Review Cinéma : The Spirit

[FRENCH] La rédaction a pu visionner le Spirit de Frank Miller d’après Will Eisner. Et autant mettre les pieds dans le plat de suite : nos craintes étaient fondées… Will Eisner se retourne-t-il dans sa tombe ? Nous ne le savons pas. Cela étant, il y a de forte chances, tant The Spirit, l’adaptation du classique de la BD Américaine par l’un des siens, Frank Miller, n’est pas à la hauteur des espérances de tout cinéphile-bédéphile qui se respecte. Est-ce pour autant une trahison ? Hélas… non. Analyse.

SPOILER ALERT !

Le Big bazar
The Spirit commence par une mise au point. L’origine du personnage principal, Denny Colt, flic tué dans l’exercice de ses fonctions et « miraculeusement » revenu à la vie, et la mission qu’il s’est donnée : protéger Central City coûte que coûte contre la vermine criminelle. Le Spirit (Gabriel Macht) prend la parole. Sa voix résonne dans la tête du spectateur. Il court secourir une jeune fille dans une allée sombre. Il s’en sort avec un couteau en pleine poitrine. Mais il n’en a cure. Le Spirit a un pouvoir auto-guerisseur. La police arrive vite sur les lieux de l’agression mais ne l’arrête pas. Elle a un accord avec le justicier. Lequel ? Seul le Spirit et le commissaire Nolan connaissent la vérité. Mais déjà, une autre affaire attends le héros. Un flic (campé par le réalisateur lui-même, Frank Miller), l’accompagne jusqu’aux marais.

Là, un kidnapping/vol se déroule. Une femme, Sand Saref (Eva Mendes) cherche à dérober un coffre fort, lui-même convoité par les sbires de l’ennemi juré du Spirit : Octopus (Samuel Jackson). Mais il y a deux coffres en réalité. L’un contenant le plus grand trésor du monde. L’autre contenant le secret de l’immortalité. Sand Saref ne peut embarquer les deux, sous la menace d’Octopus. Elle en prend un au hasard. Et Octopus, flanqué de ses acolytes, prend l’autre. C’est alors que le Spirit arrive avec l’espoir de l’empêcher de filer. Ils se battent… longtemps. Et se parlent, s’insultent, se conspuent… Et Spirit apprend de la bouche de son nemesis qu’il a plus de points communs avec l’Octopus qu’il ne veut bien l’admettre. Tous deux ne craignent pas la douleur, ni même les blessures. Mais malgré tout ses efforts, le vilain prend la poudre d’escampette.
Dès lors, le Spirit, aidé des forces de police, va tout tenter pour mettre résoudre le mystère des coffres et mettre définitivement Octopus hors d’état de nuire.

Adapting or not adapting ?
Telle est la question. Peut-être que le Spirit n’était tout simplement pas la bonne franchise à transposer. Première question qui taraudera les fans : est-ce qu’un personnage de comics, adapté par un auteur de comics patenté et particulièrement pointilleux, Frank Miller, le sera correctement ? Pas forcément. Et ce pour plusieurs raisons. Primo, Miller réalise là son premier film en solo. Certes, il est crédité du poste de co-réalisateur sur Sin City, mais c’était bien Robert Rodriguez qui menait la barque. Ici seul en piste, la mise en scène de Miller se révèle poussive et contemplative. Les scènes sont longues et on se prend à regarder sa montre plus d’une fois.

Secundo, la direction d’acteurs. Ici, c’est encore un peu juste pour Mister Frank. La pléiade de stars (Jackson, Mendes, Johannson) ne parvient pas à animer des dialogues bien plats. De nombreuses scènes font souvent penser à du théâtre filmé. Tout est cousu de fil blanc dans le scénario. Miller, qui nous avait pourtant habitué, dans ses comics, à des intrigues complexes et à tiroirs, à des dialogues bien sentis, à des situations violentes sans concessions n’est que l’ombre de lui-même. Ou plutôt non, il est parfaitement lui-même… le Miller d’il y a quarante ans : un gosse fan du Spirit, fan de Will Eisner (son mentor à ses yeux) qui réalise là son rêve d’enfant. Il est amoureux de son œuvre au point d’abolir toute distance entre lui et le sujet. Le Spirit parle comme un héros de serial radiophonique des années 40 ? Assumé.

Il y a des incohérences cartoonesques dans les situations et le script ? Pas de soucis… Eisner n’avait pas d’obsession pour la continuité sur le Spirit. Encore une pour la route ? Tous les personnages sont Juifs. Une tradition encore chez Eisner qui ne l’écrivait jamais dans aucun de ses romans graphiques, mais qui répétait tout le temps à qui voulait bien l’entendre que c’était une évidence dans son œuvre. Mais ce n’est, hélas, pas tout.

Frank Miller s’est aussi livré au jeu de la référence, évoquant Robin, le partenaire de Batman, comme il le fait dans ses derniers comics, All Star Batman & Robin et faisant mentionner une demi-douzaine de fois aux personnages comment Sand Saref avec le complexe d’Elektra ! Pour ceux qui l’ignorent, Elektra est, dans la mythologie grecque, celle qui vengea son père Agamemnon en assassinant sa propre mère. Mais, et surtout ici, c’est aussi le nom d’un personnage inventé par Miller dans Daredevil et devenu culte. Et que dire de la référence risible à Steve Ditko– co-créateur de Spider-Man– avec le camion « Ditko movers », compagnie de déménageurs qui transporte les vilains ?

Tout est-il à jeter dans ce film ? Non. Les filles sont belles, très belles même. La photographie est très réussie. Les effets spéciaux sont de toute beauté. Le design de production, mélant objets modernes (tels que les portables) et architecture/mode des années 40-50 fonctionne également parfaitement. Le style est séduisant, même s’il rappelle un peu trop Sin City (avec l’omniprésence de la neige notamment).

Non, décidément, The Spirit, le film n’aura atteint aucun de ses objectifs. L’affiche le clame : « ma ville hurle ». Oui, mais plus de dépit d’avoir dû avaler un film comme The Spirit. Franchement, à tous ceux tentés par le côté noir et le personnage, foncez dans une librairie vous payer les albums de Will Eisner (essentiellement chez Delcourt) ou les nouvelles aventures du Spirit (ed.Panini).

[Fabrice Sapolsky]
Fabrice Sapolsky

Fabrice Sapolsky est le fondateur du magazine Comic Box.

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