Avant-Première VO: Review Frank Miller’s Holy Terror

[FRENCH] Le Fixer, le héros masqué qui protège Empire City, pourchasse une certaine « Cat-Buglar », une voleuse costumée avec qui il a une relation d’amour et de haine. C’est un jour calme. Jusqu’à ce que les cieux se couvrent de débris. De clous. De lames de rasoir. L’Amérique est frappée par le terrorisme. Le couple masqué oublie alors ses chamailleries précédentes pour s’attaquer à Al-Qaida. Frank Miller, inspiré par le 11 septembre 2001, signe une oeuvre qui peut faire froncer certains sourcils par endroits mais peut-être pas de la manière qu’on pouvait attendre. Tout dépend finalement ce que chacun veut y voir…

Frank Miller’s Holy Terror

[Legendary Comics] Scénario de Frank Miller
Dessins de Frank Miller
Parution aux USA le mercredi 28 septembre 2011

Franchement, j’attendais Holy Terror peut-être pas avec une « terreur sainte » mais en tout cas avec une certaine crainte. L’annonce faîte il y a des années d’un Frank Miller surfant sur une veine revancharde, avec un super-héros allant taper sur du terroriste musulman, ne me disait rien qui vaille. Aussi bien sur le fond (avec les dérapages qu’on pouvait craindre) que sur la forme, sachant que les dernières pages « super héroïques » dessinées par Frank Miller au moment de Dark Knight Strikes Again n’avaient pas été à la hauteur de sa production antérieure. En fin de compte Frank Miller’s Holy Terror fait preuve au contraire d’un retour en force (à plus d’un titre mais on verra plus loin à quel degré) de l’artiste, qui, certes, évoque un peu l’univers du Dark Knight (on voit clairement à quel point le projet a été initié comme une « bat-histoire ») mais lorgne de manière évidente sur le traitement d’un Sin City. D’où une puissance graphique retrouvée qui donne la meilleure aventure super héroïque du dessinateur Miller depuis des lustres. Peut-être est-il aidé par le format atypique, « paysage », qui tourne le dos à la dictature de la page traditionnelle de comic-book (ou de la plupart des graphic novels) et, comme pour 300, joue la carte du bloc épais bousculant la narration habituelle. A mon avis, sur le plan graphique, Holy Terror est même mieux que 300 dans le sens où ici le noir et blanc ambiant (aidé par de rares touches de couleurs) a quelque chose de plus massif.

Là où on « attend » Miller au tournant sur un projet comme celui-ci, bien sûr, c’est sur le scénario et le côté politique et religieux. Parlons d’abord du scénario dans ses grandes lignes. Il est certain que la mise en place est lente. J’entends par là que le temps que le Fixer et son adversaire/amante montent sur le toit et assistent à l’attentat (qui n’est d’ailleurs pas calqué sur ceux de septembre 2001) et réalisent l’ampleur de tragédie, on a déjà passé près d’une soixantaine de pages dans un projet qui en totalise environ 120. On pourrait donc croire qu’on retrouve ici purement et simplement le même Frank Miller qui avait mis un paquet d’épisodes de All-Star Batman à ce que la Batmobile roule jusqu’à la Batcave mais ici la chose semble mieux utilisée. On n’est pas dans le remplissage gratuit d’un vide mais bien dans une mise en scène qui reproduit le choc de l’attaque. Là dessus les avis peuvent diverger, bien sûr, mais globalement ceux qui se souviendront être restés figés devant les images qui tournaient en boucle comprendront sans doute ce que je veux dire en évoquant l’effet produit. Ici on n’est pas devant une voiture qui traîne pour rentrer au garage mais bien devant une réalisation que le cerveau des personnages se refuse à accepter, qui met du temps à s’installer. C’est un parti pris. Ca ne plaira pas à tout le monde sans doute (mais il est certain que Miller assume totalement de ne pas plaire à tout le monde sur un projet de ce genre) mais l’intention est palpable et, clairement, il ne s’agit pas de remplir des pages au hasard. Un petit détour anecdotique sur les relations entre le Fixer et « Cat-Buglar » qui sont décidément plus crues que le tout-venant des rencontres entre Batman et Catwoman. A se demander même – mais sans élément de réponse – si le fait que Catwoman #1 (sorti cette semaine) montre une relation sexuelle entre Bruce et Selina plus directe que d’habitude est réellement une coïncidence où une manière d’essayer de profiter du parallèle. Dur à dire. Je trouve quand même bizarre qu’un comic-book DC touche à ce sujet à quelques jours du moment où un projet initié chez DC quelques années plus tôt va sortir. Mais c’est de toute manière un détail par rapport au sujet de fond.

