros aux Mille Visages », on peut aussi retrouver une pincée de Star Wars dans ce cocktail, avec des magiciens qui sombrent du côté noir de la For… enfin dans la Dimension Noire. Mais vous aurez compris. Cette ressemblance est à la racine. Elle était là dès Ditko. Mais pour le coup on se dit que Marvel aurait bien été inspiré de s’épargner un rapprochement, cette paramnésie, en n’allant pas chercher cette esthétique à la Inception. D’autant que… et là c’est la bonne nouvelle… Ces effets de miroirs, finalement, ne sont pas aussi omniprésents que ce que les bandes annonces laissaient entendre. Ils sont là , c’est un fait, mais à mesure qu’on progresse dans le film apparait un autre univers visuel, beaucoup plus proche de celui de Ditko, sans doute bien plus proche que ce que le cinéma a fait avec l’esthétique de Kirby. Que Derrickson ne soit pas Spielberg, c’est également un fait. Mais il n’en reste pas moins que les scènes de combats sont énergiques et bien réglés, dans des perspectives paradoxales qui lorgnent sur le travail d’Escher.
Tandis que l’on avance dans le film, on prend la mesure de ces combats et de ce qu’ils accomplissent. C’est à dire que l’action est autrement mieux réglée que dans le venant des films qui impliquent des « super-fights » où, bien souvent réalisateur et scénariste passent le temps tout en cherchant le moyen d’en finir. Le final « Street fighters » de Hulk contre l’Abomination, la débauche d’immeubles que Superman et Zod se balancent à la figure, les bagarres de Thor contre le Destroyer ou Malekith. Même les Gardiens de la Galaxie ne savaient pas trop comment régler le combat final contre Ronan et on s’en tirait par l’humour, avec la proposition du duel de danse. Même si Kaecilius (Mads Mikkelsen) n’est pas le plus complexe des personnages, le peu qu’on sait de lui fait l’affaire et il déploie un côté rageur, plus d’empathie que Malekith ou Ronan. Ceux qui connaissent le comic-book détecteront de toute manière assez vite que Kaecilius n’est là que pour jouer les hors-d’œuvre. D’un côté il y a un boss de niveau, un « grand destructeur » dont il est intéressant de voir qu’il est utilisé un peu à la manière d’un Galactus. De l’autre, il y a la mise en place sur le long terme d’un autre adversaire de Stephen Strange.
Pour le coup, les scénaristes décident de démarrer doucement avec celui-ci, d’expliquer son virage, pour mieux le positionner en vue de films à venir. Doctor Strange est un film qui n’expédie pas les scènes d’action (sauf l’une d’entre elles, traitée hors-champs, mais cela fait partie de l’histoire) et qui débouche sur un combat final efficace, différent et un poil plus intelligent. Finalement, cela se bagarre beaucoup et, en dehors de deux scènes où l’Ancien (Tilda Swinton) utilise les mêmes effets de perspective, il y a un certain renouvellement. La bagarre à Londres n’est pas celle du Sanctum Sanctorum qui n’est pas, elle-même, celle qui se déroule à Hong-Kong et encore moins la confrontation finale avec le « boss ». Et Stephen lutte encore d’une autre manière alors qu’il est poursuivi à l’hôpital… La différence de Doctor Strange, elle n’est pas dans ses emprunts aux effets d’Inception mais bien dans cette gestion de l’action, d’un combat à superpouvoirs qui change d’atmosphère plusieurs fois en cours de route.
une très bonne critique ( nuancée donc intéressante) qui donne envie de voir le film ! ( excellent le coup de » je ne vais au cinéma que lorsque le métrage révolutionne le médium » !!) ha ! ha ! ha !
Très bon article, comme d’habitude, dirais-je…
Petite question : Où avez eu la chance de voir le film ? Au Comic Con ? Et pourquoi Comic Box n’y est-il pas présent ?
Non, nous l’avons vu, comme le reste de la presse, dans le courant de la semaine précédente. Ce qui explique d’ailleurs que l’article ait été posté plusieurs heures AVANT l’avant-première de la CC Paris. CC Paris à laquelle, par ailleurs, nous ne nous sommes pas rendus parce que la séance de présentation, le mois dernier, ne nous avait pas convaincus, c’est aussi simple que ça.
Merci pour votre réponse.
Merci pour cet excellent billet.
Je ressort juste du film et cette chronique résume parfaitement ce que j’en ai pensé.
Concernant le fait que l’ancien soit cagoulée durant son premier combat, je pense que c’est aussi pour masquer la marque de la dimension noire sur son front.
Sans doute que ça donne une raison au fait d’être « capuchée » mais cette manière de rester tête baissée face à des gens qui savent d’où elle tire son pouvoir n’a guère de sens dans l’histoire, en tout cas mis en scène de cette manière.