Avant-Première VF: Review Infinite Loop T1
22 février 2015[FRENCH] Teddy fait dans la correction. Elle écume le temps pour s’assurer que personne ne réécrit l’Histoire, qu’on n’efface pas la naissance de Napoléon ou qu’on ne change pas le cours des choses. Parfois, des anomalies temporelles passent à travers les mailles du filet. Il faut les éliminer. Pas de problème quand c’est un gros saurien. Mais quand l’anomalie s’avère être une humaine et que Teddy en tombe amoureuse, c’est un autre problème qui commence.
Avant-Première VF: Review Infinite Loop T1
Scénario de Pierrick Colinet
Dessins d’Elsa Charretier
Parution aux USA le mercredi 18 février 2015
En l’espace de quelques années Pierrick Colinet et Elsa Charretier sont sortis pratiquement de nulle part. Mieux : ils se sont faits eux-mêmes, en quelque sorte. Ils se sont donné les moyens de leurs ambitions et se sont lancés dans l’auto-édition avec une progression à la fois rapide et notable. Même pas un an et demi entre la parution d’Æternum Vale et cet Infinite Loop qui est passé avec bonheur par la case du financement participatif. En deux coups (et quelques participations annexes comme le Garde Républicain), le tandem en est arrivé à un niveau de professionnalisation étonnant en un temps si court. Ils n’ont pas attendu la chance, ils ont su la fabriquer. Si bien que l’on peut lire Infinite Loop en faisant abstraction de ce contexte particulier. C’est un travail de pro, Elsa Charretier surfant sur des ambiances qui, parfois, évoquent le trait d’un Darwyn Cooke ou d’un Chaland (bien que la construction des personnages reste personnelle). Au scénario, Pierrick Colinet tisse une histoire ultra référentielle. À commencer, dès la trame, par quelque chose qui tient du romancier Philip K. Dick, évoquant autant « Adjustment Team » (dont fut tiré le film l’Agence) que « Do Androids Dream of Electric Sheep » (adapté en Blade Runner). Pas d’androïde impliqué ici mais l’héroïne travaille pour un service digne de l’Agence, qui corrige le temps quitte à supprimer des personnes. Et Teddy se retrouve un peu dans la peau d’un Rick Deckard tombant sous le charme de sa proie. Mais plus encore, Pierrick et Elsa y vont à fond dans les références, cultivant le clin d’œil à des choses comme Star Wars ou Planète Interdite. Toute cette substance n’est cependant qu’un contenant. Les deux auteurs ne tombent pas dans le piège de l’apparence et construisent leur récit autour d’un ton militant… Qui n’est pas tant qu’il y ait un couple lesbien au centre du récit (Teddy tombe amoureuse d’Ano, mais leurs ébats n’occupent en tout et pour tout deux pages). L’axe serait plutôt une résistance à l’homophobie, qu’elle soit active (incarnée par deux agents bien lourds) ou passive (un collègue de Teddy pas pressé que l’on remonte dans le temps pour défendre la première gay pride). L’intrigue utilise même des éléments du réel, comme l’assassinat du militant Eric Lembembe…
La force du duo a donc été de ne pas se contenter d’un habillage. Pour autant, la formule implique deux petits défauts interconnectés. Si Infinite Loop arrive à délivrer son message sans faire prêchi-prêcha, il y a des passages d’expositions, d’explications, qui sont menés de manière un peu trop évidente (par exemple Teddy doit-elle en expliquer autant sur le voyage temporel dans les premières pages à une personne qui, pourtant, travaille dans le même service ?). Et d’une manière générale les personnages ont tendance à parler un peu tous d’une voix égale, avec le même vocabulaire, ce qui ne définit pas autant les typologies que l’on pourrait le croire. Mais ce sont deux « défauts » assez mineurs, dans un ensemble vraiment très bien produit. De toute façon Colinet et Charretier compensent le côté atone de certains dialogues par une vraie dynamique des monologues internes (les « QCM » visuels quand un problème se pose à Teddy). Autre chose (mais là pour le coup, c’est peut-être quelque chose qui sera abordé dans les chapitres à venir), l’hypocrisie partielle de Teddy, qui demanderait sans doute à être mieux abordée par la suite. Par exemple, Teddy se refuse à éliminer Ano, puisque c’est la première anomalie vivante qu’elle rencontre (et que par ailleurs, vous l’aurez compris, elle en pince pour elle). Mais dans les « événements historiques » qu’elle a surveillé, il y a donc la mort de Lembembe. Mais si l’on comprend que la citation a pour but de dénoncer le meurtre, Teddy a beau avoir sauvé Ano, elle est par extension aussi passive (sinon plus) que son collègue qui ne trouve pas urgent d’enquêter sur la Gay Pride de 1970. Il serait sans doute intéressant que, dans les épisodes à venir, elle soit mise en face de ses contradictions (par exemple en croisant quelqu’un qu’elle a refusé de sauver). Car épisodes suivants il y aura, Infinite Loop étant déjà sur orbite suite à son financement et (de plus) une prochaine parution aux USA. Sans doute une prochaine occasion de voir l’évolution de ce duo créatif à la mécanique redoutable. A ne pas « looper » ?
[Xavier Fournier]