La Table Ronde : Kick-Ass #7
11 septembre 2009[FRENCH] C’est le jour de La Table Ronde ! Chaque vendredi, la discussion d’une partie de l’équipe après la lecture d’un comic-book paru le mercredi précédent aux USA. Autrement dit la retranscription d’une discussion façon « autour de la machine à café » sur ce que certains d’entre nous ont pensé d’un comic de la semaine. Cette semaine : Kick-Ass #7. ATTENTION. SPOILERS WARNING : Cette discussion concerne un comic-book qui a été publié aux US et, pour les besoins de la discussion, nous partons du principe que seuls ceux qui l’ont lu (ou ceux qui n’ont rien contre les spoilers) sont susceptibles de la consulter. Si vous n’avez pas encore lu l’épisode en question, pas de panique, attendez d’avoir pu le parcourir. Cette page vous attendra au même endroit… Si vous passez cet avertissement, c’est en toute connaissance de cause…
Antoine Maurel dit : On parle donc du 7e épisode de « Kick-Ass », aujourd’hui, alors que la conclusion du premier arc de la série s’approche à grands pas.
Fabrice Sapolsky dit : C’est d’ailleurs assez inhabituel comme découpage, 8 parties… D’ordinaire, c’est plutôt 5 ou 6…
Antoine Maurel dit : Personnellement, j’ai beaucoup aimé.
Xavier Fournier dit : Moi aussi
Antoine Maurel dit : … Même si, typiquement, c’est le genre de série qui se lira encore mieux en TPB, et qu’il est un brin plus difficile de chroniquer un seul numéro.
Xavier Fournier dit : J’avais vraiment du mal sur les trois premiers épisodes parce que l’alter-ego de Kick Ass me semblait antipathique au possible, donnant à la fois dans la sensiblerie et une forme de mégalomanie. C’était même surréaliste tellement, à comparer, on avait plus d’empathie avec le protagoniste de Wanted alors que c’était un enfoiré de première. Kick Ass, c’était le rapport inverse. Mais sur les épisodes plus récents, la série me semble avoir pris tout son sens. Le personnage est un peu mis en face de ses contradictions et se heurte au mur de la réalité. C’est l’anti-Punisher, genre « eh oui, ça n’a rien de facile de chasser du gangster ».
Antoine Maurel dit : Oui, le rythme en 8 s’explique sûrement par le démarrage assez lent.
Xavier Fournier dit : Le début de la série m’avait aussi l’air irréaliste avec ce côté « un type costumé en tape d’autres et devient célèbre via les réseaux sociaux et le net ». Je trouvais ça survendu parce qu’on sait très bien (suffit d’utiliser Google pour ça) qu’il existe déjà des dizaines de type à travers le monde qui se prennent pour des super-héros masqués sans pour autant être devenu des célébrités mondiales.
Fabrice Sapolsky dit : Je suis d’accord avec Xavier, d’ailleurs, j’ai dû relire les deux premiers épisodes quand le #5 est arrivé parce que ça ne m’avait pas marqué… Mais c’est une série qui se bonifie avec le temps
Xavier Fournier dit : Et à mi-chemin dans l’histoire le rapport avec la réalité s’est exprimé autrement. Les gangsters, par, exemple, sont terre à terre. Il n’y a pas d’enjolivure. Là pour le coup Kick-Ass et ses alliés sont face à des gens qui rigolent pas, qui ne jouent pas aux super-villains. Après ça passe par des moments comme la scène de torture. Certains la trouveront « trop », mais bon. Y a aussi un moment où ça permet au personnage de se dépasser.
