En 2005, le premier film Sin City était un engin très différent de ce que l’on a l’habitude de voir en matière d’adaptation de comics. Il faut dire qu’en général, dans ces cas-là, c’est souvent le travail d’un scénariste que l’on porte à l’écran et pas vraiment celui du dessinateur. Qu’on ne vienne pas me dire que Captain America: The First Avenger ou Walking Dead ressemblent respectivement à l’univers graphique de Jack Kirby ou de Charlie Adlard. Même les costumes sont en général « mis à jour ». Dans ce contexte, Sin City était diamétralement différent puisque Roberto Rodriguez a, à coups d’écran vert, réussi à transformer les acteurs en personnages dessinés par Miller, à en faire des outils, une palette. Le film n’avait pas laissé indifférent, bien qu’il ait aussi ses adversaires qui ne trouvaient pas heureux de voir à l’écran quelque chose qui ressemble autant à la BD d’origine. À mon sens pourtant l’exercice avait l’avantage de mesurer l’élan, l’impact. Quand, dans le comic-book, Marv écrase le visage d’un type tenu à bout de bras contre la route, c’est une chose. Quand on le voit à l’écran, avec le mouvement, la violence apparaît d’une autre manière, bien que l’esthétique soit similaire. Tout cela pour dire qu’en 2005, Sin City a su surprendre. En 2014 ? C’est une autre histoire, à plus d’un titre. Sin City: j’ai tué pour elle souffre à plus d’un titre de la comparaison avec le premier film.
Revenir pour un second film n’aura pas été une mince affaire. Il a fallu jongler avec les plannings de Rodriguez et de Miller, convaincre les producteurs, faire avec la mort de plusieurs acteurs depuis le premier film. Il a fallu du temps. Trop de temps, sans doute, pour un public américain qui est plutôt hyperactif et à qui il faut balancer des « suites » à raison d’une tous les deux ou trois ans. Cela explique sans doute en partie l’échec commercial de Sin City 2 sur les écrans américains (peut-être aussi qu’une partie du public a inscrit le Spirit de Miller comme un Sin City 1.5). Même si à entendre Rodriguez (et il a sans doute raison), ce genre de films a tendance à vivre une seconde vie en DVD, VOD et sur tous les marchés secondaires. L’échec commercial, sur le long terme, se temporisera peut-être. Mais le vrai problème de ce film est qu’il ne surprend pas ou ne surprend plus, pour des raisons qui tiennent au premier long-métrage. Quand vous définissez un style visuel très précis, vous ne pouvez pas en changer totalement par la suite. Vous ne pouvez pas passer de Mozart à Wagner. Rodriguez et Miller sont donc resté dans la même ambiance, même si par ailleurs la technologie a évolué. Et c’est tangible dans le film. Les effets visuels ont perdu une certaine forme de rugosité, d’angularité. On fait la même chose mais sur des machines plus perfectionnées. Dans Sin City 1, certains objets ou véhicules générés en 3D ajoutaient encore à l’effet BD. Là, un certain nombre d’imperfections que l’on prenait pour du style sont corrigées. Sin City, premier du nom, était comme un morceau grunge. Sin City: j’ai tué pour elle, c’est comme la reformation du groupe mais dans un studio plus raffiné, qui perd le côté brut de la chose.
Pour tenter de surprendre le public et répondre à certaines personnes qui n’avaient pas apprécié une adaptation trop littérale dans le premier film, Miller s’est fendu de plusieurs intrigues qui n’ont jamais été publiées en BD. Objectivement, les intrigues ne sont pas forcément bien écrites ou sélectionnées puisqu’elles font parfois double emploi. À quelques minutes d’écart, par exemple, on retrouve Marv dans la même position du garde du corps improvisé, qui se retrouve à chaque fois à aider un ami à s’introduire dans une propriété privée. Miller fait dans la redite. Mais ces scènes inédites apportent surtout un autre problème. En 2005, la BD avait servi de véritable storyboard (on me souffle dans l’oreillette que le mot français c’est « scénarimage »). Tout le découpage était là. Les effets visuels étaient dictés par les cases. Là, les passages avec Joseph Gordon-Levitt ont singulièrement moins le goût d’un découpage BD. Tant mieux pour ceux qui n’appréciaient pas le découpage BD du premier opus. Mais pour ma part j’ai vu quelque chose de plus mou, même si cela n’enlève rien à la performance de certains acteurs. Oui, on sait, vous pourrez vous rincer l’œil sur Eva Green (qui par ailleurs incarne bien Ava). L’actrice ferait d’ailleurs une « Jo » parfaite dans une adaptation de Fatale. Mais certains seconds rôles sont superbement servis. Par exemple Roark (Powers Boothe) dégage une malfaisance sidérante sans que les effets y soient pour grand-chose. Dennis Haysbert remplace le regretté Michael Clarke Duncan dans la peau de Manute, le borgne noir, de façon très naturelle. Mickey Rourke a un peu changé en neuf ans mais Marv est un personnage tellement destroy que cela ne choque pas.
