Captain America: Le Soldat de l’Hiver – Stan Lee ou la lumière noire
18 mars 2014[FRENCH] Il est encore là. Stan Lee, l’ancien éditeur-en-chef des Marvel Comics, co-créateur des Fantastic Four, de Hulk, de Spider-Man, des X-Men, de Doctor Strange et d’une horde d’autres héros joue à nouveau le jeu de la « caméo » (de « l’apparition cachée ») dans Captain America: Le Soldat de l’Hiver. De quoi énerver les plus fervents fans de Kirby puisque Lee n’est pas l’un des créateurs de Captain America. Mais cette fois-ci cette apparition se justifie néanmoins bien plus qu’on pourra le dire dans certains cercles…
Dans le contexte…
C’est devenu la tradition. Dans Captain America: Le Soldat de l’Hiver comme dans la plupart des films Marvel le vétéran Stan Lee, ex-figure de proue de l’éditeur, fait une apparition. Sauf en de rares occasions comme Blade ou Ghost Rider, que Lee n’a pas créé directement ou indirectement (c’est à dire qu’outre le fait de ne pas en avoir été le scénariste originel, il ne peut pas non plus se targuer d’avoir supervisé leur lancement, s’étant déjà retiré de l’éditorial au moment où ils ont débuté). Son apparition en 2011 dans Captain America: First Avenger, dans le rôle d’un général, avait agacé dans certaines sphères. Captain America a en effet été créé dans les dernières semaines de 1940 par Joe Simon et Jack Kirby, sans que Stan Lee ait spécialement son mot à dire (à l’époque il n’occupait pas de responsabilité chez Marvel).
Circonstance aggravante, il existe une sorte de contentieux (unilatéral) entre les fans de Jack Kirby et Stan Lee, né des hauts et des bas de la collaboration pour le moins passionnée des deux auteurs dans les années 60. Kirby n’y trouvant plus son compte, il claqua la porte de Marvel en 1970 pour s’en aller chez le concurrent DC. Kirby revint plus tard (en 1976) chez Marvel où il ne fut pas mieux traité : Une bonne partie de ses planches originales (l’équivalent d’une petite fortune) ne lui fut jamais rendue et Marvel ne traita jamais Kirby avec le même égard réservé à Lee. Stan Lee s’était progressivement retiré de l’éditorial à partir de 1972 et n’était plus réellement aux commandes en 1976. Stan Lee n’est pas Marvel… En tout cas pas au delà d’un certain point. C’est à dire que s’il a été responsable d’une certaine exploitation de Jack Kirby au sein de la firme, il n’est pas l’unique fautif. Il ne faudrait pas sous-estimer, loin s’en faut, le rôle de Martin Goodman, propriétaire de Marvel jusqu’en 1968 et superviseur jusqu’en 1972. Par exemple, en 1947, la version officielle de Marvel de la création de Captain America (Secrets Behind the Comics, écrit par Stan Lee mais piloté par Goodman) expliquait comment c’était Goodman qui aurait eu l’idée de Captain America et aurait laissé à de simples faiseurs, par ailleurs pas du tout identifiés, le soin de formuler le personnage d’après ses instructions. Autant dire que Goodman en « créateur » de Captain America est un délire bien éloigné de la réalité. Et le traitement de Kirby par Marvel à partir de 1976 relève de Cadence Industries et des autres propriétaires qui se sont succédé depuis. Il ne s’agit surtout pas de laver Stan Lee de toute responsabilité mais de rétablir un fait. Lee n’est pas, à lui tout seul, l’incarnation du côté obscur de Marvel. Et malgré une confusion souvent faite (peut-être justement parce que le visage de Lee en est venu à représenter Marvel), Stan Lee n’a pas volé l’argent du à Kirby et ses héritiers. Le scandale n’est pas que Stan Lee reçoive de l’argent de la part de Marvel mais que Kirby et sa famille n’en reçoive pas autant de la part de la firme (ce qui n’est pas tout à fait la même chose).
Création participative ?
