Avant-Première VO: Review Frank Miller’s Holy Terror
23 septembre 2011[FRENCH] Le Fixer, le héros masqué qui protège Empire City, pourchasse une certaine « Cat-Buglar », une voleuse costumée avec qui il a une relation d’amour et de haine. C’est un jour calme. Jusqu’à ce que les cieux se couvrent de débris. De clous. De lames de rasoir. L’Amérique est frappée par le terrorisme. Le couple masqué oublie alors ses chamailleries précédentes pour s’attaquer à Al-Qaida. Frank Miller, inspiré par le 11 septembre 2001, signe une oeuvre qui peut faire froncer certains sourcils par endroits mais peut-être pas de la manière qu’on pouvait attendre. Tout dépend finalement ce que chacun veut y voir…
Frank Miller’s Holy Terror
[Legendary Comics]
Scénario de Frank Miller
Dessins de Frank Miller
Parution aux USA le mercredi 28 septembre 2011
Franchement, j’attendais Holy Terror peut-être pas avec une « terreur sainte » mais en tout cas avec une certaine crainte. L’annonce faîte il y a des années d’un Frank Miller surfant sur une veine revancharde, avec un super-héros allant taper sur du terroriste musulman, ne me disait rien qui vaille. Aussi bien sur le fond (avec les dérapages qu’on pouvait craindre) que sur la forme, sachant que les dernières pages « super héroïques » dessinées par Frank Miller au moment de Dark Knight Strikes Again n’avaient pas été à la hauteur de sa production antérieure. En fin de compte Frank Miller’s Holy Terror fait preuve au contraire d’un retour en force (à plus d’un titre mais on verra plus loin à quel degré) de l’artiste, qui, certes, évoque un peu l’univers du Dark Knight (on voit clairement à quel point le projet a été initié comme une « bat-histoire ») mais lorgne de manière évidente sur le traitement d’un Sin City. D’où une puissance graphique retrouvée qui donne la meilleure aventure super héroïque du dessinateur Miller depuis des lustres. Peut-être est-il aidé par le format atypique, « paysage », qui tourne le dos à la dictature de la page traditionnelle de comic-book (ou de la plupart des graphic novels) et, comme pour 300, joue la carte du bloc épais bousculant la narration habituelle. A mon avis, sur le plan graphique, Holy Terror est même mieux que 300 dans le sens où ici le noir et blanc ambiant (aidé par de rares touches de couleurs) a quelque chose de plus massif.
Là où on « attend » Miller au tournant sur un projet comme celui-ci, bien sûr, c’est sur le scénario et le côté politique et religieux. Parlons d’abord du scénario dans ses grandes lignes. Il est certain que la mise en place est lente. J’entends par là que le temps que le Fixer et son adversaire/amante montent sur le toit et assistent à l’attentat (qui n’est d’ailleurs pas calqué sur ceux de septembre 2001) et réalisent l’ampleur de tragédie, on a déjà passé près d’une soixantaine de pages dans un projet qui en totalise environ 120. On pourrait donc croire qu’on retrouve ici purement et simplement le même Frank Miller qui avait mis un paquet d’épisodes de All-Star Batman à ce que la Batmobile roule jusqu’à la Batcave mais ici la chose semble mieux utilisée. On n’est pas dans le remplissage gratuit d’un vide mais bien dans une mise en scène qui reproduit le choc de l’attaque. Là dessus les avis peuvent diverger, bien sûr, mais globalement ceux qui se souviendront être restés figés devant les images qui tournaient en boucle comprendront sans doute ce que je veux dire en évoquant l’effet produit. Ici on n’est pas devant une voiture qui traîne pour rentrer au garage mais bien devant une réalisation que le cerveau des personnages se refuse à accepter, qui met du temps à s’installer. C’est un parti pris. Ca ne plaira pas à tout le monde sans doute (mais il est certain que Miller assume totalement de ne pas plaire à tout le monde sur un projet de ce genre) mais l’intention est palpable et, clairement, il ne s’agit pas de remplir des pages au hasard. Un petit détour anecdotique sur les relations entre le Fixer et « Cat-Buglar » qui sont décidément plus crues que le tout-venant des rencontres entre Batman et Catwoman. A se demander même – mais sans élément de réponse – si le fait que Catwoman #1 (sorti cette semaine) montre une relation sexuelle entre Bruce et Selina plus directe que d’habitude est réellement une coïncidence où une manière d’essayer de profiter du parallèle. Dur à dire. Je trouve quand même bizarre qu’un comic-book DC touche à ce sujet à quelques jours du moment où un projet initié chez DC quelques années plus tôt va sortir. Mais c’est de toute manière un détail par rapport au sujet de fond.
