Les biographies et monographies centrées sur les auteurs de comics se sont multipliées ces dernières années. Autant d’hommages à de chers disparus ou à des incontournables qui sont honorables dans la démarche mais qui tombent parfois dans certaines failles, où le témoignage (ou, à défaut de témoignage, l’avis) a parfois valeur de vérité absolue. Ou tout au moins nous est présentée comme telle. Il semble qu’il faille être fan absolu de l’auteur A ou B pour pouvoir asséner un point de vue monolithique. Mais attention : le travail d’historien ou d’analyste se satisfait bien mal de certains partis pris. Imaginez si les seuls livres sur Napoléon étaient écrits par des pro-Bonaparte ? Aurions nous la thèse et l’antithèse ? Il faut se méfier, aussi, de ce que j’appelle « L’effet madeleine de Proust« , par exemple quand l’auteur va donner une importance démesurée à telle série non pas parce qu’elle a une réelle portée historique pour le sujet traité mais bien parce que lui a commencé à le découvrir par cette série, quand il était gosse. Un bon biographe doit savoir se débarrasser de son costume de fan pour regarder de manière lucide le sujet qu’il aborde et nous rapporter aussi bien les bons côtés que les pans les moins glorieux. Ce long préambule est nécessaire pour expliquer à quel point je trouve que Jean-Marc Lainé a réalisé un ouvrage considérable sur Frank Miller, à la fois documenté et didactique (comprenez que je pense que même que quelqu’un qui n’aurait que vaguement écouté parler de Miller s’y retrouverait) tout en évitant les écueils et en ne tombant pas dans l’adoration unilatérale.
Pour ce qui est de « Mythe & Super-Héros », à paraître le 29 avril chez le même éditeur, je suis en effet plus réservé, tant les intentions louables de l’auteur (Alex Nikolavitch) me semblent par endroits se prendre les pieds dans le tapis et enfoncer des portes ouvertes. Mais c’est aussi pour cela qu’il m’a paru utile de chroniquer ces deux ouvrages dans un long article plutôt que de les lâcher dans la nature de manière séparée. Car ils se renvoient un peu l’un à l’autre. Oui, je sais, je suis un vieux « briscard » et on me dira que l’ouvrage s’adresse aussi et surtout aux débutants, qu’il serait donc normal que je le regarde d’un air blasé. Mais ce n’est pas vraiment de cela dont je parle. Il est tout à fait normal qu’on y trouve l’explication de comment Peter Parker est devenu Spider-Man ou une énième analyse de Watchmen. C’est tout à fait utile et l’auteur à certainement raison de placer des références qui permettent de renseigner le nouveau venu, de rééxpliquer les choses puisqu’un livre est un système autocontenu qui doit pouvoir être lu et relu même dans quelques années. Le premier écueil que je trouve est une sorte de filtre lancinant au fil de la lecture, l’auteur ne sachant pas vraiment choisir la casquette qu’il porte. Soit on se veut historique, synthétique et on laisse ses commentaires de côtés, soit on s’inscrit dans une sorte d’itinéraire personnel (ce que Martin Winckler avait très bien fait dans son « Super Héros »). Là pour le coup il y a des moments où on ne sait pas sur pied l’auteur danse. Pendant des pages entières il décortique (fort justement d’ailleurs, je ne suis pas en train de vous dire que ça ne sent pas le travail) le fonctionnement de tel élément puis l’instant d’après arrive un commentaire tout à fait personnel que rien ne vient étayer. Prenons par exemple l’exemple de Green Lantern. Il y a tout un passage sur Krona et la cosmogonie DC telle que la série Green Lantern dans les années 60. Et là dessus, pas de problème. Sauf qu’on peut en quelque sorte « dater » le point de vue de l’auteur et qu’on sent remonter par moment l’effet « madeleine de Proust » dont je parlais plus tôt. Son côté lecteur prend le dessus. Par exemple la décision de ramener Hal Jordan (après sa mort dans Final Night) est qualifiée page 60 de « mouvement de balancier éditorial curieux » sans qu’on sache trop pourquoi. Tandis que vers la conclusion Geoff Johns est défini comme « l’exacerbation complaisante des névroses et tentation les wagons les plus disparates ». Ce sont des avis, pas de problème avec le fait qu’il y ait des avis énoncés mais sans doute faudrait-il qu’ils soient codifiés comme tels. Car ils sont planqués au milieu de vérités chronologiques ou structurelles par ailleurs indéniables. Et le fameux néophyte auquel on semble pourtant destiner l’ouvrage n’a pas l’arsenal culturel pour séparer le fait de l’avis.
Au passage il y a d’ailleurs quelque chose d’anecdotique mais qui me laisse perplexe, à savoir la mention faîte à peu près à l’identique du livre d’Eco (c’est à dire concernant son concept de comsommation/consumation) dans « Urbaine Tragédie » et « Mythe & Super-Héros »… à la même page (118, dans les deux cas). « De Superman au surhomme » est un jalon important, on ne peut pas faire le reproche à Alex d’arriver après mais sur la question du mythe et du super-héros, les écrits d’Eco restent le repère (et anticipaient même la venue d’Alan Moore en un sens). Ils sont tout à fait compréhensibles par le fameux néophyte auquel on s’adresse ici et il est difficile de ne pas confronter les deux livres. Forcément, c’est Eco qui gagne. Je ne dis pas à nos amis néophytes d’éviter « Mythe & Super-Héros » mais sans doute de commencer par « De Superman au surhomme ». Et un petit détour du côté du « Comics u. s. a
« Frank Miller : Urbaine tragédie
« Mythe & super-héros
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