Pour son cru 2019, le Festival International de la BD d’Angoulême proposait le week-end dernier un programme riche et varié. De quoi satisfaire les amateurs de bande-dessinée sous toutes ses formes, de toutes provenances. Mais force est de constater qu’entre des expositions, des anniversaires et la présence de pointures comme Frank Miller, Olivier Coipel, Andy Diggle, Paul Dini et bien d’autres, cette édition était, de mémoire de fan de comics, celle qui s’ouvrait le plus à la BD US, alors que les années récentes avaient déjà fait preuve d’une bonne ouverture.
C’est du vécu: il y a un peu moins d’une vingtaine d’années nous étions, avec Comic Box, sur un stand dans la grande bulle du Champ de Mars. Nous avions cette année-là David Mack, en train de dédicacer debout, comme à son habitude, entouré de prints représentant ses peintures. Le jour de visite des politiques, arrive Noël Mamère, guidé par l’un des organisateurs du salon, qui marche lentement dans l’allée en regardant d’un air ennuyé des couvertures de romans graphiques ambiance « n’oublies pas que tu vas mourir ». Son œil est attiré, de loin, par les couleurs des peintures de Mack. Il tend le doigt « Ah. Ça c’est quoi ? ». Et l’organisateur de le prendre par le bras pour l’entraîner dans l’autre sens en lâchant cette petite phrase « Non, ça c’est des comics, ce n’est pas intéressant… ». Non pas qu’il faille absolument être un forcené des comics pour être quelqu’un de bien (ne soyons pas aussi sectaires que certains obsédés d’autres formes de BD) mais l’anecdote a l’avantage de montrer le chemin qu’il restait alors à parcourir. Si on nous avait dit, alors, qu’on verrait une édition du festival avec Richard Corben en président (et, malgré son absence physique, une énorme exposition consacrée à son travail), une célébration des 80 ans de Batman (avec là aussi une exposition massive mais également la présence de Frank Miller, Paul Dini et Jock), que Panini y marquerait à sa façon le 50ème anniversaire de l’arrivée régulière de Marvel en France (à travers un album commémoratif reprenant le sommaire de Fantask), qu’on y observerait un hommage à Stan Lee, qu’il y aurait des conférences, des tables rondes, des rencontres internationales reflétant une diversité réelle… On aurait cru à une réalité alternative. Or, depuis quelques années, en particulier à la faveur de la nomination de Stéphane Beaujean comme directeur artistique du festival, on n’est heureusement plus dans le même rapport de force. Méfions-nous d’un angélisme naïf : dans les coulisses, la donne commerciale a changé. En 2000, les comics c’était essentiellement deux éditeurs de kiosques (Semic et Panini) et un Delcourt qui n’avait pas encore lancé Walking Dead. Snober les comics, c’était une chose. En 2019, Delcourt a absorbé Soleil depuis quelques années et profite du rouleau compresseur de Robert Kirkman et Charlie Adlard (présent cette année pour présenter son nouveau projet, Vampire State Building). DC Comics est depuis sept ans traduit par Urban Comics, une société-sœur de Dargaud. Glénat est entré dans la danse. Panini a transféré l’essentiel de ses activités vers la librairie. Et c’est sans compter sans les éditeurs récemment arrivés sur le marché, tels que Bliss, Snorgleux Comics ou Delirium (et la liste est plus longue que ça…). Autant dire que snober les comics en 2019, ce serait se brouiller avec une armada d’exposants. Et ce serait aussi méconnaître les goûts du public.
Pour preuve, l’énorme succès des expositions consacrées à Batman ou à Corben, donc, mais aussi l’affluence autour de rencontres internationales traitant de l’univers des comics, avec des amphis pleins et de longues files d’attente. Il faut dire qu’une table ronde réunissant Frank Miller, Paul Dini et Jock pour évoquer Batman, on ne voit pas ça tous les jours. Les auteurs partageaient bien entendu leurs visions du chevalier noir de Gotham. Paul Dini, en particulier, ne cachait pas son émotion, toujours vibrante, alors qu’il racontait l’agression dont il a été victime et sa reconstruction autour de Batman (reflétée dans Dark Night, une histoire vraie). Côté Marvel, les dessinateurs Olivier Coipel, JL Mast et le directeur éditorial de Panini Publishing, Marco Lupoi, partageaient leurs souvenirs liés à Stan Lee, décédé en mars dernier. Des souvenirs qui concernaient aussi bien la lecture des comics écrits par « The Man » avec ses dialogues caractéristiques mais aussi de véritables rencontres, Marco Lupoi ayant rencontré Lee de longue date pour lui servir de guide en Italie tandis que Mast (qui prépare un album sur les pères fondateurs de Marvel) se souvenait avoir vu Lee enfiler devant lui un costume de Spider-Man pour assurer le show. On peut aussi évoquer une table ronde sur les français qui ont réussi aux USA, réunissant aussi bien Denis Bajram, Olivier Coipel, Stéphanie Hans et Mast. Le festival d’Angoulême, ce week-end, c’était aussi plus traditionnellement le jeu des dédicaces et des files d’attente devant les stands. La multitude d’éditeurs proposait fort logiquement un grand éventail de talents. Aux noms déjà évoqués, il convient par exemple d’ajouter Gene Ha chez Urban, Nic Klein chez Panini, le très remarqué Russ Braun chez Snorgleux, Doug Braithwaite chez Bliss, José Villarubia chez Délirium, Emil Ferris chez Monsieur Toussant Louverture, Andy Diggle ou encore Shawn Martinbrough chez Delcourt, Frank Santoro chez Cà et Là. Côté français (mais dans un univers voisin des comics), il fallait aussi compter avec Laurent Lefeuvre chez Komics Initiative, Jean-Yves Mitton chez Original Watts ou encore Tanguy Mouchot et son équipe venus dévoiler le nouveau tome des aventures de Fantax (contenant les premiers épisodes inédits du personnage depuis… 1959). Wanga Comics était également de la partie… Bref, impossible de les lister tous. D’autant plus qu’il fallait aussi compter cette année avec plusieurs artistes « officieux », venus en mode « incognito » profiter de la manifestation. Quelques minutes après notre arrivée dans la ville, nous tombions ainsi sur les dessinateurs Guillem March (Batman Eternal, Catwoman…), Paco Diaz (Deadpool) en goguette. Côté conférences (d’une taille plus intime que les rencontres internationales), les sujets étaient également très variés, allant des « autrices dans les comics » à une évocation d’Archie Comics en passant par divers angles de Batman.
Le but du présent site étant plutôt de traiter de l’univers des comics, on ne passera pas en revue les nombreuses autres animations consacrées à la franco-belge ou aux mangas, également dignes d’intérêt (on pouvait d’ailleurs croiser Frank Miller écumant les différentes expos). Il ne s’agit pas ici de dire qu’en janvier 2019 il n’y en avait que pour les comics à Angoulême. Ce serait tomber dans le même piège borné que l’abruti qui, il y a quelques années, disait que les comics n’étaient pas intéressants. Il y avait bien des points d’intérêts à cette édition 2019. Que ce soit pour les comics ou hors-comics, car, oui, toutes les formes de BD valent le détour et il ne s’agit pas de dire que les comics doivent l’emporter. Mieux vaut dire en fait que les comics ont leur place, à importance égale, avec les autres variations de la BD mondiale. Et cette année, le festival le reconnaissait comme jamais. Au point qu’en soirée le Bat-Signal était projeté sur la façade de la mairie d’Angoulême. Si on nous avait dit ça il y a encore une décennie…
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