Ce sujet c’est donc l’Amérique post-9-11 et un héros horrifié par la barbarie de l’attaque qui décide de contre-attaquer et de frapper directement Al-Qaida. Il est certain que Miller ne porte pas les terroristes dans son coeur. Et c’est un fait que les kamikazes qui s’en sont pris à l’Amérique en 2001 clamaient agir au nom de l’Islam. Du coup, les adversaires sont donc des musulmans intégristes et le Fixer s’attaque à eux avec le plus grand mépris, en particulier dans un passage où il ridiculise un prisonnier nommé Mohammed. De là à penser que les musulmans tout court sont méprisés dans l’album, il y a un pas. Que chacun aura le loisir de franchir ou pas. En fait, vu la mise en place longue, on a tout le temps de se convaincre que c’est un peu « les américains contre les musulmans ». Et il est vrai que les flics aperçus ont plutôt tendance à balancer des « sweet Jesus ». Mais, plus tard, vient de la bouche même des terroristes la révélation que tout ça n’a finalement rien à voir avec la religion ou la nationalité. Miller l’a écrit, là, noir sur blanc. De fait, je m’attendais à ce que l’album soit bourré à chaque page de tirades furieuses. Mais quand on veut bien regarder tous les détails, on note que Miller est moins monomaniaque qu’on pouvait le craindre. Quand il montre l’Amérique bouche bée, par exemple, il montre aussi bien des gens de l’Amérique profonde, des politiciens ou encore des « peoples » comme Michael Moore. Miller ne porte très certainement pas ce dernier dans son coeur mais le montre sans le ridiculiser ou le caricaturer. Même s’il est évident qu’en fin de compte quatre pages plus tard l’auteur montre que pendant que les gens parlent des gens meurent. Le coeur de l’album est plus mesuré qu’on pouvait s’y attendre, donc, mais j’ai l’impression qu’une partie des lecteurs auront atteint un équivalent du « point de Godwin » avant d’en arriver là. Le Fixer interrogeant Mohammed en aura sans doute fait tiquer plus d’un. Tout comme la description d’une mosquée fantasmée, sorte de labyrinthe de catacombes qu’on peut trouver au premier degré totalement ridicule MAIS… Mais la scène me fait un peu penser à certains écrits de Philip K. Dick, en particulier quand il évoquait une sorte de survivance de l’Empire Romain. A partir de là il ne me parait pas idiot de penser que plus qu’une ville fictive, plus qu’une chose remplaçant New York ou Gotham, Empire City est un symbole représentant TOUTE l’Amérique. Dans le même symbolisme, le Fixer n’a pas besoin d’aller au Moyen-Orient pour casser du terroriste. Il lui suffit qu’un informateur lui dise où ils se cachent dans la ville même. L’idée, là aussi, peu sembler simplette si on parle de premier degré. Si on la prend comme une sorte d’allégorie, c’est autre chose.
Holy Terror en aura sans doute vexé beaucoup avant d’en arriver au passage où Miller dépasse la notion de guerre des religions. L’album a certaines pages qui font tiquer (c’est la volonté de l’auteur). Mais finalement pas tant que ça ou pas tant qu’on pouvait le croire. Là où les choses se compliquent c’est qu’il y a un ou deux endroits où l’attention se polarise. Avant la première planche de BD, l’album s’ouvre sur une citation qui parle de « tuer l’infidèle ». Plus tard, en épilogue, Miller dédie l’ouvrage au réalisateur néerlandais Theo van Gogh, qui n’est pas directement lié aux événements de 2001 mais fut assassiné en 2004 par un musulman intégriste. Ces deux parenthèses qui englobe la BD en elle-même sont de nature à polariser l’attention et à nouveau, donner l’impression qu’il s’agit de tirer à boulets rouges sur l’Islam. A un moment de l’histoire, après avoir forcé le trait, Miller semble démontrer que ce n’est pas le cas. Mais tout dépend où chaque lecteur place son propre repère de Godwin. Holy Terror porte des éléments de nature à alimenter la polémique. D’autres diront que le projet finalement fourni des éléments de débats. Deux choses sont certaines. D’une part le résultat global dégage une certaine force. D’autre part Frank Miller, un peu à l’image d’un Maurice Pialat au moment de la sortie de « Sous le soleil de Satan », n’a jamais cherché à plaire à tout le monde. En apparence une histoire simple, Holy Terror est une oeuvre beaucoup plus complexe si on veut bien se donner la peine de regarder au delà des apparences. Mais il est certain qu’elle n’engendre pas l’indifférence et qu’on n’a pas fini d’en parler…
[Xavier Fournier]
Un mot sur ce que l’album vaut graphiquement aurait été le bienvenu…
J’en salive d’avance.
