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Dennis O’Neil (1939-2020)

Le scénariste Dennis O’Neil s’est éteint hier. Né en 1939, il avait le même âge que Batman, personnage a qui il a tant apporté. Mais Denny O’Neil c’est un continent des comics à lui tout seul. Celui qui a écrit Green Lantern/Green Arrow (sans doute l’une des périodes les plus fameuses pour les deux personnages) et un éditeur de génie, qui a supervisé des gens comme Frank Miller.

Dennis O’Neil était journaliste avant de débuter une seconde carrière dans les comics dans la seconde moitié des années soixante. A l’époque ce profil était atypique. La plupart des pros des comics étaient soient des gens qui travaillaient dans ce milieu depuis le Golden Age, soit des fans qui commençaient a former la seconde génération d’auteurs mais qui étaient, pour la plupart, arrivée directement de l’étape du « fan » à celle de « pro ». Parrainé par Roy Thomas, O’Neil est au contraire arrivé dans les comics sans trop y croire, en ne pensant pas y rester, travaillant surtout sur ce qui était à l’époque des « épisodes de dépannage ». Il faut dire que le premier script d’O’Neil paru était une histoire de Millie the Model (en 1966) et que cela n’aidait sans doute pas à penser à la postérité. Pareil pour quelques épisodes parus chez Charlton où O’Neil lui-même y croyait si peu qu’il signait « Sergius O’Shaughnessy ». Enfin oui et non. Quand on vous demande de « dépanner » en scénarisant Doctor Strange ou Daredevil, ca pose les choses. O’Neil, par exemple c’est essentiellement le scénariste qui est passé derrière Steve Ditko sur Doctor Strange et qui a formé la relation entre le bon docteur et sa chère Cléa (avant lui, la romance était à peine esquissée). Quand il s’agit d’écrire un épisode des X-Men « pour dépanner », que cet épisode marque la résurrection du Professeur Xavier (mort quelques années plus tôt) et que le numéro est dessiné par Neal Adams, il y a des « dépannages » qui s’inscrivent dans l’Histoire des comics, à plus forte raison quand cela marque le début d’une collaboration marquante avec Adams.

Passé chez DC Comics, O’Neil prend la suite de John Broome sur Green Lantern, retrouve le dessinateur Neal Adams comme compère et transforme profondément la série et le personnage. L’ancien journaliste a une fibre sociale. Un héros cosmique ? Pourquoi pas… mais dès lors qu’il s’intéresse quand même aux choses qui se passent sur Terre. Green Arrow s’invite dans la série, passe un sermon à Hal Jordan et tous les deux prennent la route pour s’intéresser à ce qui se passe en Amérique. Un Green Arrow qu’O’Neil va d’ailleurs profondément reconfigurer. Le Green Arrow moderne, celui que les gens préfèrent, c’est celui qui est apparu sous la plume d’O’Neil. Avec Green Lantern, il forme un tandem improbable mais dont l’alchimie est immédiate et demeure encore aujourd’hui.

Et pas qu’eux deux. O’Neil, à peine trois ans après être « entré » dans les comics, devient le scénariste de la Justice League. C’est aussi celui qui décide de l’arrivée de Black Canary (jusque-là perso secondaire dans une Justice Society qui n’avait plus de série fixe) dans les rangs de la Justice League of America. Comme des dominos s’alignant, les décisions de l’auteur vont précipiter Green Arrow et Black Canary chacun dans les bras de l’autre, faisant d’Oliver et de Dinah des personnages bien plus populaires. Amusez-vous a regarder à la télévision, dans l’Arrowverse moderne, tout ce qui descend d’une décision de Dennis O’Neil et vous aurez des surprises en mesurant l’influence de ce scénariste. Et pas que là…

Qu’on ne s’y trompe pas ; ce que fait O’Neil a partir de la fin des années soixante, c’est ni plus ni moins du Watchmen avant l’heure. Comprenez par là pas seulement qu’Alan Moore a digéré des scénarios d’O’Neil avant de produire les siens (ce qui est le cas) mais qu’O’Neil, dès cette époque, est déjà en train de mettre sur la table tous les éléments de Watchmen sans que les générations plus tardives le réalisent forcément. A relire ses dialogues de Green Lantern/Green Arrow, ces scènes où le puissant est indécis et où l’humain tempête de le voir gâcher son pouvoir, il y a déjà du Docteur Manhattan/Rorschach ou du Docteur Manhattan/Comedian dans les interactions entre Hal et Oliver.

