L’évènement culturel de la rentrée à Nancy, c’est le festival Souterrain Porte VI, consacré cette année aux Heroes. Sur l’affiche un Captain America annonce la couleur. Organisé par Matéria Prima Art Factory et la Maison Close, ce bouillonnement créatif et intellectuel donne tout simplement une place de choix aux super-héros. Un brassement créatif qui annonçait 4000 m2 d’exposition, des concerts, des performances… En fait le programme semblait tellement diversifié que je ne savais pas trop à quoi m’attendre en acceptant l’invitation. Mercredi 28 septembre, je m’installe donc dans le train, en route vers un (relatif) inconnu. Et puis tant qu’à faire je décide de profiter du voyage pour profiter du voyage. L’ordinateur s’allume. Le terme « super-héros » apparait sur les premières lignes de mon article… et mon voisin de fauteuil tique : « Je crois que nous allons au même endroit ». Je réalise que je suis assis à côté d’un sociologue par ailleurs grand amateur de comics, trop heureux de se rendre à un endroit où, chose rare, il va pouvoir conjuguer ses deux passions. Me voici donc d’emblée dans le bain. Je réalise que le Colloque Interdisciplinaire: Mythe du surhomme et volonté de puissance, de Achille à Captain America » va nous permettre quelques rencontres assez étonnantes… J’espère qu’on voudra bien m’excuser l’effet « listing » du résumé de ces interventions mais il m’a paru plus judicieux de traiter tous les intervenants par ordre d’apparition, pour mieux faire ressortir les contrastes entre les approches…
Quelques heures plus tard, c’est avec Thierry Rogel (Professeur en Sciences Economiques et Sociales) que le colloque démarre véritablement, dans l’amphi du Museum Aquarium de Nancy. La salle est presque vide (il faut dire qu’en semaine peu de personnes auront pu se libérer) mais qu’à celà ne tienne, les participants sont d’emblée très intéressés par le champ d’expertise des autres. Thierry Rogel aussi se trouve être un lecteur de comics, qui prépare par ailleurs un livre (prévu pour 2012) sur la sociologie des super-héros, plus particulièrement sur un « Silver Age » de Marvel délimité par les années 1961-1973. Sa présentation, ce jour-là, repose plus particulièrement sur « le corps fragile du super-héros », c’est à dire, en fait, l’étude du talon d’Achille du super-héros, qu’il s’agisse de la célèbre kryptonite où des problèmes cardiaques d’Iron Man. Un « stigmate » que Thierry Rogel analyse via le prisme de la sociologie et de la psychosociologie. Il s’intéresse à tout ça sans réduire le super-héros à ce qu’il n’est pas mais en l’élevant au rang d’une sorte de rébus sociologique, avec des interprétations à mon sens inédites (y compris le sens qu’il donne à certaines scènes du film X-Men First Class). D’emblée, donc, on est en face de quelqu’un qui connaît bien les deux facettes du sujet. c’est du haut vol…
Du haut vol ? Ce n’est que le début ! Gérald Bronner (Professeur de Sociologie de l’Université de Strasbourg) lui succède sur l’estrade pour s’intéresser à la notion d’héroïsme. Les fidèles lecteurs de Comic Box se souviendront d’avoir entendu parler de Gérald Bronner dans nos pages. Il est l’auteur du roman « Comment je suis devenu Super-Héros ». Et donc, également, un sociologue. Lui s’intéresse alors, pendant son intervention, à la « radicalité morale » des super-héros. A partir de quel point est-on un héros ? Quand ne le sommes-nous plus ? Lui aussi maîtrise bien son sujet. Au point de bientôt définir une courbe de notre aptitude (ou de notre inaptitude) à l’héroïsme à travers une étude faîte avec le concours de ses élèves lors d’un exercice dérivé du « Jeu de l’Ultimatum ». Difficile de résumer dans ces quelques lignes la portée de cette logique mais ceux qui suivent la rubrique Docteur Psycho dans Comic Box auront compris que là, c’est une approche qui la dépasse au moins à la puissance 3 !