Antoine Maurel dit : Personnellement, j’ai tout de suite accroché, pas à cause du rythme mais de l’écriture, que je trouve impeccable. Entre « 1985 » et ça, Millar sait écrire les personnages d’ados lecteurs de comics, c’est un fait ! D’ailleurs, je retrouve bien dans Kick-Ass cette sensibilité discrète mais réelle que j’avais tant aimé dans 1985…
Xavier Fournier dit : Faut reconnaître à Mark Millar un certain instinct pour être dans l’ère du temps. Son utilisation des comics comme monnaie alternative parait ici quelques jours à peine après qu’un réseau de malfrats soit tombé aux USA pour blanchiment d’argent à travers la vente de comics…
Fabrice Sapolsky dit : Je me rappelle aussi que quand Kick-Ass a démarré, on venait de sortir un article sur les super-héros du réel dans Comic Box !
Antoine Maurel dit : Oui, il n’est pas interdit de penser que Millar a vu les vidéos de super-héros du réel online, et qu’il a profité de l’occasion pour nous offrir une belle réflexion sur le sujet. Et comme en plus il peut légalement utiliser un tas de références à Marvel…
Fabrice Sapolsky dit : La grande force de Millar dans cette série, selon moi, c’est qu’il nous bluffe complètement… Et le numéro 7 en est la plus formidable illustration : il nous a fait croire à un récit réaliste, mais on est dans la plus pure tradition des comic books !
Xavier Fournier dit : La scène de torture m’a fait penser à quelque chose de très cinématographique, à mi-chemin entre certaines scènes de Pulp Fiction et le Casino Royale de Martin Campbell. Intéressant de voir que les effets secondaires de la première correction qu’il a ramassé, au début de la série, en viennent presque à lui donner une sorte de « pouvoir » avec cette résistance à la douleur… tout en ne tombant justement pas dans les trucs genre « healing factor ».
Fabrice Sapolsky dit :
C’est le film dans le film Kick Ass ! Oui, il y a du Casino Royale dans la scène de torture… Mais ce n’est pas ma scène préférée…
Xavier Fournier dit : C’est gore, c’est certain. Y a de la douleur et du sang partout. En même temps là aussi ça refuse de s’enfermer dans une sorte d’héroïsme glamour. Après c’est toujours délicat à commenter ce genre de scène parce qu’il y en a toujours pour penser que tu cautionnes la torture en elle-même si tu dis que la scène est bien.
Alors que c’est le sens de la scène qui est bien, qui permet à Kick Ass de devenir – beaucoup malgré lui – la version réelle de ce qu’il jouait à être.
Fabrice Sapolsky dit : Je trouve que la mise à mort de Big Daddy et le trick autour de Hit Girl est plus fort
Antoine Maurel dit : Millar, ça fait deux séries qu’il interroge ce rapport entre comics et réalité, et surtout l’impact des comics sur un certain type de lectorat. Mais je ne dirais pas qu’il est dans du comics pur, ici.
Jr Jr, par contre…
Fabrice Sapolsky dit : Si, il est dans le comic book pur, exactement comme Tarantino. D’ailleurs, je crois que c’est Xavier qui a parlé de Millar comme d’un Tarantino des comics et c’est pertinent.
Antoine Maurel dit : Bin là encore, Millar n’utilise pas les vieilles ficelles, puisque le trick n’en n’est pas vraiment un, dans la mesure où il nous a annoncé bien avant qu’elle avait ce gilet de kevlar. Encore une fois, je trouve que le côté comics tient davantage au dessin qu’au scénar, mais ce n’est que mon avis…
Xavier Fournier dit : John Romita JR. tient un rôle fondamental dans l’ambiance. C’est du lourd (au bon sens du terme), là où certains autres dessinateurs trop « cleans », trop « représentatifs » auraient tendance à tuer l’impact de la violence à trop la détailler. Il y a aussi quelque chose de très « millerien » dans l’approche de Millar. Pas le Frank Miller de All-Star Batman mais celui de Born Again ou de Dark Knight, dans tous ces cas et dans Kick Ass aussi, le personnage renait d’une certaine manière en passant par un stade de martyr.
Fabrice Sapolsky dit : Tout est toujours très référencé chez Millar… Quoique là… je ne vois pas les légendaires Nazis et les putes…
Antoine Maurel dit : Oui, enfin là il est encore un peu tôt pour parler de « renaissance ».
