Jack Kirby, le Super-Héros de la BD
18 mars 2014[FRENCH] Alors qu’un nouveau film consacré à Captain America s’approche, c’est l’occasion pour revenir plus en détail sur un pavé… pardon, un « monolithe »… récemment paru chez Néofélis. Ni plus ni moins qu’une monographie monumentale de Jack Kirby, le co-créateur du célèbre héros (et pas seulement, ses contributions à l’Histoire des comics étant légion). Se lancer dans Kirby, c’est comme aborder un continent. Il y a tous les risques de s’y perdre, de confondre – par défaut – son propre ressenti avec l’histoire de l’auteur. Jean Depelley s’en sort pourtant avec les honneurs et une limpidité certaine.
Pour l’essentiel des lecteurs de comics, Jack Kirby (tour à tour dessinateur, scénariste mais aussi éditeur de comics) est connu sous le titre du « King« . Un surnom qui a le double avantage de le consacrer comme « roi des comics » mais aussi d’établir un parallèle avec un autre artiste. Dire que Kirby est aux comics ce qu’Elvis Presley est au rock’n’roll me parait encore plus pertinent sur la portée de l’auteur. Mais la vérité est que Kirby mériterait sans doute d’être qualifié de « dieu » (ou, plus ironiquement, de « nouveau dieu« ) des comics tant son admiration peut-être fusionnelle. Comprenez par-là que si certains lecteurs (plutôt minoritaires) n’aiment pas Kirby, quand on l’aime il est rare qu’on l’aime à moitié. A notre échelle nous le voyons bien dans Comic Box. Il est rare qu’un article sur un pan de l’œuvre de Kirby n’attire pas une ou deux lettres s’étonnant qu’on n’ait pas traité de l’ensemble. Écrivez un article sur ses épisodes de Captain America Comics, en 1941, quand Kirby lançait le personnage, et vous aurez une missive d’un lecteur s’étonnant que vous n’ayez pas mentionné les « Kirby krackle » (les étincelles façon Kirby, symbole d’énergie), même si l’auteur ne les a utilisé que des décennies plus tard. Écrivez sur Thor ou sur les Inhumans et vous aurez quelqu’un qui réagira en vous demandant comment vous avez pu faire l’impasse sur le Black Panther de Kirby. Parler de Kirby est un acte chargé à plusieurs niveaux. D’abord l’attente est grande (fusionnelle, comme je l’écrivais) à chaque fois. Et puis l’œuvre du créateur est tentaculaire, se confond avec l’Histoire des comics. Enfin, il faut savoir se méfier de soi-même, ne pas confondre sa perception personnelle de l’artiste avec la réalité, ne pas devenir à la fois juge et partie.
Le nom de Jean Depelley vous est peut-être familier. Avec le réalisateur Philippe Roure, il fut une des deux locomotives du documentaire Marvel 14 (sur la censure des comics en France). Entre autres choses il a été également un des contributeurs réguliers du Strange d’Organic Comix, avec une prédilection connue et affirmée pour Jack Kirby. Parler du King à Jean, c’est là aussi un « acte chargé », c’est comme mettre un euro dans la machine car le bonhomme est tout bonnement intarissable sur le sujet. Dès l’annonce de son projet d’une biographie sur Kirby, on savait donc, forcément, qu’il y aurait beaucoup de choses à lire. Restait à savoir si le biographe serait débordé par sa passion ou maîtriserait une vraie cartographie du continent Kirby. Pour surmonter ce danger, Jean Depelley a trouvé la meilleure solution qui soit. C’est à dire se lancer dans une véritable enquête qui se double de ce qu’on peut qualifier de « création de matière » sur le sujet. C’est à dire qu’il va au delà des sources existantes. En traitant à la fois de l’homme et de l’artiste, il s’est attaché à trouver des angles, des témoignages, des recoupements, à l’image de tout le périple du soldat Jack Kirby traversant la France en pleine seconde guerre mondiale et survivant – de peu – à d’effroyables batailles. Le sentiment qui règne est celui d’une reconstitution à la fois vivante et étayée. L’autre piège qui est évité, c’est que le fan Jean Depelley (à n’en pas douter le moteur « motivationnel » de cette épopée) ne prend jamais le pas sur l’enquêteur Jean Depelley. Dans bien des situations il ménage le pour et le contre, confronte les versions et donne un fil directeur cohérent.
