Trade Paper Box #16 – Ultimate Galactus, la Trilogie
10 octobre 2010[FRENCH] En matière de comics comme dans la « vraie vie », le snobisme est un danger immense, une pente insidieuse qui attire naturellement chaque passionné. En bon masochiste, en voulant défendre LA continuité, « sa » continuité historique, le lecteur assidu d’aventures super-héroïque encourage – souvent inconsciemment – l’immobilisme, ou tout au moins la frilosité, de ses éditeurs fétiches. A dire vrai, on devient vite conservateur, et l’âge n’arrange rien…
Alors bien logiquement, lorsque Marvel décida de lancer l’univers parallèle rebooté et regroupé sous la bannière « Ultimate », en 2000, que n’a-t-on pas entendu sur l’attitude désinvolte qui permettait à la « Maison des Idées » de s’asseoir sur quarante ans de publications. Soyez décontractés, amis lecteurs, votre serviteur s’inclut parmi ces maudits détracteurs de la première heure. Faute avouée, à demi pardonnée, car il faut bien constater que la lecture de ce fabuleux « Ultimate Galactus » balaie tous les aprioris ridicules qui peuvent, quelle que soit l’époque, ponctuer les discussions de fans trop intransigeants. Edité chez Panini France en mai dernier, ce TPB regroupe en un seul volume bien dense les trois chapitres intitulés « Nightmare », « Secret » et « Extinction », trilogie publiée aux Etats-Unis entre octobre 2004 et juillet 2006. Quelque 14 épisodes qui justifient à eux seuls largement la création d’une ligne « Ultimate » aussi inégale que décriée.
Le canular d’Orson Welles en mondo-trasho-vision
« Vous êtes déjà morts. Ca vient et vous êtes tous morts. » Un message pour le moins effrayant passe depuis plusieurs minutes en boucle sur les écrans de télévision du monde entier. Ces interférences s’accompagnent d’images de populations apparemment extraterrestres décimées par une explosion d’une ampleur et d’une violence incommensurables. La brutalité et le caractère anxiogène de ces scènes ne tardent pas à donner lieu à une vague de panique au sein des populations de la Terre, entrainant notamment une importante hausse des suicides collectifs. En remontant vers la source de la diffusion, le S.H.I.E.L.D localise très vite le dispositif émetteur au cœur de la Sibérie russe. Immédiatement, Nick Fury constitue sa team ad hoc autour de Captain America, la Veuve Noire et le Faucon et prend la direction de la Toungouska. De leur côté, Charles Xavier et Jean Grey sont eux aussi interpellés par ce qui s’apparente vite à une attaque psychique générale. Immédiatement, la consultation de Cerebro les pousse également à rejoindre la Russie… les deux équipes vont ainsi se retrouver sur la trace d’un bunker désaffecté, laissé à l’abandon depuis la chute de l’Union soviétique. Sous la glace et la neige, derrières les épaisses parois de béton et d’acier, ce site semble avoir été le lieu de bien singulières expérimentations…
Un récit complet Marvel
Warren Ellis est une nouvelle fois épatant. Au cours de ce cycle, le célèbre auteur britannique parvient à capter l’essence du personnage de Galactus, en poussant ses lecteurs vers une réflexion plus philosophique encore, presque existentielle. Pour rester terrifiant, et donc pour garder sa pertinence, le « Dévoreur de Mondes » de l’après 11 septembre 2001, celui qui a pour ambition de raser des sociétés postmodernes accaparées par « la comm’ » – et accablées par la dématérialisation des menaces – ne pouvait être représenté et incarné de la même manière que lorsqu’il fut créé par Jack Kirby et Stan Lee (1966).
Jamais outrancier ni vulgaire durant ces épisodes, Ellis apporte ainsi un regard conforme aux vertiges, aux flottements idéologiques et identitaires de notre merveilleux XXIe siècle. Ca reste une histoire de super-types en costumes qui veulent défendre la Terre contre une menace d’invasion extraterrestre, mais bon sang, que c’est intelligemment écrit. Et ce jusque dans le dénouement de l’intrigue, qu’on ne dévoilera pas cela va de soi…
L’épaisseur, la consistance de ces aventures tiennent aussi pour beaucoup à la capacité de Warren Ellis à ancrer sa trame sur près d’un siècle d’histoire, qu’il s’agisse du mythe UFO-esque en Sibérie, ou d’enjeux de défense liés à la période de Guerre froide.