Ce sujet c’est donc l’Amérique post-9-11 et un héros horrifié par la barbarie de l’attaque qui décide de contre-attaquer et de frapper directement Al-Qaida. Il est certain que Miller ne porte pas les terroristes dans son coeur. Et c’est un fait que les kamikazes qui s’en sont pris à l’Amérique en 2001 clamaient agir au nom de l’Islam. Du coup, les adversaires sont donc des musulmans intégristes et le Fixer s’attaque à eux avec le plus grand mépris, en particulier dans un passage où il ridiculise un prisonnier nommé Mohammed. De là à penser que les musulmans tout court sont méprisés dans l’album, il y a un pas. Que chacun aura le loisir de franchir ou pas. En fait, vu la mise en place longue, on a tout le temps de se convaincre que c’est un peu « les américains contre les musulmans ». Et il est vrai que les flics aperçus ont plutôt tendance à balancer des « sweet Jesus ». Mais, plus tard, vient de la bouche même des terroristes la révélation que tout ça n’a finalement rien à voir avec la religion ou la nationalité. Miller l’a écrit, là, noir sur blanc. De fait, je m’attendais à ce que l’album soit bourré à chaque page de tirades furieuses. Mais quand on veut bien regarder tous les détails, on note que Miller est moins monomaniaque qu’on pouvait le craindre. Quand il montre l’Amérique bouche bée, par exemple, il montre aussi bien des gens de l’Amérique profonde, des politiciens ou encore des « peoples » comme Michael Moore. Miller ne porte très certainement pas ce dernier dans son coeur mais le montre sans le ridiculiser ou le caricaturer. Même s’il est évident qu’en fin de compte quatre pages plus tard l’auteur montre que pendant que les gens parlent des gens meurent. Le coeur de l’album est plus mesuré qu’on pouvait s’y attendre, donc, mais j’ai l’impression qu’une partie des lecteurs auront atteint un équivalent du « point de Godwin » avant d’en arriver là. Le Fixer interrogeant Mohammed en aura sans doute fait tiquer plus d’un. Tout comme la description d’une mosquée fantasmée, sorte de labyrinthe de catacombes qu’on peut trouver au premier degré totalement ridicule MAIS… Mais la scène me fait un peu penser à certains écrits de Philip K. Dick, en particulier quand il évoquait une sorte de survivance de l’Empire Romain. A partir de là il ne me parait pas idiot de penser que plus qu’une ville fictive, plus qu’une chose remplaçant New York ou Gotham, Empire City est un symbole représentant TOUTE l’Amérique. Dans le même symbolisme, le Fixer n’a pas besoin d’aller au Moyen-Orient pour casser du terroriste. Il lui suffit qu’un informateur lui dise où ils se cachent dans la ville même. L’idée, là aussi, peu sembler simplette si on parle de premier degré. Si on la prend comme une sorte d’allégorie, c’est autre chose.

Holy Terror en aura sans doute vexé beaucoup avant d’en arriver au passage où Miller dépasse la notion de guerre des religions. L’album a certaines pages qui font tiquer (c’est la volonté de l’auteur). Mais finalement pas tant que ça ou pas tant qu’on pouvait le croire. Là où les choses se compliquent c’est qu’il y a un ou deux endroits où l’attention se polarise. Avant la première planche de BD, l’album s’ouvre sur une citation qui parle de « tuer l’infidèle ». Plus tard, en épilogue, Miller dédie l’ouvrage au réalisateur néerlandais Theo van Gogh, qui n’est pas directement lié aux événements de 2001 mais fut assassiné en 2004 par un musulman intégriste. Ces deux parenthèses qui englobe la BD en elle-même sont de nature à polariser l’attention et à nouveau, donner l’impression qu’il s’agit de tirer à boulets rouges sur l’Islam. A un moment de l’histoire, après avoir forcé le trait, Miller semble démontrer que ce n’est pas le cas. Mais tout dépend où chaque lecteur place son propre repère de Godwin. Holy Terror porte des éléments de nature à alimenter la polémique. D’autres diront que le projet finalement fourni des éléments de débats. Deux choses sont certaines. D’une part le résultat global dégage une certaine force. D’autre part Frank Miller, un peu à l’image d’un Maurice Pialat au moment de la sortie de « Sous le soleil de Satan », n’a jamais cherché à plaire à tout le monde. En apparence une histoire simple, Holy Terror est une oeuvre beaucoup plus complexe si on veut bien se donner la peine de regarder au delà des apparences. Mais il est certain qu’elle n’engendre pas l’indifférence et qu’on n’a pas fini d’en parler…

[Xavier Fournier]

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