Stan Lee n’a pas créé Captain America (et n’a d’ailleurs jamais prétendu le contraire) mais il a été partie prenante dans son retour, voici une cinquantaine d’années, dans les pages d’Avengers #4 (1964). D’ailleurs il semble que l’idée le travaillait dès le renouveau de Marvel en 1961. Il existe en effet une réponse à un courrier de lecteur envoyée juste après la parution de Fantastic Four #1 où Lee explique à son lecteur qu’il est question, déjà, de ramener Sub-Mariner et Captain America. Ressusciter le porteur de bouclier était donc au programme… avant même que Kirby et Lee inventent Hulk, les Avengers et bien d’autres héros. Ensemble, Kirby et Lee ramenèrent un personnage finalement bien différent de celui des années 40, en expliquant qu’il avait passé des décennies en hibernation et en se réservant un certain droit d’inventaire (par exemple en le débarrassant de son jeune partenaire Bucky ou en décidant, plus tard, que son bouclier rond avait toujours été indestructible). Par la suite, avec et sans Jack Kirby, Stan Lee signa une légion d’épisodes de Captain America. Captain America: The First Avenger contenait donc un certain nombre d’éléments (l’hibernation, le bouclier rond indestructible, la scène de la mort de Bucky, quand bien même différente…) que Stan Lee a contribué à créer, au moins de façon collaborative. De ce fait sa présence dans Captain America: The First Avenger n’était pas plus étrange ou contre-nature que celle de Joseph Michael Straczynski dans le premier film de Thor (parce qu’il a inspiré la scène où le marteau tombe au beau milieu de l’Amérique, avec le « concours » pour le soulever) ou que les nombreuses références à des auteurs comme Quesada ou Mack dans le film Daredevil. Bien sûr, en énonçant cette vérité nous aurons sans doute perdu quelques intégristes partisans de « Jack Kirby a tout fait et Stan Lee c’est le mal » mais c’est l’explication qu’on peut trouver au passage de Lee dans First Avenger. Bon. D’accord. Va pour le précédent film de Captain America. Mais dans ce cas-là, que fait Stan Lee dans « the Winter Soldier », alors que l’intrigue, ne serait-ce que par son titre, fait amplement référence à une saga écrite par Ed Brubaker, des décennies après que Lee ait cessé d’écrire la série pour Marvel ? Oui mais…
Le réel apport…
Stan Lee n’a pas toujours bonne presse dans le « fandom » des comics, certains allant jusqu’à avancer qu’il n’a *jamais* rien produit ou réellement écrit de ses mains. C’est pourtant impossible. Même en admettant que Jack Kirby ou Steve Ditko, des artistes très autonomes, auraient *tout* produit [1], laissant à Lee le seul rôle de dialoguiste, Lee n’en a pas moins continué les séries en questions avec d’autres dessinateurs tels que John Buscema, Gene Colan ou John Romita Senior qui n’ont jamais revendiqué beaucoup d’apport scénaristique. Même en voyant les choses à l’extrême, en imaginant que Lee serait resté les bras croisés pendant des années, il y a un point où Captain America n’est plus sous la houlette d’un Kirby mais passe, forcément, sous celle de Stan Lee. Et c’est là qu’on trouve Le Falcon ! Stan Lee scénarisa les débuts de Samuel Wilson dans Captain America #117 (Septembre 1969) ce qui, d’emblée, justifie totalement que l’auteur rempile pour une caméo dans ce nouveau film qui lance également le Falcon dans l’univers « cinématique » des Studios Marvel (tout au plus on pourrait regretter que la caméo en question ne le confronte pas plus directement avec le personnage qu’il a créé et reste assez vague dans son lien avec la mythologie de Captain America). Il faut le souligner : dans les années 60, alors que le seul « héros de couleur » chez le concurrent DC Comics était le Martian Manhunter (ayant la peau verte puisqu’extra-terrestre), Stan Lee a fait un choix répété sur trop de séries pour qu’on puisse y voir le fruit du hasard. Co-créateur (avec Kirby) de Black Panther dans les pages de Fantastic Four ou de Gabriel Jones (Sgt. Fury and his Howling Commandos); Stan Lee est aussi derrière les apparitions de Joe Robertson et du Prowler (le Rodeur) dans les pages d’Amazing Spider-Man. Il lance le Docteur Bill Foster (futur Black Goliath) dans Avengers #32, en 1966. Il est encore derrière l’utilisation d’Al Harper, un scientifique noir qui aide le Surfer d’Argent (Silver Surfer #5, 1968) et se sacrifie même pour sauver la Terre, avec un discours où Harper fait partie des gens qui peuvent comprendre le Surfeur car… lui aussi se heurte à l’intolérance.
