Le monde des souris est plus vulnérable que jamais. Rongé par les querelles intestines, l’Ordre des Templiers a disparu depuis longtemps et avec lui les derniers chevaliers au service de la divinité protectrice Wotan. Donas, seigneur maléfique des Nathairs, compte bien tirer parti de cet avantage et s’appuyer sur ses viles engeances pour asseoir sa domination.
Les hordes de rats conduites par l’ignoble Tosk sont désormais entrées dans Valcriquet. Un vieil étranger avait pourtant annoncé le malheur et tenté de prévenir Deishun le forgeron, qui l’avait alors chassé avec force. En dépit de son jeune âge, le souriceau Karic, qui se rêve en Templier, va pourtant tenter de sauver ses proches en embrassant un destin chevaleresque bien improbable.
Proche des grandes références de la fantasy de par ses ressorts scénaristiques – « Le Seigneur des Anneaux », « Les Chroniques de Narnia » en tête, « Le Dernier des Templiers » est au minimum l’hommage le plus honnête, le plus sincère, et le plus réussi qu’il nous ait été donné de lire depuis de trop longues années.
Mais plus encore que cela, on aime surtout y trouver une vie propre, un souffle qui s’explique par la volonté de Glass et Oeming d’aller explorer de nouveaux horizons. À commencer par le fait de chasser les humains du paysage – même si l’anthropomorphisme est omniprésent. Ces contrées baignées de mysticisme, d’équilibres ésotériques, fascinent dès la première page. Dès la première bulle et les premiers mots sur légende de Kuhl-En, en fait. On ressent rapidement les dangers qui menacent ces souris. On évolue à dix centimètres du sol. Pourtant, l’esprit, lui, plane entre une lune étincelante et des chouettes lumineuses. Et que dire de ces très sages saumons-prophètes (Bradan Feasa)… Entre les premières réflexions de Michael Avon Oeming dès 1997 et la parution du premier chapitre en 2007 (Image Comics), les dix années qu’il aura fallu aux deux auteurs pour nous proposer ces épisodes en valaient largement la peine.
Le style du célèbre dessinateur de « Powers » atteint ici un degré de raffinement inédit. Cité sur la quatrième de couverture, il est évident que Mike Mignola, père d’Hellboy, a inspiré la main d’Oeming, depuis la manière d’encrer – à l’aide d’amples aplats noirs, jusqu’au dynamisme du trait. Cette BD vit, dans ses passages poétiques comme dans ses scènes d’action parfois violentes. Les couleurs de Wil Quintana (« Sigil », « Avengers », « Exiles ») sont un régal. Outre sa colorisation « standard » d’une majorité de planches, et une capacité évidente à créer des atmosphères sombres et riches en textures, de nombreuses séquences spéciales sont aussi mises en valeur par des aquarelles délicates et oniriques. Top ! Alors, dans une filiation presque évidente, on recommandera chaudement la lecture de ce premier TPB à tous les passionnés du « Bone » de Jeff Smith. Et ils sont nombreux…
Nous autres, amateurs de bandes-dessinées, sommes des sacrés veinards. Quelle chance de pouvoir entrer dans cet univers envoûtant ! Quelle chance de pouvoir partager les aventures de ces souris si frêles et si héroïques ! Dense par sa mythologie, l’univers fragile de « Mice Templar » sera, on l’espère, le cadre d’une longue et belle saga. Beaux du museau aux pattes, forts en caractère, les personnages, bons ou maléfiques, qui composent cette fresque méritent un volume 2 du même acabit.
Enfin, nous avions déjà eu l’occasion de le souligner dans plusieurs chroniques antérieures, le travail d’adaptation des éditions Bragelonne-Milady permet de placer ces sept premiers chapitres dans un écrin d’excellente facture : préface de Bill Willingham (« Fables »), notes des auteurs, glossaire complémentaire, carte des terres explorées, illustrations et couvertures diverses… ces bonus renforcent encore, s’il en était besoin, notre certitude sur ce TPB : sauf à perdre en tension dans la quête initiatique du jeune Karic, cette série fera date et marquera de nouvelles générations de rêveurs.
À notre tour, on ne peut donc s’empêcher d’imaginer ce que donneraient ces dessins pleins de charme une fois transposés sur grand écran… Ne serait-ce pas là une manière logique de prolonger le cycle créatif initié par les grands maîtres de l’animation ? De la Corée du Sud à la Californie, en passant par la France bien sûr, si un producteur nous lit…
[Nicolas Lambret]« Le Dernier des Templiers – La Prophétie vol. 1 », par Brian J.L. Glass (scénario) et Michael Avon Oeming (dessin), Editions Bragelonne-Milady, Coll. Milady Graphics, octobre 2009, 258 p.
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