JeanSeb, votre nagigateur doit visiblement refuser d’afficher un paragraphe entier du texte…
on connait très bien le bord politique de Miller, mais l’ambiguité ou les nuances ne m’étonnerait pas. je me souviens que sa participation en 3 images et trois phrases au recueil post 9-11 de DC était un des plus efficaces et pas vraiment anti musulman mais plutôt l’interrogation d’un homme sur le patriotisme et la religion extremes.
« i’m sick of flags »
« i’m sick of God »
« i’ve seen the power of faith »
Des volumes que je conseille fortement d’ailleurs mais jamais traduits en VF
@Nate
En effet, ces phrases laissent à penser qu’il blâme les extrémistes quels qu’ils soient. En revanche, et c’est une différence majeure : Holy Terror ne semble blâmer QU’EXCLUSIVEMENT les intégristes Musulmans, comme si c’était les seuls. L’intégrisme religieux n’est pas l’apanage de l’Islam.
Quel est le but d’Holy Terror ? Il aurait par exemple été plus judicieux (mais tellement moins polémique et tellement plus « Michael Mooresque ») de pousser un cri de colère, non seulement contre les intégristes religieux en général, mais aussi contre cette grosse blague des USA qui est de porter au pinacle ses héros pour à présent les laisser crever dans l’indifférence la plus totale. Ces hommes, pompiers, policiers etc. qui ont les poumons pleins des restes des WTC, « qui portent en eux ce drame », et qui pourtant ne se détournent pas du drapeau d’une nation qui leur a tournée le dos et qui a préférée mettre des sommes considérables dans une guerre perdue d’avance.
Je suis surpris qu’un auteur ayant vécu longtemps à Hell’s Kitchen ne soit pas plus révolté par le manque de considération que porte sa ville, son Amérique, à « ses vrais héros ».
Si tout se résume à : « les méchants, c’est les autres d’en face », il n’y a pas de raison de s’attarder bien longtemps là dessus, c’est simpliste et réducteur, et ça ne sert à rien de donner de l’importance à quelque chose qui se borne à de la provoque facile.
Mouais. Je dis pas que l’approche de Miller est un bouquet de violettes. Mais dans le même temps quelque chose qui traite de la vague d’attentas post 9/11, ca me parait logique que ça désigne des terroristes comme étant responsables. Les retombées sur les pompiers et le manque de considération, c’est juste une autre histoire. Ce serait comme en vouloir au réalisateur du Jour le Plus Long parce qu’il n’aurait pas parlé des inconvénients pour les civils (pertes de vies, destructions d’habitations…).
Certes !
Mais ce que je veux dire « in a nutshell » c’est : qu’est ce que Miller a voulu démontrer du coup ? On sait qui sont les « méchants » responsables du 9/11. Oui, il est indéniable que les responsables sont les extrémistes musulmans. Mais dès le départ, si ça se borne à voir Batman taper sur Al-Qaida, doit-on vraiment chercher à y voir une quelconque profondeur ?
Après, par exemple, sortir ça 10 ans après, pour l’anniversaire, forcément, ça va faire parler, c’est facile.
« Holy Terror est une oeuvre beaucoup plus complexe si on veut bien se donner la peine de regarder au delà des apparences. »
Ce que je voulais aussi dire c’est : ok, mais alors en quoi est-ce plus complexe au final ? Elle est où exactement la profondeur là dedans ? Là, tout ce que j’en ressors c’est que Miller fait parler d’un truc polémique par définition. Il n’y a rien d’étonnant à cela. C’est un peu « remuer le couteau dans la plaie ».
Après, c’est peut être très bien fait, je ne l’ai pas encore sous les mains. Néanmoins, je suis sceptique sur la richesse du propos. J’en viens à penser qu’au final, nous n’aurions même pas cette discussion de toute façon s’il n’y avait pas le nom de « Miller » sur la couverture… D’ailleurs, il y a fort à parier que ça n’aurait pas été publié tout court.
Désolé pour la réponse tardive, j’étais loin d’Internet…
« si ça se borne à voir Batman taper sur Al-Qaida, doit-on vraiment chercher à y voir une quelconque profondeur ? »
Et bien ca illustre bien ma référence à un équivalent du point de Godwin : l’évocation même du sujet, réduit à une phrase, semble confisquer la possibilité de débat chez certains. Faudrait il refuser d’emblée toute profondeur parce que c’est Al-Qaida et s’y intéresser si c’est le Joker ? Plus généralement : on doit forcément chercher une profondeur, quelconque ou pas si on veut établir s’il y en a ou pas. Décréter qu’il n’y a pas de profondeur et par conséquent ne pas la chercher, c’est faire le jugement avant la recherche.