Etienne Armand Amato est (entre autres choses) Directeur en Sciences de l’Information et de la Communication. Il s’intéresse plus particulièrement aux avatars, expliquant comment « avec les jeux vidéos les héros anciens ou contemporains sont descendu de leur panthéon médiatique ». Dès lors ce chercheur s’intéresse à ce que devient l’être ordinaire quand il a la possibilité de vivre dans la peau du héros. Et si la démonstration s’appuie plus particulièrement sur une étude de Fall Out 3, elle reste totalement pertinente pour les comics. On peut la transposer sans aucun mal sur des hordes de lecteurs qui se projettent chaque mois dans les aventures de leurs héros préférés même si, bien sûr, l’interactivité n’est pas du même ordre…
Ewen Chardronnet est auteur, artiste et curateur de formation journalistique qui s’intéresse plus particulièrement aux tentatives des militaires de créer un super-soldat. Dès son entrée en matière et l’appartion d’un lobo « Molécules de combat » sur écran géant, on est plongé dans un monde où les armées ne sont finalement pas si loin de créer un surhomme à mi-chemin entre Steve Rogers ou Deathlok. Ewen Chardronnet rythme sa démonstration d’extrait de documentaires, nous parle des expériences sur les drogues, sur les possibles tenues du futur. A sa manière, sans réellement insister sur l’aspect comics, il explique cependant ce qu’il y a de réel derrière des personnages façon Captain America. Ce qui a déjà été tenté, ce qui a fonctionné (ou tout au moins a été utilisé) et ce qui nous attend à courte échéance…
Vient alors Eric Maigret, Professeur à l’Université Paris III, la Sorbonne Nouvelle, qui commence son exposé en expliquandt comment, à une époque, il était difficile de vaincre les réticences, de faire des recherches sur les comics où leurs héros. Il fallait passer par un jeu de définitions pour pouvoir enquêter sur ce sujet. Mais comme le prouve le colloque de Nancy, la chose s’est non seulement débloquée, les chercheurs peuvent maintenant comparer leurs idées et informations. Eric Maigret, lui, s’intéresse, pour cette discussion, aux zombies et plus particulièrement aux Marvel Zombies (même si une bonne place est réservée à Walking Dead ou à Blackest Night). Même Deadman et Brother Voodoo sont de la partie ! Son approche est, elle aussi, totalement intéressante, démontrant que ce genre de séries se rattache, à un certain niveau, à une remise en cause de la masculinité (forcément, réduit en trois phrases, mon résumé ne sera sans doute pas très descriptif de la force de l’idée mais les textes du colloque seront publiés d’ici quelques mois et reprendre, entre autres, cette notion de manière bien plus détaillée que je suis en mesure de le faire).
Les super-héros existent. Aux Etats-Unis les « Real Life Super-Heroes » se comptent désormais par centaines. Le photographe Pierre Elie de Pibrac en a rencontré plusieurs et tiré une série de photos (fort logiquement exposées lors du festival). Mais ce jour-là, à Nancy, il n’est pas venu tout seul. Deux RLSH américains, Life et Nyx, l’ont accompagné. Avec Phil Von Magnet (qui traduit la discussion) et de Gérald Bronner (qui l’anime), les deux super-héros expliquent alors leur quotidien, qui ils aident et comment, la nature de leurs relations avec les autorités. Il se s’agit pas de bouffons costumés mais de gens qui veulent agir en gardant bon esprit. La rencontre est simple, loin des caricatures et les deux héros se livrent avec humilité, en répondant aussi aux questions du public. Cette dernière rencontre marque la fin de la première journée mais (regardez le menu des premières conférences) témoigne bien de la diversité et de la richesse de l’événement.
Le point central des manifestations de Souterrain Porte VI se trouve au Totem, lieu culturel qui pour le coup accueille des reproductions géantes des photos de Pierre Elie de Pibrac mais aussi de nombreuses oeuvres d’artistes contemporains. Les rideaux de fer sont repeints à l’effigie de V For Vendetta ou des Watchmen, des choses plus symboliques ornent certains murs. L’endroit est étrange et ne s’interdit rien.