Fabrice Sapolsky dit : Tu sais Antoine, je pense que cette série ne pouvait pas être illustrée autrement et avoir le même impact. C’est Romita qui fait le show.
Antoine Maurel dit : Ah mais ça on est totalement d’accord !
Xavier Fournier dit : ils se sont bien trouvé disons.
Antoine Maurel dit : D’ailleurs cet encreur fait des merveilles sur son crayonné. Les déliés un peu plus accentués marchent magnifiquement.
Fabrice Sapolsky dit : Oui, Tom Palmer est très en forme
Antoine Maurel dit : Vous savez que je suis un grand fan de Romita Jr. et là je dois dire qu’il est totalement transcendé. Tom Palmer est formidable sur ce coup-là.
Fabrice Sapolsky dit : Palmer il a donné du relief à Buscema tellement longtemps
Xavier Fournier dit : Le truc aussi c’est que Romita peut plus se lâcher que dans un titre corporate, niveau hémoglobine? Même sur un Ultimates je suis pas sur que Marvel laisserait montrer un des ses héros de manière si sanglante…
Antoine Maurel dit : Et on est d’accord que la subtilité de cette BD tient à ce mélange entre une mise en scène totalement « comics » et un scénar assez réaliste dont le propos est justement de nous confronter aux limites de la fiction.
Fabrice Sapolsky dit : Et il y a un côté perversion de la tradition des comics avec l’association de l’enfant terrible du scénario chez Marvel et l’icône Romita. Un garçon qui est tellement associé avec Spider-Man et Marvel qu’il fait partie des meubles (en bien évidemment)
Antoine Maurel dit : Oui, et là on sent bien qu’il a pu se lâcher et qu’il s’est fait plaisir, comme du temps de sa mini-série en 3 épisodes.
Fabrice Sapolsky dit : Donc très comics !
Xavier Fournier dit : Bah je ne sais pas.
Fabrice Sapolsky dit : Et je pense aussi que c’est pour cela que la mort de Big Daddy est si explicite… Parce qu’il ne reviendra pas.
Xavier Fournier dit : Disons que ce n’est peut être pas « réaliste » (y a des gens en collants) mais que c’est « crédible ». J’aime bien aussi le retournement global de situation en ce qui concerne Big Daddy et Hit Girl. Pour moi la série s’est vraiment cristallisée quand ces deux-là sont apparus et qu’ils ont surenchérit sur Kick Ass, qui lui se faisait son petit délire en étant le premier à croire en sa réputation. Ils le dépassaient de loin. Et quand les masques tombent, au propre comme au figuré, ça anime bien des choses.
Fabrice Sapolsky dit : Oui, Hit Girl est LA révélation de la série.
Antoine Maurel dit : Oui enfin c’est des gens en collant dans un univers ou tout le monde les voit comme… « des freaks en collants », so… Sinon, absolument, la révélation de cet épisode est super bien vue.
Xavier Fournier dit : C’est marrant parce que ce genre d’épisode rend confiant sur l’adaptation ciné…
Antoine Maurel dit : Et donne du poids à Hit-Girl parce qu’au fond c’est la seule à être premier degré dans le délire.
Fabrice Sapolsky dit : Complètement… D’ailleurs, Big Daddy le dit : Hit Girl est la seule à croire à tout ça. Même Kick Ass est blasé.
Xavier Fournier dit : En fait à la fin elle n’y croit plus, non ? Elle a entendu la révélation et même Kick Ass lui fait remarquer…
Antoine Maurel dit : Et on voit les conséquences… toutes proportions gardées, on n’est pas loin d’une réflexion sur les enfants-soldats. Son irruption dans la série c’est dix paliers de violence qui sont franchis d’un coup.
Fabrice Sapolsky dit : Oui, les enfants-soldats c’est une bonne comparaison… Mais on ne sait pas encore à ce moment de la série si Millar va cautionner ou condamner ça… J’attends la réflexion piquée à la concurrence « Kids don’t wear costumes »
Antoine Maurel dit : Et, effectivement, on tombe dans le Tarantino, aussi, ce qui aide à dédramatiser.
