Comic Box Virgin #56 – Berlin, ville de fumée
15 octobre 2009[FRENCH] Déjà à la sortie du tome 1 de Berlin de Jason Lutes, la plupart des gens criaient au chef d’œuvre. Et bien sachez qu’à l’heure où le tome 2 vient de sortir, il n’y a pas de raison que ça change ! Car à la lecture de ce roman graphique de plus de 200 pages, on n’est absolument pas déçus ! Le dessin en noir et blanc est toujours très ciselé, très précis, plein de détails et de contraste. L’auteur y prend autant de cases qu’il lui en semble nécessaire pour décrire une action (quitte à faire deux pages sur un musicien de jazz qui joue de la clarinette). Et ce, qu’il s’agisse d’une scène de rue ou d’intérieur, d’une cour plein de bâtiments ou d’une chambre dépouillée. Le tout en étant passablement original, et sans une seule once de nombrilisme comme on peut y avoir droit constamment dans la BD américaine dite « indépendante ».
Au contraire, Berlin est un album qui fait réfléchir son lecteur et tâche en finesse de lui faire comprendre une période et une ville : le Berlin des années 30. Les héros de Lutes, tous très différents, s’y croisent et s’y entrecroisent allègrement. On en voit un avancer et hop, on passe à un autre, un peu comme dans un train avec différents compartiments. C’est ainsi qu’on rencontre notamment Joséphine Baker, des pauvres, des juifs, des enfants, des musiciens noirs américains, des prostituées, et même des flics qui flirtent avec le Parti National Socialiste allemand et font des cauchemars après avoir tué des gens ! Bref, cette galerie de portraits est une très jolie fourmilière et l’on s’attache à chacun de ses membres. On voit comment la ville broie les uns et amuse les autres, sert de refuge ou de repoussoir. Tout ça avec en toile de fond la crise de 29, les banques qui lâchent les petites gens, toutes ces choses qui aujourd’hui encore restent malheureusement d’actualité ! Et puis, bien entendu, tout au long de l’album, le conflit d’idées entre les rouges et les noirs qu’on a un peu tendance à oublier aujourd’hui, mais qui a bien marqué le XXème siècle… Pauvres gens tentés par le communisme, bourgeois nationalistes, intellectuels perdus dans cette période trouble, on se demande forcément dans quel camp on se serait trouvé si on avait eu à choisir… Alors certes, on peut reprocher à l’auteur un manque d’action évident et un rythme un peu lent dans le développement de son histoire. Mais des albums aussi beaux et aussi intelligents que celui-ci on n’en lit pas tous les jours, alors on lui pardonne ! Et on se dit vivement la suite !
[Rebecca Frati]