Dans le cadre du festival les concerts ont également une place de choix. Et forcément il faut bien que, parmi les groupes de rock qui passent certains musiciens aient des T-Shirts « The Thing ». Même sur la scène (par ailleurs endiablée) on n’échappe donc pas aux super-héros ! Et dans un autre coin un étrange performer prend un bain dans… 600 kilos de verre brisé (Kids: n’essayez pas ça à la maison)…
Justement c’est ce performer que nous retrouvons pour le deuxième jour du colloque. Au demeurant son intervention pourrait surprendre et paraître iconoclaste (ce qui ne serait d’ailleurs sans doute pas pour déplaire à l’homme, toujours intéressé par les réactions qu’il génère). Yann Marussich est un artiste qui explore les limites de sa résistance en se plaçant dans des situations parfois extrèmes (c’est l’exemple du verre brisé de la veille) mais aussi interactives puisque souvent le public peut intervenir. Au demeurant quel rapport avec le super-héroïsme ? Au début la chose parait lointaine mais on comprend vite que, d’abord, Yann Marussich fait un certain don de lui-même, qu’il dépasse les limites de son énergie et de sa résistance. Et que ses installations remettent souvent en cause les notions de bien et de mal (ceux qui veulent l’aider et le tirer de pièges obtenant parfois le résultat inverse). Pas de la sociologie, pas de lien avec les comics mais assurément un autre angle pour voir des choses communes…
Philosophe et professeur en Epistémologie, Bernard Andrieu s’intésse aux avatars du corps. Non pas les avatars de jeu vidéos comme pour la conférence d’Etienne Armand Amato mais bien les extensions du corps. On entre alors de plain pied (encore que l’expression est peut-être mal choisie) dans la question de la prothèse, du cyborg, de la mutation interne. Et, très directement, Bernard Andrieu pose la question de savoir « comment être dans le corps des héros ». Terminator ou Steve Austin n’ont alors qu’à bien se tenir…
L’anthropologue Daniela Cerqui intervient ensuite pour parler du post-Humain et des expériences passées et présentes pour s’implanter des puces électroniques. Une pratique qui peut aussi bien servir à se faire ouvrir la porte d’un club privé en Espagne qu’à gérer par sa simple présence le comportement de son bureau ou de sa maison. En fait, elle montre alors certains des chercheurs les plus impliqués dans cette question, qui cherchent à arriver, via l’implantation, à une réinvention de l’être humain. Et si tout ça pourrait paraître abstrait à certains, l’anthropologue peuple son exposé d’allusions à des oeuvres de fiction comme Terminator 4 (opposition du cyborg à cerveau humain mais corps mécanique et du robot à apparence humaine).
Puis que le colloque traite globalement du super-héros, comment ne pas parler de Superman, donc de Surhomme, donc de Nietzsche ? Maitre de conférence en Philosophie à l’Université de Nancy II (et directeur du département de Philosophie de la même université) Christophe Bouriau vient alors parler pendant une heure des travaux de Nietzsche dans ce qu’ils ont de meilleur et de pire, idéologiquement parlant. Et il tente alors de décrypter en quoi le Surhomme de Nietzsche précède Superman mais aussi en quoi ils sont totalement opposés. Un autre point de départ fascinant pour réfléchir au surhomme…
Jean-Marc Lainé, bien connu des amateurs de comics, intervenait lui pour parler plus précisément de l’oeuvre de Kirby (fort judicieusement défini comme l’équivalent pour la BD américaine de ce qu’Hergé a été à la Franco-Belge) et de l’évolution de la philosophie de l’auteur à travers les décennies. On passait donc en revue la création de Captain America, des Fantastic Four, des New Gods, des Inhumans où même l’héritage de Kirby dans des séries comme Kirby Genesis. Un côté assurément plus BD qui semblait captiver les chercheurs présents (plusieurs prenant des notes, peut-on espérer que Kirby est destiné à apparaître comme référence dans encore plus de travaux universitaires ?).
Sur la dernière conférence du colloque… on me permettra de ne pas l’évoquer, ne pouvant pas être à la fois juge et partie (puisque c’est l’auteur de ces lignes qui finissait l’ultime journée avec « Le super-héros : un être d’exception). Je me tiendrais donc à mon sentiment de « spectateur » sur ce à quoi j’ai pu assister pendant deux jours à Nancy : une puissance et une diversité de points de vue qui montre à quel point la science et l’imaginaire sont connectés. Effectivement, comme le disais Eric Maigret lors de son exposé, je me souviens d’une époque encore récente (et d’une pratique sans doute encore en vigueur dans certains cercles) où les seules recherches sur les super-héros ou les comics devaient être seulement à charge (plusieurs stagiaires m’ayant raconté leurs difficultés à faire accepter ne serait-ce que le sujet). Il ne faudrait pas non plus tomber dans l’excès inverse et clâmer que tout est beau, tout est bon dans le super-héros mais des rencontres comme celle qui avait lieu à Nancy cette semaine sont rares en France et donnent vraiment des tonnes d’idées pour explorer le sujet. En clair, j’ai l’impression d’être revenu avec des pages entières de sujets potentiels pour de futurs articles. Non pas en recopiant ce qu’a pu dire le voisin mais bien parce chaque interrogation menait à de nouvelles pistes. Tout en remerciant Matéria Prima Art Factory (et plus précisément Didie Manuel et Virginie Gabriel) pour l’invitation à ce rendez-vous si particulier, j’espère que ce colloque en déclenchera d’autres du même type. Quand à ceux qui, à travers mes simples (et forcément très réducteurs) énoncés auront compris la pertinence des rencontres, qu’ils ne se lamentent pas trop s’ils ont manqué ces conférences. Les textes seront regroupés dans un livre à paraître en 2012 et qui devrait lui aussi bouillonner d’idées et de référence. De quoi fermer le clapet à ceux qui vous diront que les super-héros sont un truc naïf dont il n’y a pas grand chose à tirer !
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