Chaque idée, chaque plan imaginé par le scénariste se trouve, et c’est peu de le dire, magnifié par un quintet de crayonneurs admirables. Trevor Hairsine, que nous avions notamment découvert sur le titre indépendant « Cla$$war » (2002-2004), et Steve Epting (revigoré depuis son passage chez Crossgen) lancent avec brio les hostilités dans la taïga de Toungouska, avant que Steve Mc Niven (évidemment « Civil War »), Tom Raney (ah, ses fantastiques épisodes de « Warlock »…) et Brandon Peterson (quels progrès depuis « Uncanny X-Men » !) n’enfoncent le clou dans la seconde partie très urbaine de ce récit. Dans des styles très différents, mais tous aussi maîtrisés, ces grands noms du comic-book contemporain apportent une classe toute américaine aux personnages engagés dans la bataille, avec une mention spéciale pour Mahr Vell, l’espion Kree aux airs de sentai japonais, ainsi que pour Sam Wilson, alias le Faucon. Et puis, forcément, un Surfeur d’Argent bien écrit et mis en scène, ça ne se refuse pas !
Au-delà des lignes… éditoriales
Cela faisait bien longtemps qu’une épopée purement super-héroïque, qu’un « blockbuster » de Marvel ne nous avait autant réjoui. Pour tous ceux qui veulent bien accepter de s’affranchir – temporairement ? – des codes et autres récurrences vieilles de cinquante ans maintenant, pour tous ceux qui ont envie de s’amuser dans le vaste coffre à jouets de l’univers Marvel, cette saga aux résonances science-fictives offre son lot de très beaux moments. La tête dans les étoiles, on se dit que la bande dessinée a énormément à nous apporter. L’approche de « Gah Lak Tus » fait passer un message clair tout en évitant la mièvrerie. Aussi sincère que forte en gueule, l’histoire de ce sursaut collectif pour la sauvegarde d’une planète désabusée rivalise aussi, dans le plaisir qu’elle procure, avec les meilleures productions cinématographiques de SF. Et pour ce qui nous rassemble immédiatement, à savoir les comics, elle suscite une curiosité inédite chez tous ceux qui avaient sciemment ignoré les parutions de la gamme « Ultimate ». Au fond, la curiosité par capillarité n’était-elle pas le but avoué de Bill Jemas en 2000 ? Sans avoir complètement tenu ses promesses sur la durée, alourdie à son tour par dix années d’existence, cette ligne prouve avec des productions de ce calibre qu’elle représente malgré les difficultés un espace de créativité des plus convaincants.
[Nicolas Lambret]
« Ultimate Galactus – La Trilogie », par Warren Ellis (scénario), Steve Epting, Trevor Hairsine, Steve Mc Niven, Brandon Peterson, Tom Raney (dessin), Panini Comics, Coll. Marvel Deluxe, mai 2010, 328 p.
Je mettrai quand même un bémol sur Ultimate Secret, qui me semble avec souffert de quelques problèmes…le changement de dessinateur en cours de route n’a pas aidé, mais il me semble que la mini-série a un peu raté son objectif de donner aux extraterrestres (et notamment aux krees) une vrai place dans l’univers Ultimate. Mahr Vell n’aura d’ailleurs ensuite jamais le spotlight qu’il aurait mérité…
A noter aussi que j’ai bien aimé la mini Ultimate Vision, qui est un peu une suite de la trilogie Galactus…
Commencée en VF, achevée en VO, cette mini ne m’a pas spécialement emballé, surtout sur la fin. Un peu un sentiment de « Tout ça pour ça ». Pas spécialement emballé par les dessins de la dernière partie, un peu trop raides. Mais ça ne remet pas en cause l’intérêt (valable à l’époque) de la ligne Ultimates. Dommage Mahr Vell n’y ait pas trouvé sa place.