« Après, par exemple, sortir ça 10 ans après, pour l’anniversaire, forcément, ça va faire parler, c’est facile »
Ca va plus faire parler que si Miller l’avait sorti il y a six mois ou dans 12 semaines. Mais c’est aussi une question de marketing liée à l’éditeur. A partir du moment où le livre existe, c’est le boulot de l’éditeur de le sortir sur la meilleure rampe de lancement. Et c’est aussi facile de reprocher ça précisément à Miller et pas au Big Lie de Rich Veitch sorti trois jours avant le 11 septembre 2011. 😉
« Après, c’est peut être très bien fait, je ne l’ai pas encore sous les mains. Néanmoins, je suis sceptique sur la richesse du propos. J’en viens à penser qu’au final, nous n’aurions même pas cette discussion de toute façon s’il n’y avait pas le nom de « Miller » sur la couverture… »
Ben ce que je sais c’est que j’ai chroniqué en temps et en heure The Big Lie, qui explorait aussi le 9/11 et que l’absence de Miller ne m’a pas empêché d’en parler. Pas sur d’avoir vu un Mr Honey Bunny si remonté dans les commentaires par contre.
« D’ailleurs, il y a fort à parier que ça n’aurait pas été publié tout court. »
Parier sur quelque chose dont nous n’auront jamais la réponse…
En définitive je dis que ceux qui détestent sans nuance ce bouquin mais aussi ceux qui l’aiment sans nuance sont dans le faux. Le complexe doit être dans l’interprétation faîte. Décider à l’avance, sans l’avoir lu, que c’est mauvais ou pas, ressemble assez à un procès d’intention. Je ne dis pas que tu dois aimer mais décider d’avance, sur le seul énoncé du sujet, qu’il n’y a rien à y chercher, c’est l’assurance de ne rien y trouver.
« Faudrait il refuser d’emblée toute profondeur parce que c’est Al-Qaida et s’y intéresser si c’est le Joker ? »
Eh bien… Peut être ! Oui, car le Joker a été créé, pensé, « pour » Batman. Alors que, on pourrait envisager en revanche n’importe quel héros contre une menace tel qu’Al-Qaida. D’emblée, je m’attend à une « psychologie » plus intéressante, poussée, travaillée dans une histoire où un héros fait face à sa Némésis, que face à une menace autre. Donc, « refuser toute profondeur », peut être pas, risquer d’en trouver moins, peut être bien.
Aussi ici, pourquoi vouloir d’ailleurs absolument faire un ersatz de Batman plutôt que de créer un personnage « propre » ? La démarche initiale me parait bancale.
« Pas sur d’avoir vu un Mr Honey Bunny si remonté dans les commentaires par contre. »
Je suis tout simplement passé à coté alors. Et « remonté » ? Non, « concerné » à la limite car j’en ai discuté avec d’autres fans, « passionné » serait aussi trop fort car je suis loin d’être un accro au travail de Miller donc à la limite, comme tu dis, c’est un auteur sur des milliers qui « surfe sur la vague » 9/11.
« Je ne dis pas que tu dois aimer mais décider d’avance, sur le seul énoncé du sujet, qu’il n’y a rien à y chercher, c’est l’assurance de ne rien y trouver. »
Je ne pense pas que ce soit « l’assurance » et que je suis quand même bien moins borné que ça… Exemple : j’étais sceptique sur le bouquin « Nos années Strange » sorti tout récemment et j’avais exprimé mes doutes sur son intérêt. Eh bien, non seulement je l’ai pris mais je reconnais qu’au final c’est pas mal du tout et je le conseille, et dieu sait si c’était pas gagné ! C’est pour ça que je précise que ne l’ayant pas encore, je ne peux vraiment certifier et juste exprimer mon scepticisme.
Aussi, des exemple où je partais bille en tête en pensant que j’allais lire une sombre daube pour au final être agréablement surpris et convaincu de l’intérêt, j’en ai pas mal. (Et inversement !^^…)
(Et inversement !^^…)
Ca, je ne me suis toujours pas remis d’avoir trouvé quelqu’un qui aime bien Red Hood 😉
Ah ! … Eh bien, je ne suis pas le seul sur les sites auxquels je participe à avoir aimé… Pire, je crois me rappeler que personne n’a détesté !
Au fait, des trois titres de Lobdell, celui qui m’a déçu est Teen Titans…
Bon, alors c’est bien, sans doute que DC ne reçoit aucun mail de protestation sur Red Hood. Enfin dans un univers alternatif en tout cas…
Je vais peut-être paraître puerile, mais je vais poser la question simple qui me semble importante : Mr Fournier, à cotés de ces impressions en demi-teinte, est-ce que vous avez kiffé ?
Tout dépend ce qu’on entend par « kiffer », mais c’est un meilleur album que je pensais, oui.