Lee est également le scénariste de « Brother, Take My Hand! » (Daredevil #47, 1968) où le super-héros aveugle aide un vétéran noir, Willie Lincoln. Dans ces conditions le lancement et le façonnage du Falcon dans Captain America (d’après une idée de Gene Colan) n’a rien d’un hasard. C’est aussi Lee qui décidera rapidement de faire de Sam Wilson le partenaire (et pas le « sidekick » de Captain America et de le conserver durablement dans la série. Stan Lee, encore, écrivait et éditait la série quand il décida de la transformer et de la renommer Captain America And The Falcon, consacrant au moins pour un temps son importance et ce côté « frère d’arme » de Steve Rogers. Dans le contexte de l’époque ce n’est pas rien. Stan Lee, apôtre actif de la diversité dans les comics alors que d’autres réservaient tout au plus des rôles de faire-valoirs aux « noirs » et aux « jaunes » (j’utilise les guillemets à dessein, car les autres auteurs du moment faisaient de cet aspect une définition exclusive) a donc tout à fait sa place dans un film qui voit pour la première le Falcon voler sur grand écran. Sans Stan Lee nous n’aurions pas connu le Falcon (ou en tout cas pas sous cette forme) et la diversité dans les comics aurait pris au bas mot une décennie de retard…
[Xavier Fournier] [1] Et ce serait discutable puisqu’il existe des traces de certains scénarios écrits ou de retouches, d’idées refusées ou reformulées par Lee, dont la revue The Jack Kirby Collector (qu’on ne peut réellement accuser de prendre le parti de Lee contre le « King ») s’est fait l’écho.
On ne le voit pas dans les films « Wolverine » non plus.
Et j’avais entendu qu’ils avaient fait revenir le Captain en ’64, dû aussi à la mort de JFK 5 mois avant, pour représenter un symbole et icône de la nation aux Américains ?!
Hello Mar Vell. En fait non, c’est plus compliqué que ça. Mais on en reparlera rapidement sur le site 😉
Joli playdoyer!
Pas « playdoyer », ce qui reviendrait à endosser le rôle d’avocat. L’homme a ses zones d’ombres, assurément. Mais dans le cas présent il a aussi fait des choses biens.
bien entendu mais J’exagère toujours quand je m’exprime, c’est une seconde nature. J’aime placer les mots hors de leurs contextes, ce qui m’amène sand doute à passer pour un inculte auprès de ceux qui choisissent les leurs avec soin.
Néanmoins vous articles sont si documentés (ce qui dans le domaine du comics est très rare) que celui ci fait presque office de contre expertise.
Votre témoignage est assurément favorable à la défense…
C’est à dire que.. Dans mon idée il n’y a pas de « défense » qui tienne puisque pas de procès possible. En tout cas pas sous cet angle. Je ne fais qu’expliquer en quoi sa place n’est pas volée pour la caméo dans Captain America II 🙂
Je sais, je voulais m’amuser un peu en continuant dans le registre des « métaphores » juridiques…
Quoi qu’il en soit je suis vraiment régulièrment bluffé par les documents « historiques » que vous sortez dans le magazine et ici. Enfin je suppose que votre métier de journaliste (pour le coup d’investigations) y est pour quelque chose…
Bonne continuation…
Très bon article,et merci de rétablir quelques vérités sur Stan Lee (sans enlevé évidemment les apports énormes de Kirby ) !
Mise au point très instructive sur le bonhomme ! Une question : on connaît le contexte politique international dans lequel Captain America a été créé, ses auteurs étant juifs et particulièrement sensibles, même si cela restait sûrement très vague, aux événements subis par l’Europe, mais y a-t-il un contexte politique particulier pour que Captain revienne en 1961 ? Autrement dit, est-ce que c’es la Guerre Froide qui a ranimé le super-héros ?
Il est réapparu pendant la « guerre froide », c’est certain mais aussi et surtout alors que l’Amérique était engagée dans un conflit en Asie. La lettre de Stan Lee en 1961 laisse cependant entendre qu’ils auraient ramenés Captain America de toute façon puisque c’était un des personnages les plus « bankables » du Golden Age. Si on y regarde bien, dans les années 60 Iron Man est plus politisé que Cap…