Disparition de Darwyn Cooke (1962-2016)

[FRENCH] Darwyn Cooke, dessinateur, scénariste et storyboarder de génie s’en est allé. Son entourage venait de communiquer sur la gravité de sa maladie. Auteur énormément reconnu pour des projets comme The New Frontier, Cooke restera à n’en pas douter une influence déterminante dans les décennies à venir.

C’est un maître qui nous quitte. A chaque nouveau projet de Cooke, c’était à l’unanimité un évènement. Artiste au trait très reconnaissable, son itinéraire dans les comics avait pourtant d’abord été fait de rendez-vous manqués : repéré dès 1985 dans la maxi-série New Talent Showcase, le jeune canadien Darwyn Cooke peine d’abord à se faire une place dans ce milieu. De guerre lasse, il se recentre donc sur des aspects plus commerciaux, devient maquettiste, graphiste puis directeur artistique dans le monde de la presse. Autant dire qu’il semble perdu pour la BD. D’autant qu’il a des aspirations rétro ou tout au moins classiques qui vont assez mal avec le dark’n’gritty ambiant à l’époque. Il n’y reviendra au monde des comics – et indirectement – dans la décennie suivante, quand il sera recruté par Bruce Timm pour concevoir les storyboards des dessins animés de Batman et Superman. Là, pour le coup, c’est une véritable compatibilité qui se dégage, entre les personnages les plus iconiques de DC et le trait si élégant de l’artiste. Cooke se fait alors un nom et la donne n’est plus du tout la même quand il discute de nouveaux projets avec l’éditeur de comics. C’est d’ailleurs ce dernier qui vient le chercher et non l’inverse. Cooke est alors en position de force et cette relation déboucher sur une graphic novel, Batman: Ego (2000), qui lui remet le pied à l’étrier. Bien vite, les contributions de Cooke chez DC ou Marvel deviennent de véritables événements, parmi lesquels on peut distinguer certaines rencontres. Avec Ed Brubaker, par exemple, Darwyn Cooke va ainsi réorienter Catwoman, la faire sortir d’un côté bad girl stéréotypé pour aller vers quelque chose de plus racé, qui lorgne aussi vers l’ambiance polar des Fifties.

Avec DC: The New Frontier (2004), qui reste l’un de ses projets les plus connus, les plus emblématiques, Cooke signe une véritable pierre angulaire, qui tient tête au jeunisme de l’époque. Il réutilise tous les héros du début du Silver Age en insistant sur le véritable contexte de l’époque (la Guerre Froide) sans se séparer de son trait, de ces expressions trouvées lors de son passage dans l’animation. C’est un succès, une consécration, qui fait qu’à partir de là l’artiste sera une référence pour ce qui est des ambiances « vintages » mais pas pour autant poussiéreuses. Il enchainera ainsi sur un crossover Batman/The Spirit puis sur
une relance du Spirit en solo. Et c’est là, aussi, qu’on prendra la mesure du bonhomme. Passer derrière Will Eisner sur le Spirit, ce n’est pas évident. La plupart de ceux qui se s’y sont essayés se sont brulés les ailes ou ont laissé un travail pas toujours mauvais mais vite oublié, dans l’ombre du créateur du personnage. Le casting de Cooke pour cette série est au contraire une évidence, à la fois pour la finesse de son approche mais aussi pour l’excellent image de marque (pas seulement de l’artiste mais aussi de l’être humain) de Cooke. Il s’éloignera un temps des super-héros pour une extension logique : aller encore plus loin dans le polar et ainsi, chez IDW, mettre en image Richard Parker, personnage de romans policiers de Donald Westlake. Cette manière d’être reconnaissable au premier coup d’œil, de ne rien céder de sa personnalité graphique sur ce genre de projet, mais aussi, dans le même temps, de respirer l’honnêteté, fera que Cooke sera aussi un élément de choix du dispositif de DC Comics au moment de se lancer dans Before Watchmen. A bien des égards un sacrilège à l’attention d’Alan Moore, Before Watchmen repose en effet pour une bonne partie sur Cooke, qui est le scénariste et le dessinateur des Minutemen (le projet le moins attaquable puisque même Moore et Gibbons l’avaient un temps envisagé) mais écrit aussi Silk Spectre. Parmi ses travaux moins connus, il y aussi un épisode du Shade de James Robinson, en 2012, qui utilisait le personnage travesti de Madam Fatal.

Darwin Cooke, c’est aussi une influence marquante que l’on peut retrouver chez de nombreux jeunes artistes actuels, qui ont été biberonnés avec les dessins animés dont il assurait le découpage et qui l’ont accompagné à travers ses BD de plus en plus ambitieuses. On pourrait même dire qu’il est devenu de bon ton de courir avec le style de Cooke, en apparence aussi fort que
simple. S’il est vrai que le dessin de l’artiste était épuré (un trait suffisait à exprimer une joue mais aussi dans le même temps une expression de colère, une mâchoire qui jouait), il serait faux de penser que tout cela était simple. Sous son apparence ultra-normée, le travail de Cooke cachait en fait une subtile mais très efficace diversité. On le voit à ses scènes de groupe dans DC The New Frontier, quand une partie des super-héros regarde du même côté. On y voit le style de Cooke, inimitable. Mais si l’on regarde avec attention, il devient évident qu’il n’y a pas un personnage qui est identique. L’arête du nez d’Aquaman n’est pas celle de Green Lantern et ainsi de suite. Darwyn Cooke, l’homme, s’est en allé, victime d’une maladie qui n’a sans doute pas terminé de nous priver de certains grands noms. Darwyn Cooke, l’artiste, demeure à travers la densité de son travail. Il n’aura pas réalisé 70 numéros d’affilée des X-Men ou d’une autre série de ce type. Mais ses travaux resteront, bien longtemps encore, de véritables manuels à l’attention des dessinateurs émergeants, la petite voix de Cooke leur expliquant, à travers ces pages « voilà comment on pose un trait… ». Les lecteurs, eux, continueront de regarder ces œuvres intemporelles, impérissables, puisqu’elles cultivaient déjà, de son vivant, un côté vintage assumé. Darwyn Cooke est parti, oui. Mais il ne nous quittera pas.

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