Xavier Fournier dit : Moi je dirais qu’il y a un commentaire sur l’archétype de Batman et Robin. comme quoi le sidekick est avant tout un gamin malmené par son mentor
Antoine Maurel dit : …Mais au fond, il s’agit bien d’une enfant que son père a emmené dans un délire. Voilà !
Fabrice Sapolsky dit : Batman est LA raison d’exister de Kick-Ass en tant que série…
Xavier Fournier dit : … Je ne sais pas…
Fabrice Sapolsky dit : Ils sont tous Batman, à leur échelle.
Xavier Fournier dit : Pas totalement pour Kick-Ass. Parce que justement ce qui le différencie c’est qu’il n’a pas de raison.
Fabrice Sapolsky dit : Non, il l’est d’ailleurs de moins en moins, mais au départ, c’est ça…
Xavier Fournier dit : Oui mais lui n’a pas de principe de vengeance. Genre, il n’a pas des parents à venger.
Antoine Maurel dit : Il le dit d’ailleurs, dans le premier épisode.
Fabrice Sapolsky dit : Est-ce mieux que d’avoir été élevé dans un mensonge comme Hit Girl ? Elle a une fausse vengeance… jusqu’à cet épisode
Xavier Fournier dit : alors que Hit Girl en fait c’est ça… elle découvre que son père lui a menti, qu’elle a pas de raison… jusqu’à ce que la mort du père devienne la raison. Et Kick Ass « squatte » au passage ce meurtre comme véritable déclencheur pour lui aussi.
Antoine Maurel dit : Bonne ironie dramatique, en effet.
Fabrice Sapolsky dit : Oui.
Xavier Fournier dit : bref y a bien des niveaux de lecture
Fabrice Sapolsky dit : On pourrait tenir une semaine…
Xavier Fournier dit : pour un truc que certains pourraient résumer comme un épisode « passage à la gégéne »…
Fabrice Sapolsky dit : … En fait, c’est un épisode clé. Un catalyseur, après Millar peut nous emmener où il veut avec sa série.
Xavier Fournier dit : Je crois que la question c’est ça. c’est pas la raclée prévisible qu’ils vont filer au gang
mais bien « et après ? qu’est ce qu’ils vont devenir ces deux là ? »
Antoine Maurel dit : Oui, et c’est la grande force de Millar, il arrive à donner un truc très « pop-corn » mais qui peut se déplier longtemps.
Fabrice Sapolsky dit : Et c’est drôle, parce qu’il y avait un décalage et une certaine innocence dans l’épisode précédent, mais on sent bien qu’il y a un rite de passage, on se mesure aux VRAIS méchants…
Antoine Maurel dit : Oui, et ça marche surtout sur Hit-Girl, parce qu’elle fait ça depuis le début, mais là ça va cesser d’être un jeu.
Xavier Fournier dit : Bien géré, ça pourrait donner un comic-book feuilletonnant sur le long terme, une sorte d’équivalent de Lone Wolf & Cub chroniquant la croissance des persos
Antoine Maurel dit : On ne l’a pas mentionné plus tôt, mais l’origine mytho imaginée par le père est probablement tirée de là, ou « Shogun Assassin » tout du moins.
Fabrice Sapolsky dit : C’est maintenant je pense que la série prend tout son sens. La conclusion va être, je le souhaite, à la hauteur de ce qu’on a lu. Ça a été crescendo…
See you next week…
Série bientôt traduite en France je crois ? Il y a longtemps que je n’avais pas attendu de la sorte 😉
C’est une ongoing?
Oui (en tout cas annoncée comme telle, reste à savoir s’ils ne fonctionneront pas sous la forme de différents volumes) mais avec une cadence variable selon l’emploi du temps des deux auteurs (on est un peu dans le même cas que Powers ou Kabuki, c’est à dire qu’il s’agit de séries non-limitées mais que leurs auteurs publient selon leur disponibilité).