Pourtant, il y a de la masse (y compris mais pas seulement) graphique. Sur 370 pages grand format, on retrouve ainsi jusqu’aux petites caricatures d’Hitler que le jeune Jacob dessinait dès les années 30 (ce qui positionnait finalement bien pour créer, plus tard, un certain super-héros patriotique qui irait taper sur la figure du même Hitler). Mais (même si c’est le prétexte pour que nous en parlions aujourd’hui) il n’y pas que Captain America au programme. On trouve aussi des approches évoquant aussi bien Hurricane, Vision, Tuk ou le Manhunter. Il n’y a guère que sur quelques pages où la mise en page est parfois un peu abrupte, quelques lignes étant glissées de manière isolées entre deux images (mais au moins pas de doute, tout l’espace disponible est occupé). La période « hors comics » (1943-1945) est elle aussi couverte de façon épique. On enchaine ensuite avec l’après-guerre, avec les Captain 3-D et autres The Fly. On passe par les Challengers of the Unknown de DC, les 3 Rocketeers d’Harvey et bien d’autres encore avant de déboucher sur la création de l’univers Marvel moderne, sur la fondation des Fantastic Four, des Avengers, des X-Men… La contextualisation est également efficace. S’il faut prendre quelques paragraphes, s’éloigner une page ou deux de Kirby pour expliquer dans quel était, au même moment, se trouvait Atlas/Marvel Comics, le livre prend le temps nécessaire.
C’est une attention importante car elle fait que cette biographie donne à tout le monde « à boire et à manger ». C’est à dire qu’à bien des égards l’ouvrage peut-être conseillé à des néophytes qui n’auraient jamais mis le nez dans un livre sur l’histoire des comics. On prend la peine d’expliquer qui se cache derrière les noms, qui était Don Rico ou comment les problèmes d’alcool de Bill Everett sont venus saccager sa carrière. Car c’est là tout le nœud de la recette, se souvenir – même dans une biographie centrée sur un individu – que les comics sont un panthéon polythéiste. On n’est pas aveuglé par Kirby au point d’en perdre de vue le reste. Ce qui surprend au final (mais qui en même temps est paradoxalement sympathique) c’est la fin abrupte de ce volume à l’année 1965. Je veux dire par là que, pour des raisons d’équilibre commercial, pas mal de gens se seraient sans doute gardé la naissance du Marvel moderne comme début du second tome (à paraître), histoire de tenir les marvelophiles en haleine. Jean Depelley a préféré mettre le curseur à la moitié exacte des choses qu’il a à dire. La fin du premier volume tombe il est vrai comme un couperet, parce qu’il faut bien arrête et qu’il ne servirait à rien de faire une « conclusion » à ce stade. Mais à n’en pas douter la suite et fin (esquissée dans un commentaire à la fin, avec la promesse des planches volées) viendra compléter l’ensemble. En un sens l’ouvrage peut faire « peur » par sa taille, par la masse de choses à lire mais il reste nettement abordable.
[Xavier Fournier]
Petite question,je suis en train d’ecouter cette (trés interessante) emission :
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5002107 (« Mauvais Genres » de Fevrier)
dans laquelle vous evoquez la série « Robin Moore » (orthographe ?) qui serait une copie / plagiat de Kirby.
Je n’en trouve aucune trace en ligne,si vous pouviez m’indiquer un début de piste…
Merci d’avance.
L’orthographe c’est Robin Moor, sans « e »,
Le fascicule, c’est « Robin Moor contre Satanas », paru fin 1946 chez Publi-Vog dans la collection « Aventure et Mystère ».
Et effectivement vous ne trouverez pas grand chose en ligne… Mais j’en dis plus dans le livre 😉
Merci beaucoup !