Quand à Silk Spectre, officiellement dérivée de la Nightshade de Charlton, elle doit beaucoup à Black Canary telle que Dennis O’Neil l’a réinventé. Et puis côté pertinence sociale, O’Neil va renverser la table en faisant de Roy Harper, alias Speedy, un junky, l’un des premiers occasions (en vis-à-vis de quelques épisodes de Spider-Man) où les comics vont parler du fléau de la drogue. L’écriture d’O’Neil est sociale, politisée, dans le contexte de l’époque elle est activiste et passe autant de choses que possible à cette époque… Même la confrontation Superman vs. Muhammad Ali (qu’il produit avec Neal Adams) a un poids politique dans le contexte du moment.

O’Neil signe aussi bien d’autres épisodes devenus des classiques (trop pour être énumérés de façon exhaustive). Il scénarise World’s Finest Comics #198 (1970), soit la grande course Superman/Flash. Il reprend en main l’écriture de Batman et c’est lui, à bien des égards, qui va réinventer le Batman d’après la série « kitch » des années soixante, l’orientant vers un registre plus sombre. O’Neil, c’est celui qui invente Ra’Al Ghul, sa fille Talia… c’est aussi celui qui écrit « There Is No Hope in Crime Alley », un regard marquant sur l’origine du héros mais aussi la première apparition de Leslie Thompkins. O’Neil écrit aussi les aventures de Superman. Il est derrière la relance de l’ancien Captain Marvel (Shazam) chez DC Comics.

Dans les années 80, O’Neil est à la fois éditeur et scénariste. C’est lui retire l’armure d’Iron Man à Tony Stark pour la donner à Jim Rhodes. Car O’Neil est profondément attaché à l’émergence de plus de héros afro-américains dans les comics. Déjà, dans ses épisodes de Green Lantern, il a cocréé le personnage de John Stewart. C’est O’Neil, aussi, qui reprendra l’écriture de Daredevil après le départ de Frank Miller du titre. Et pas seulement car – avec la casquette d’éditeur – c’est lui qui a supervisé les épisodes de DD par Miller ou des choses comme Ronin. Revenu chez DC Comics, O’Neil va reprendre l’écriture de The Question et créer le personnage d’Azrael…

Et donc Denny O’Neil est mort. Et donc un géant des comics s’en va. Et donc, celui qui incarnait la voie sociale, active, pertinente de la jonction de la fin des années soixante/soixante-dix s’en est allé. Allez, si, vous savez bien, cette fameuse pertinence que les adversaires des comics nous ont si souvent refusé, en nous expliquant que les comics ne sont que premier degré, que superpouvoirs débranchés de tout. Cette pertinence qui fait que d’autres, aujourd’hui, hurlent à la mort en nous parlant d’une époque rêvée où, apparemment, les comics ne s’intéressaient pas aux messages sociaux. Quiconque aujourd’hui vient vous dire que les comics n’ont rien à voir avec les mœurs et la politique est totalement passé à côté de l’œuvre de Dennis O’Neil.

Et donc, le travail d’O’Neil lui survit. Et donc elle demeure, là, comme le plus beau testament, une énorme pile de comics avec du sens, à opposer à ceux qui ne font pas la différence entre les histoires de super-héros et les albums de Martine. Et donc Denny O’Neil est toujours là. Son ombre demeure, sur les épisodes de Batman publiés ce mois-ci où dans les années à venir, dans les dessins animés, les séries TV, les jeux vidéo. Et donc il fait bon lire et relire, découvrir et redécouvrir, Denny O’Neil, comme une manière de partager avec lui un clin d’œil entendu.

Well done Dennis. Le rêveur est parti mais le rêve persévère…

Xavier Fournier

Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.

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