Tout le monde ne peut pas en dire autant par rapport à la distribution originale. En dehors de Rosario Dawson (Gail) qu’ils doivent cryogéniser entre deux films, les filles d’Old town ou Nancy ont pris presque une décennie dans la figure. Va pour Nancy, dont l’histoire se passe après et qui est marquée. Mais quand on recroise Jaime King (les sœurs Goldie / Wendy) dans ce qui devrait être une scène se déroulant avant les événements du premier film… cela se voit. Par ailleurs toujours très jolie, l’actrice est passée du rang de jeunette à celui de « MILF ». Dix ans dans la figure. Pour un personnage qui, par la force des choses, ne devrait plus vieillir. Les filles d’Old Town, d’ailleurs, sont un maillon faible de ce second long-métrage. En 2005, surgissant des toits pour démolir quiconque s’aventurait dans le quartier, elles étaient comme un diable sortant de sa boîte. Là ? Quand ce genre de scène se reproduit ? C’est un peu comme quand le diable ressort de la même boîte encore et encore. L’effet n’est plus le même. Un peu comme quelqu’un qui nous aurait déjà raconté la même blague dans une soirée précédente. D’autant qu’en 2005 le personnage de Miho était servi de manière bien plus teigneuse par Devon Aoki. En 2014, Jamie Chung transforme simplement Miho en une jolie fille de plus dans la distribution. Objectivement Chung tient plus du top model, est sans doute plus belle… mais apporte moins de caractère. Même chose pour Josh Brolin qui, tout en étant un bon acteur, nous sert un Dwight trop massif, trop bourru (en un sens une sorte de Marv light), moins enragé que celui joué par Clive Owen neuf ans plus tôt. Caster Christopher Meloni (déjà vu 100 000 fois dans le rôle d’un flic dur à cuire) n’était pas non plus une bonne idée.
Cette énumération d’acteurs ou de personnages installe bien le problème : Entre les deux Sin City, on est tenté de jouer au jeu des 9 erreurs. Sin City 2 n’est pas un film aussi autonome que son prédécesseur. On en revient sans cesse à la comparaison avec le premier. Seulement, comme écrit plus haut, le Sin City de 2005 avait su transformer les acteurs comme les composants d’une palette. Ici, alors qu’une partie de la distribution est moins inspirée, les retombées sur la narration sont manifestes. Il faut dire aussi que quelquefois les deux réalisateurs ont voulu maintenir le lien avec le public du premier. Ainsi, l’apparition éclair d’Hartigan a tout d’une pirouette à deux balles pour s’assurer d’avoir Bruce Willis au générique ou sur les affiches. Mais cela n’apporte pas forcément grand-chose à l’écran. Je crois qu’au lieu de se débattre avec l’ombre du premier film, pris dans une problématique qui consiste à dire « si l’on fait la même chose, on nous le reprochera et si l’on s’éloigne, on nous le reprochera aussi », Sin City: j’ai tué pour elle aurait été bien inspiré de s’inspirer de projets comme Animatrix. De faire entrer des réalisateurs (pas forcément américains, dans la mesure où il y a des rapprochements à faire entre la BD de Miller et Kurosawa) aux styles très différents qui n’auraient pas obligatoirement trahi Miller mais l’auraient adapté chacun à leur façon, quitte à aller plus loin dans le rapprochement avec l’animation. Miller et Rodriguez ont l’air de vouloir réaliser un troisième opus. S’ils y arrivent, il y aurait clairement des choses à repenser. Sin City: j’ai tué pour elle n’est pas le plus mauvais film de l’année (je préfère quand même largement regarder cela plutôt qu’Amazing Spider-Man 2 ou 300: La naissance d’un empire). Seulement, il ne vole pas de ses propres ailes. J’ai l’impression d’avoir vu une sorte de bonus, un truc composé de scènes coupées que l’on rajouterait dans une édition collector du DVD du premier film. Too bad. Bref, Sin City 2 est à conseiller seulement aux très inconditionnels.
[Xavier Fournier]
Sin City: j’ai tué pour elle, sortie en salle le 17 septembre 2014
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